La deuxième session de négociation d'un futur « traité plastiques » se tiendra à Paris du 29 mai au 2 juin prochain. Si l'intérêt pour le sujet n'a cessé de croître1 , dans la sphère publique internationale, la communauté scientifique, océanique notamment, et dans les milieux professionnels depuis la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies pour l'environnement de mars 2022 invitant les États à lancer la négociation d'un « instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique, y compris dans l’environnement marin », les discussions pourraient s’avérer compliquées. Ce billet de blog identifie les divergences d’approche et les potentiels points de blocage, et souligne le cadre politique et technique dans lequel devrait s’inscrire cette négociation pour effectivement progresser vers l’adoption d’un traité.

La première session de travail du Comité intergouvernemental de négociation (INC1), placé sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), a lancé le processus de négociation lors de sa réunion de Punta del Este (Uruguay) en décembre 2022. Y a été adopté le plan de travail censé aboutir à l'adoption d'un traité en 2025, invitant les États et leurs groupements ainsi que les parties prenantes à exprimer leurs vues sur les enjeux du futur traité : objectifs, obligations, réglementations, et mesures de mise en œuvre et d’accompagnement. 69 Parties représentant plus de 100 pays et 175 parties prenantes ont fait connaître leur position pendant l’intersession ; de cette consultation, le Secrétariat du PNUE-INC a tiré un document de synthèse qui va servir de base à la session de Paris. 

Des positions divergentes sur le cadrage de la négociation

Le cadrage de la négociation, très strict et précis, opéré par la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies (ANUE), ne devrait, sur le papier, laisser que peu de place à une approche minimaliste ou restrictive du contenu du traité. Le mandat donné invite à traiter l'ensemble du cycle de vie du plastique et devrait donc conduire à s'intéresser à la totalité des enjeux, depuis la production des plastiques jusqu'à l'usage et au recyclage et à l'élimination des déchets. Pourtant, au vu du premier round de négociation et des positions exprimées par les acteurs, la question de la portée, matérielle et juridique, du futur traité demeure incertaine.

Pour des raisons probablement différentes, les États-Unis et la Chine, qui constitueraient les premiers pays émetteurs de déchets plastiques en 2060 sur la base tendancielle2 , se rejoignent pour prôner l'adoption d'un traité comportant des obligations générales ; celles-ci renverraient les mesures concrètes à des plans d'action nationaux réputés permettre l'adaptation et la souplesse qu'ils jugent indispensables s'agissant d'une activité économique multi-dimensionnelle mobilisant des substances extrêmement variées et évolutives. De plus, la Chine semble ne vouloir traiter que l'aval du cycle, c’est-à-dire les déchets plastiques, excluant ainsi les enjeux économiques de production et d'usage, et donc de réduction à la source. Et les États-Unis sont réticents à l'adoption de normes et standards internationaux trop précis qui, en outre, devraient susciter l'opposition du Sénat américain au moment de la ratification. Par ailleurs, la Chine (comme la Russie et de nombreux pays asiatiques) n'entend pas traiter de questions économiques dans le cadre de traités environnementaux. D'une certaine manière, le syndrome de la Convention Climat, à savoir son impossibilité, malgré les preuves scientifiques, à intégrer la question des énergies fossiles au cœur des engagements des Parties, pourrait se retrouver dans la négociation sur les plastiques. 

À l'inverse, l'Union européenne, membre de la Coalition pour une haute ambition menée par la Norvège et le Rwanda, défend la vision d’un traité abordant l'ensemble du cycle de vie des plastiques et qui prévoirait de réduire à la source la production de plastique primaire au moyen d'objectifs globaux inclus dans le traité, accompagnés d'instruments de marché et soutenant l'insertion d'obligations strictes telles que : 

  • l'élimination ou la restriction de l'usage de substances telles que des additifs dangereux ou toxiques ;
  • l'élimination de produits plastiques « problématiques, évitables ou non nécessaires » ; les plastiques à usage unique seraient évidemment inclus dans cette catégorie ;
  • des mesures concrètes pour limiter la pollution par les microplastiques ;
  • un encouragement à l'économie circulaire, y compris l'écoconception des produits ;
  • des mesures précises concernant la collecte, la réutilisation et le recyclage et d'une manière générale la gestion rationnelle des déchets ;
  • la résorption des stocks de déchets plastiques existants dans l’océan ;
  • des standards sur l'utilisation des plastiques biosourcés ;
  • des obligations d'information sur la composition des plastiques ;
  • l'adoption du principe de responsabilité élargie du producteur (REP).

Annexes, flexibilités : quelle forme le traité pourrait-il prendre ?

Afin de combler cet écart de positions relatif à ce qui pourrait être intégré dans le traité, des annexes approuvées à la majorité pourraient établir des listes de substances interdites ou de produits à réguler en incluant des dates limites, ou détailler certaines obligations. Ce système, éprouvé dans les conventions Marpol (pollution des navires) ou Cites (espèces sauvages), pourrait répondre au besoin de gérer la complexité et à la nécessaire adaptabilité dans le temps, tout en garantissant la portée juridique du dispositif et son applicabilité à l'échelle globale. Une autre option serait de prévoir des protocoles spécialisés comme pour la Convention sur la diversité biologique ou la Convention de Vienne sur la pollution atmosphérique transfrontalière ; mais ces protocoles ont le caractère de traités et doivent être ratifiés, ce qui entraîne lourdeur et délais.

Quel que soit le cadre juridique retenu, des divergences pourraient apparaître sur le rythme de réduction de la pollution et sur le niveau des engagements. Ainsi, les pays asiatiques, qui contribuent largement à la pollution, du fait d'un taux élevé de plastiques mal gérés3 (40,8 %, contre 5,5 % en Europe), et qui abritent les trois fleuves les plus émetteurs dans les océans (le Pasig aux Philippines, le Kelang en Malaisie et l'Ulhas en Inde), pourraient-ils accepter des engagements globaux et des rythmes de réduction identiques aux pays de l'Union européenne ou de l'OCDE, dont certains sont d’ailleurs loin de présenter des résultats positifs ? Là encore, la question de la différenciation des objectifs chiffrés et des échéances dans le temps réglée par les contributions déterminées au niveau national dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat pourrait s’inviter dans la négociation plastique. Un équilibre devra être recherché entre l’indispensable fixation d’objectifs globaux et la possibilité de modulation à l’échelle nationale.

Concernant les mesures de mise en œuvre, outre la question de la portée et du contenu des plans nationaux, celles des engagements volontaires et du contrôle et du nécessaire soutien technique et financier aux pays en développement devraient faire l’objet de débats, comme dans d’autres négociations environnementales (cf. financement de la biodiversité, financement des pertes et dommages liés au changement climatique). De fait, la gestion rationnelle des déchets, telle que prévue dans l'Objectif de développement durable n°12, est l’un des parents pauvres de l'aide au développement, et mériterait une réévaluation de son niveau. Parallèlement, la question de l'implication financière du secteur privé fondée, le cas échéant, sur une application du principe pollueur-payeur au niveau international, devrait être posée en dépit de la réticence probable des organisations professionnelles. On attend sur ce point la position des groupements permanents d'entreprises (World Plastics Council et Plastics Europe) ou liés à la négociation telle que la Business Coalition for a Global Plastic Treaty4

Le « mythe de la circularité infinie »

Cependant, on peut douter que des approches telles que l'économie circulaire incluant un niveau élevé de recyclage puissent à elles seules, et compte tenu du point de départ, répondre à toutes les questions posées par la pollution plastique et aboutir à une économie du plastique sans déchets. Dans un article récent5 , Franck Aggeri pointe le « mythe d'une circularité infinie », alors que le ratio actuel entre les matières valorisées et celles qui sont produites est en baisse, tombé à 7,2 %, selon le Global Circularity Gap Report. On peut pointer deux difficultés conjointes : 1) si l’on veut réduire en valeur absolue le flux de plastiques traversant nos sociétés, ce qui paraît indispensable à terme, la difficulté à transformer nos usages et modes de production vers une véritable réduction à la source des plastiques, qui sont devenus essentiels dans de très nombreux usages (par exemple, pour la sécurité sanitaire des aliments), cette transition suppose nécessairement le temps long pour non seulement substituer des technologies, mais aussi repenser plus profondément les services, les biens industriels et les modèles d’affaire qui les sous-tendent ; 2) même sans réduire ce flux de plastiques, l’impossibilité de boucler complètement la diversité des cycles, malgré les promesses des filières industrielles, impossibilité inhérente à la très grande hétérogénéité des plastiques et de leurs caractéristiques techniques. Pour ces deux raisons, l'effort à opérer pour promouvoir l'économie circulaire, si indispensable et positif, est donc nécessairement progressif et ne peut répondre qu'en partie à l'objectif de suppression de la pollution plastique ; ainsi, il reste de l’espace pour une saine gestion des déchets.  

Quant au recyclage – dont certains chercheurs ont déjà montré les limites6 et à l’exception de quelques pays de l’OCDE, on part également de très loin. Pour prendre l'exemple d'une région parmi les plus économiquement développées d'Europe, l'Île-de-France, quelque 860 000 tonnes de déchets plastiques y sont produites chaque année, dont 14 % (contre une moyenne nationale de 24 %) sont collectés pour recyclage, les ¾ étant des emballages, alors que la Région s'est fixé l'objectif de 50 % de plastiques recyclés en 2025, ce qui paraît inatteignable7 . Autrement dit, un PIB par habitant élevé n'entraîne pas nécessairement un niveau élevé de circularité et une baisse de la production de déchets, contrairement aux espoirs des thuriféraires de la courbe de Kuznets8 . Le futur traité plastiques devrait être l'occasion de renoncer à fixer des objectifs relevant de l'illusion collective qui ne prédisposent pas à l'engagement des acteurs et de tenir compte des capacités et du potentiel des pays en termes de gestion de la filière plastique. En conséquence, et comme y invite le mandat de négociation, il importe de mobiliser l'ensemble des outils disponibles pour réduire et supprimer la pollution plastique tant en termes de règles que de moyens de mise en œuvre depuis la réduction à la source jusqu'au recyclage et à la gestion rationnelle des déchets ultimes.

Comment articuler le futur traité avec les dispositifs existants ?

Parmi les questions peu présentes dans les contributions, figure également l'articulation entre le futur traité et les dispositifs internationaux existants tels que les conventions chimiques, les conventions de Bâle et Marpol, ainsi que les conventions de mers régionales comme Ospar et Barcelone. Le secrétariat commun aux conventions chimiques a produit une première analyse de la manière dont ces dernières traitent la question des plastiques, y compris les substances chimiques intervenant dans leur composition : les superpositions ou interférences potentielles avec le traité plastiques y apparaissent préoccupantes9 . À cela s'ajoute la question du commerce international des déchets plastiques, qui s'est réorientée géographiquement à la suite de la décision prise par la Chine en 2017 de prohiber l'importation de déchets plastiques. Ce commerce devrait donc relever à la fois de la Convention de Bâle, de l'OMC et du futur traité plastiques. La question de l’équité commerciale entre les pays qui traitent correctement leurs déchets et évitent les rejets en mer et les autres ne peut que se poser à l’avenir. Cette question de l'articulation entre les différents dispositifs ne peut être éludée, d'autant que le secrétariat de l’ensemble des conventions, à l’exception de Marpol, relève du PNUE. 

Enfin, et bien que leurs contributions n'aient pas fait l'objet d'une synthèse par le PNUE, il convient de signaler l'activité des ONG environnementales à vocation globale (Fondation Ellen Mac Arthur, WWF, UICN, Council for International Environmental Law) ou spécialisée (Zero Plastic Waste, No Plastic in my Sea) et des communautés scientifiques (Scientists Coalition for an Effective Plastics Treaty par exemple), qui devrait permettre de faire avancer les débats.

En conclusion, après l’adoption de l’Accord Kunming-Montréal sur la biodiversité et du traité sur la haute mer, la volonté de la communauté internationale de maintenir sa coopération pour la gestion des biens globaux environnementaux, en dépit du climat de scepticisme qui entoure le multilatéralisme, doit être notée. Pour autant, la négociation sur le futur traité plastiques est techniquement, juridiquement et politiquement délicate, et ne pourra aboutir à un résultat ambitieux qu’en restant fondée sur les données scientifiques et sur une éthique commune de l’environnement.
 

  • 2 OECD (2022). Global Plastics Outlook: Policy Scenarios to 2060, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/aa1edf33-en.
  • 3 C’est-à-dire « non collectés, jetés sur la voie publique ou gérés dans des décharges non contrôlées », Université de Lyon, Pop’Sciences, novembre 2022.
  • 4 Cette coalition initiée par le WWF et la Fondation Ellen MacArthur, se distingue par une large confiance accordée à la vision d'une économie circulaire conduisant à zéro déchet.
  • 5 « L’Économie circulaire, un modèle véritablement soutenable ? », in La Gazette de la société et des techniques, Annales des Mines, mars 2023.
  • 6 Gontard, N., Seinger, H. (2020). Plastiques, le grand emballement, Stock.
  • 7 Note de l’Institut Paris Région : « Déchets plastiques en IdF :une production dispersée et un recyclage insuffisant », novembre 2021.
  • 8 Cf Grossman et Krueger (1995). “Economic Growth and the Environment”, The Quarterly Journal of Economics, vol. 110, No. 2.
  • 9 Secretariat of the Basel, Rotterdam and Stockholm Conventions (2023). “Global Governance of plastics and associated chemicals”.