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La définition de politiques européennes de soutien aux investissements industriels est désormais officiellement à l'ordre du jour du Conseil européen, à la suite du récent rapport d'Enrico Letta sur le renforcement du marché commun. Les États membres et les acteurs concernés ont des visions différentes de ces politiques. Tim Elias Peter, de la Fondation Konrad Adenauer, affiliée mais indépendante du parti chrétien-démocrate allemand, examine ce que ces politiques devraient et ne devraient pas être. « Le Pacte vert européen se heurte de plus en plus à des difficultés. Le débat porte moins sur la vision de long terme visant à atteindre la neutralité climatique que sur les mesures à petite échelle et à court terme. Et la raison de ces difficultés n'est en aucun cas l'incapacité à atteindre les objectifs : le Pacte vert tient ses promesses. » Ce billet de blog se penche sur ce qu'il considère comme la pièce maîtresse de la politique climatique européenne : le système d'échange de quotas d'émission de l'UE, et sa contribution à l'objectif climatique ambitieux ainsi qu'à la cohésion et à l'orientation nécessaires pour progresser dans ce domaine.

Le Pacte vert européen se heurte de plus en plus à des difficultés. Il s'agit du projet phare de la Commission von der Leyen, qui doit permettre à l'UE de devenir neutre sur le plan climatique d'ici à 2050. La raison de ces difficultés n'est en aucun cas l'incapacité à atteindre les objectifs : le Pacte vert tient ses promesses. Par le programme de protection du climat "Fit for 55", l'UE réduira ses émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Le système européen d'échange de quotas d'émission de carbone (SCEQE), pièce maîtresse de la politique climatique européenne, apportera la principale contribution à cet objectif. Il permet de fixer le prix des émissions de CO2 par le biais de l'échange de certificats. L'échange de quotas d'émission est donc un instrument de protection du climat basé sur le marché qui atteindra son objectif de la manière la plus efficace possible. En étendant l'échange de quotas d'émission aux bâtiments, aux transports et à d'autres secteurs (SCEQE 2), cet instrument permettra également de réduire les émissions dans tous les secteurs à l'avenir.

Des critiques d’acteurs clés de la société

Toutefois, sur la voie de cet objectif, l'UE risque de perdre le soutien d'une grande partie de la société. Il ne s'agit pas de personnes qui ne prennent pas le changement climatique au sérieux, qui remettent en question la contribution de l'Europe à la résolution de ce problème mondial ou qui ne croient pas du tout au changement climatique d'origine humaine. Au contraire, les voix critiques émanent de plus en plus des acteurs clés de la société : entrepreneurs, travailleurs qualifiés, artisans - en d'autres termes, ceux qui sont censés mettre en œuvre le Pacte vert dans la pratique. En Allemagne, la critique des mesures européennes se mêle à celle des initiatives du gouvernement allemand. La loi nationale sur le chauffage est mentionnée dans une même phrase avec la directive sur le devoir de diligence et la loi sur la restauration de la nature. Ces trois exemples montrent à eux seuls que la préoccupation centrale de la protection du climat est associée à des questions environnementales et sociales, et que l'on tente d'atteindre tous les objectifs en même temps, ce qui est trop exigeant pour la société et l'économie.

Il convient de noter que le débat est moins critique à l'égard de la vision de long terme permettant d'atteindre la neutralité climatique, en particulier le système européen d'échange de quotas d'émission, qu'à l'égard des mesures à court terme et à petite échelle. Du point de vue des entreprises, le fait que le prix du CO2 augmente de manière fiable pendant plusieurs années grâce à l'échange de quotas d'émission ne pose pas de problème majeur : elles peuvent s'y adapter et réaliser les investissements nécessaires. En revanche, cela devient problématique si, par exemple, le règlement REACH signifie qu'un produit chimique essentiel pour la production actuelle n'est plus autorisé dans un délai court ; des investissements d'une valeur de plusieurs millions peuvent alors être perdus, et n'auraient jamais été réalisés si l'entreprise avait été informée de l'interdiction à venir. Cette incertitude, illustrée ici par les produits chimiques, a pour conséquence de démotiver les acteurs les plus performantes de la société, et réduit le soutien à l'objectif réel et majeur de la neutralité climatique.

Les initiatives de l'UE pour stimuler la compétitivité

Avec le plans du Pacte vert pour l’industrie et la compétitivité, ainsi que les rapports d'Enrico Letta sur le marché intérieur et de Mario Draghi sur la compétitivité à long terme, l'UE prend des mesures qui vont dans le bon sens. Mais le même principe s'applique ici : les mesures qui créent un cadre à long terme et profitent à l'économie européenne dans son ensemble sont préférables à des mesures ad hoc pour des entreprises ou des secteurs individuels. L'approfondissement du marché unique européen, en particulier l'union des marchés de capitaux, aura un effet positif sur l'ensemble de l'économie. Dans ce cadre, les entreprises les plus compétitives peuvent émerger et prospérer. En revanche, dans une économie de marché, les subventions accordées à des entreprises ou à des secteurs particuliers sont toujours l'exception et doivent être justifiées de manière crédible. L'utilisation des impôts de l'ensemble de l'économie pour soutenir des entreprises individuelles affaiblit généralement l'économie dans son ensemble. Par exemple, l'assouplissement des règles en matière d'aides d'État en réponse à la loi américaine sur la réduction de l'inflation (IRA) entraîne d'importantes distorsions de concurrence dans le marché unique européen. Des pays financièrement forts comme l'Allemagne et la France peuvent investir des milliards en subventions dans des usines de puces électroniques et de batteries, mais l'Italie par exemple, ne disposant pas des mêmes capacités de financement, est laissée pour compte, les entreprises italiennes réellement compétitives ne pouvant obtenir les contrats. Cet exemple illustre parfaitement la manière dont la compétitivité de l'ensemble de l'UE est affaiblie par des distorsions individuelles de la concurrence.

L'UE coincée entre les États-Unis et la Chine

Mais comment devrions-nous réagir aux subventions publiques massives rendues possibles par l'IRA ou le capitalisme d'État chinois ? Difficile de répondre à cette question de manière adéquate dans un court billet de blog, mais un exemple peut être éclairant. En Allemagne aussi, le débat est vif sur la question de savoir si l'industrie solaire européenne doit être protégée du dumping des fabricants chinois ou des incitations de l'IRA. La délocalisation du fabricant de panneaux solaires Meyer Burger d'Allemagne vers les États-Unis illustre la situation actuelle. Plusieurs arguments sont utilisés dans le débat, du renforcement de sa propre compétitivité à la réduction de la dépendance à l'égard de la Chine. Ces deux objectifs peuvent se compléter, mais doivent être séparés dans leur approche et dans le choix des instruments. 

En termes de compétitivité, la production de panneaux solaires n'offre pas actuellement de marges élevées. C'est plutôt l'économie européenne dans son ensemble qui profite du fait qu'elle est soutenue par des fournisseurs chinois bon marché. Dit autrement, les contribuables chinois subventionnent l'énergie européenne. En raison de la pénurie actuelle de travailleurs qualifiés, un large soutien à l'industrie entraînerait ce que l'on appelle un effet d'éviction. Le personnel bien formé devrait être arraché à d'autres industries compétitives afin de développer le secteur solaire. La situation est différente si la recherche et le développement dans le secteur des technologies propres sont soutenus financièrement. La compétitivité de l'Europe ne réside pas dans les produits de masse à bas prix, mais dans les produits de haute qualité à forte intensité de recherche et de développement. Par exemple, des panneaux solaires de nouvelle génération ou un produit complètement différent pourraient être développés dans le domaine de l'hydrogène. Il n'est pas déterminant de savoir s'il est moins coûteux de fabriquer ce produit en Europe ou en dehors de l'Europe. Le facteur décisif est l'avantage concurrentiel que procure un meilleur produit bénéficiant d'une protection efficace par brevet.

Dans le domaine de la résilience, le raisonnement est différent. Si davantage de fabricants de modules solaires devaient se délocaliser, la dépendance à l'égard des importations en provenance de Chine pourrait atteindre près de 100 %. Si cette situation était considérée comme critique, des interventions seraient nécessaires. Le fait que les panneaux solaires soient une marchandise différente du pétrole ou du gaz est un argument pour ne pas les classer comme critiques. Ils ne sont pas « brûlés », mais fournissent de l'électricité même si les nouveaux approvisionnements ne se matérialisent pas. En outre, d'autres fournisseurs sur le marché mondial, par exemple aux États-Unis, pourraient prendre le relais. Ce produit n'est donc pas comparable au secteur pharmaceutique, où les dépendances sont réellement critiques dans le domaine des antibiotiques, par exemple. Toutefois, si une dépendance presque totale à l'égard des importations de panneaux solaires est jugée trop risquée, des mesures de soutien individuelles pourraient permettre de maintenir une petite base de production en Europe, qui pourrait être augmentée dans un contexte d'urgence. Une option consiste à lancer des appels d'offres publics assortis d'un quota de biens produits en Europe, à l'instar de la loi "Net Zero Industry Act", mais avec plus d'efficacité. Toutefois, cette approche ne peut être justifiée que par l'argument de la résilience et non par celui de la compétitivité. Au contraire, des appels d'offres publics plus coûteux se traduiraient par des pertes.

Retour aux sources du marché

Bien que l'industrie solaire européenne et le secteur des technologies propres soient importants pour la transformation climatique, ils représentent un petit secteur par rapport à l'économie dans son ensemble. Afin d'amener l'économie et la société sur la voie de la transformation climatique, il faut donner la priorité au Pacte vert. L'échange de quotas d'émission doit être positionné comme l'instrument principal et ne pas être mis à l'écart par d'autres instruments. Par exemple, l'interdiction de facto des moteurs à combustion à partir de 2035 ne reflète pas l'ouverture technologique de l'échange de quotas d'émission. De telles mesures entraînent des pertes massives de soutien au Pacte vert. Si l'on considère que l'échange de quotas d'émission n'est pas suffisant dans les secteurs du bâtiment et des transports en raison du calendrier de la transformation, des mesures de soutien devraient plutôt être prises, telles que l'expansion de l'infrastructure des stations de recharge et du réseau électrique, ainsi qu'une réduction de la taxe sur l'électricité. Si les véhicules électriques deviennent moins chers les véhicules à essence, dont le prix est fixé par le biais de l'échange de quotas d'émission, les changements de mode de transport seront possibles.

Pour mettre en œuvre le principe « la protection du climat doit être rentable », il manque encore un instrument crucial : le financement pour le climat. C’est ici qu’intervient l'échange de quotas d'émission, qui permet de fixer un prix pour le CO2, ensuite reversé aux consommateurs via un tarif avantageux. Ceux qui adoptent un mode de vie favorable à la lutte contre le changement climatique ont plus d'argent, à l’inverse de ceux qui ne le font pas. Cet instrument fondamental permet également à chacun de conserver sa liberté. L'amateur de voitures de sport peut continuer à le faire (en voiture à essence, mais éventuellement électrique) parce qu'il rénovera sa maison uniquement pour des raisons économiques et ne prendra probablement pas l'avion pour aller en vacances à l'étranger. Ce double fonctionnement du financement pour le climat n'a pas encore été introduit en Allemagne, par exemple, ce qui nuit à la légitimité de l'échange de quotas d'émission. Un renforcement efficace des certificats de pollution dans les années à venir est inconcevable sans un financement lui apportant légitimité. À défaut, la tarification du CO2 ne sera perçue que comme une taxe supplémentaire. Et même dans un pays comme l’Allemagne, sans financement pour le climat, l'augmentation des prix du CO2 pourrait entraîner des manifestations de type Gilets jaunes dans les années à venir.

Le « trilemme » financier

Comment financer la transformation climatique ? Ce sujet ne peut être abordé qu’à grands traits dans un article de blog, c'est pourquoi quelques lignes directrices peuvent être soulignées. Tout d'abord, l'instrument de l'échange de quotas d'émission va déjà dans le sens de solutions décentralisées et basées sur le marché. La transformation climatique doit être financée en grande partie par le secteur privé. L'État doit créer les bonnes structures d'incitation ainsi que le cadre pour les liquidités nécessaires en approfondissant le marché unique européen, en particulier en créant une véritable union des marchés des capitaux. L'État lui-même peut agir dans le domaine de l'infrastructure. Des incitations supplémentaires dans le domaine des bâtiments et des transports peuvent également être discutées au cas par cas. 

Toutefois, cela ne dit pas d'où doivent provenir les milliards d'investissement de l'État. Les mesures prises par les pouvoirs publics pour lutter contre le changement climatique servent à préserver le droit à la liberté des générations futures. Le même principe s'applique à la dette publique : élevée, elle restreint la liberté des générations futures. Pour le financement des mesures de protection du climat, cela signifie qu'un endettement important ne devrait pas être la première, mais la dernière option. Les situations conflictuelles peuvent être résumées comme suit : la jeune génération est confrontée à l'immense défi de la transformation climatique dans sa vie active. Dans le même temps, en raison de l'évolution démographique, elle doit s'occuper d'un nombre croissant de personnes âgées et peut souhaiter fonder une famille et acheter sa propre maison ou son propre appartement. En outre, l'époque des dividendes de la paix est révolue et l'augmentation des dépenses militaires, également pour compenser les investissements non réalisés dans le passé, doit également être assumée par la jeune génération. En résumé, la jeune génération se trouve dans un trilemme : décarbonation, démographie et défense. Dans l'intérêt de la justice intergénérationnelle, le budget existant doit donc d'abord donner la priorité aux investissements plutôt qu'aux dépenses de consommation avant de parler d'une nouvelle dette, car celle-ci devrait alors également être supportée par la jeune génération au cours de sa vie active.

Conclusion

En résumé, l'échange de quotas d'émission est l'instrument le plus important et le plus efficace dont dispose l'UE pour atteindre ses objectifs en matière de climat. C’est un élément différenciant par rapport à la Chine et aux États-Unis. Cependant, l'UE ne doit pas saper le soutien au Pacte vert par des réglementations supplémentaires. Les objectifs contradictoires entre la protection du climat, la protection de l'environnement, les questions sociales et la résilience doivent être reconnus et hiérarchisés en conséquence. Malheureusement, l'UE ne peut atteindre tous les objectifs à la fois sans perdre le soutien d'une grande partie de la population. En revanche, en mettant l'accent sur l'échange de quotas d'émission dans un cadre de long terme fondé sur le marché et par un mécanisme de compensation sous forme de financement pour le climat, on offre aux entreprises et à la société une sécurité en matière de planification et on s'assure du soutien à ce projet pour le XXIe siècle.