Les enjeux
Une technologie clé pour répondre aux objectifs climatiques européens
L’efficacité énergétique et les énergies renou- velables sont deux options privilégiées de réduc- tion des émissions de cO2. cependant, d’après les scénarios de l’agence internationale de l’énergie (World energy Outlook 2007), les éner- gies fossiles constitueraient encore une large part du mix énergétique à horizon 2030 (60 % en europe, 70 % au niveau mondial). en effet, au niveau européen, un tiers des capacités charbon devrait être remplacé dans les 10 ans à venir et au niveau international, la demande en énergie primaire des pays émergents est en forte crois- sance et reposera probablement massivement sur l’usage du charbon. la technologie de cap- ture et stockage de carbone permettrait ainsi de recourir à cette énergie fossile dont les réserves prouvées sont importantes et diminuer l’exposi- tion aux prix élevés du pétrole et du gaz, tout en neutralisant une grande part des émissions de cO2. Dans ce contexte, le cSc constitue une tech- nologie de transition essentielle. en l’absence de son déploiement significatif d’ici 2020, l’atteinte de l’objectif global de réduction des émissions de cO2 que s’est fixé l’europe (60 à 80 % à 2050) pourrait être plus ardue (changements structu- rels et déploiement des énergies renouvelables plus importants). l’efficience économique du cSc reste cependant à prouver, et les mesures d’efficacité énergétique et d’énergies renouvela- bles demeurent des leviers essentiels très cohé- rents avec la vocation de la politique climatique de la commission européenne.
Il est encore nécessaire de réduire les barrières au déploiement du CSC
L’europe a pour objectif de développer au moins 12 projets de démonstration sur son ter- ritoire, objectif ambitieux. cette transition vers la phase d’exploitation commerciale suppose ainsi l’établissement d’un cadre technique et réglementaire mais également d’une architec- ture financière incitative pour faciliter le retour sur investissement des opérateurs.
Les enjeux du passage de projet de démonstra- tion à la phase commerciale concernent ainsi :
Les aspects techniques : les différentes composantes, captage, transport et stockage de cO2 ont tous fait l’objet de démonstration à moindre échelle, mais il est encore nécessaire de les intégrer dans un processus complet et notamment de tester les différentes options technologiques de captage.
La réduction des coûts : les coûts pour un pro- jet pilote sont estimés entre 60 et 90 €/tonne de cO2. les économies d’échelle envisagés pour le déploiement commercial permettent d’établir une fourchette de 30 à 60 €/tonne, selon le type de centrale, la durée de fonction- nement et la localisation, la phase de captage demeurant la plus coûteuse. Sans incitation réglementaire et contribution financière, il serait très difficile de surmonter la phase ini- tiale, avant que les prix ne s’alignent sur ceux du carbone sur le marché européen des quo- tas d’émission.
Les processus d’autorisation conditionnant les délais de mise en œuvre des projets de démonstration et le cas échéant des phases d’exploitation commerciale.
Les questions de responsabilité : quel devoir de contrôle et de maintenance de la part de l’opérateur, et en cas de fuites, quelle respon- sabilité légale et financière ? la proposition de directive cSc de la commission vise à pro- poser un cadre légal qui ne soit pas dissuasif à l’investissement.
L’acceptabilité sociale, peu évidente à ce stade pour un déploiement massif.
Les propositions du paquet UE « Climat »
Le second programme européen sur le chan- gement climatique a instauré un groupe de tra- vail sur le cSc qui a révélé la nécessité de créer un cadre technique, économique et réglemen- taire afin d’accélérer son déploiement. Dans son Paquet dit « climat et Énergie » du 23 janvier 2008, la commission a ainsi adopté une pro- position de Directive visant à réglementer le stockage géologique du carbone. celle-ci vise à réglementer les conditions d’autorisation, d’exploitation et de gestion après fermeture, y compris sur le plan de la responsabilité de l’ex- ploitant, des sites de stockage. elle est complé- tée par l’inclusion du cSc dans la révision de la directive « quotas » ainsi que par la proposition concernant les aides d’État.
Le projet de directive CSC définit les responsabilités de l’exploitant
La proposition n’instaure pas d’obligation de mise en place de cSc sur les nouvelles centra- les mais établit un seuil (300 mW) pour lequel les investisseurs doivent s’assurer de disposer de l’espace suffisant pour installer la technolo- gie cSc, de l’existence des espaces de stockage et des infrastructures de transport, et enfin, de réaliser une étude de faisabilité de mise en place de la capture ex post. le Parlement européen a toutefois proposé, par un vote le 7 octobre, de compléter le dispositif par des normes d’émis- sion de cO2 qui à terme impliqueraient, si elles sont acceptées par le conseil, le recours obliga- toire au cSc pour les centrales à charbon (cf. sec- tion « sujets en discussion »).
Les sites sont soumis à autorisation d’exploiter une installation de stockage géologique. il s’agit d’une autorisation administrative classique qui n’est accordée que si l’exploitant démontre que les conditions d’un stockage « permanent » sont bien réunies à la lumière des critères de sélection des sites. la demande de permis doit compor- ter un plan de surveillance, des propositions de mesures correctives, et la preuve d’une garantie financière afin de s’assurer que toutes les obli- gations découlant de l’autorisation seront bien respectées, ce qui inclut tout dommage environ- nemental y compris les fuites de cO2 et, partant, les coûts associés à la restitution de quotas à hau- teur de celles-ci.
La commission propose de permettre un transfert de responsabilité du site, une fois que celui-ci ait été fermé, du dernier exploitant vers l’État membre. cela couvre toutes les obli- gations légales, y compris les fuites de cO2. la proposition offre la possibilité à l’exploitant tout comme à l’autorité compétente de demander un tel transfert de responsabilité. mais ce transfert n’est accepté par l’autorité compétente que si « tous les éléments disponibles tendent à prou- ver que le cO2 stocké restera parfaitement et indéfiniment stocké » ce qui laisse supposer que le risque de fuites est faible voire nul.
Des incitations économiques sont contenues dans la révision de la directive quotas
Parallèlement, dans sa proposition portant révi- sion de la Directive 2003/87/ce, la commission propose d’inclure le cSc en 2013 dans le Sceqe : seules les émissions réellement évitées grâce aux installations de stockage géologique répondant aux prescriptions de la future Directive cSc seront prises en compte dans le Sceqe. le projet inclut plusieurs incitations économiques permettant d’accroître la rentabilité du cSc :
Incitation par le mode d’attribution des quo- tas : le principe de base est la mise aux enchè- res des quotas pour les installations de cSc. cependant, la proposition considère que les volumes réellement stockés dans des sites agréés sont considérés comme n’ayant pas été émis. ainsi, les exploitants des unités de combustion n’ont pas à restituer de quotas puisque les émissions sont évitées, sauf dans le cas où des fuites ont pu être constatées à la lumière d’un plan de surveillance établi par l’exploitant de l’unité de stockage. Dans ce cas, l’exploitant du site de cSc doit restituer des quotas à due proportion des fuites consta- tées.
Usage des revenus générés par la mise aux enchères de quotas dédiés au cSc : la mise aux enchères pose la question de l’utilisation des revenus générés. la proposition initiale de la commission établissait un minimum de 20 % des revenus des enchères dédiés en partie à la mise en place de cSc sur les centra- les charbon (article 10). (cf. section « sujets en discussion »).
À noter que le Parlement européen propose une formule de « double crédits » de quotas d’émission pendant une période limitée pour apporter une incitation supplémentaire au démarrage de la filière (cf. section « sujets en discussion »).
Les sujets en discussion
Suite aux amendements proposés, trois thè- mes de débat émergent.
Le débat autour des performances d’émissions des centrales
La proposition initiale du député européen chris Davies de rendre obligatoire le cSc pour toute nouvelle construction de centrale a été écartée. le vote de la commission environne- ment le 7 octobre propose toutefois de fixer des seuils d’émissions : dès 2012, toute nou- velle centrale ne pourrait émettre plus de 500 gcO2/kWh. ce seuil de performance est moins exigeant que la proposition initiale de m. Davies qui l’établissait à 350 gcO2/kWh, ce qui aurait impliqué la mise en place de cSc sur toute nouvelle centrale utilisant des com- bustibles fossiles hormis le gaz naturel.
La fixation d’un seuil interdisant l’établisse- ment de nouvelles unités non raccordées à un ccS peut évidemment être considérée comme un signal majeur en faveur du déploiement de la technologie (suppression du risque « éco- nomique » pour les développeurs), mais elle constitue un pari risqué au vu du chemin qui reste à parcourir avant l’industrialisation de la cSc, et reste loin de faire l’unanimité.
La question des incitations financières pour le déploiement à grande échelle du CSC
Sur ce point, les discussions autour des mécanismes supplémentaires visant à amélio- rer la rentabilité des projets pour les investis- seurs sont à surveiller :
Au sujet du financement des projets par le recyclage d’une plus grande part du revenu des enchères, les amendements adoptés par la commission enVi veulent envoyer un signal fort aux pays en développement (proposition de dédier 50 % du revenu des enchères à un fonds international) mais proposent également de dédier les 50 % res- tants aux mesures nationales de réduction, à la R&D, à la promotion des énergies renou- velables, etc. les installations de cSc (sur les centrales charbon et un certain nombre de secteurs industriels) ainsi que les instal- lations de R&D dédiées sont incluses parmi les bénéficiaires, mais sans indication des volumes dévolus, la liste établie par la com- mission n’établissant en effet aucune prio- rité.
Au sujet de la mise en réserve de quotas pour les futures installations de cSc, l’amen- dement 16 proposé par Karl-hein Florenz (qui instaurait notamment un seuil d’éli- gibilité et des conditions sur la part d’in- vestissement privé) a été rejeté tandis que l’amendement de compromis d’avril Doyle a été accepté. ainsi, 500 mt seront réservés jusqu’au 31/12/2016, pour les installations de démonstration de grande échelle (établies en europe, dans les économies en transition ou pays en développement ayant ratifié le futur accord international. ceci constitue un « double crédit » que permet la vente de ces quotas (voir analyse des points de négocia- tions) : les projets de démonstration béné- ficient de quotas gratuits pour l’ensemble des émissions captées sur la durée de vie de l’installation et de surcroît, l’opérateur n’a pas à restituer de quotas. cette option peut être mise en place d’emblée au niveau com- munautaire, contrairement à la précédente.
Les questions de responsabilité en cas de fuites et de couverture des coûts associés
La question du transfert de responsabilité de l’opérateur vers l’autorité compétente de l’État membre fait débat. il y a un consensus sur le retour vers l’autorité compétente du site de stoc- kage et le fait que l’autorité peut se retourner vers le dernier opérateur en date pour couvrir les coûts en cas de fraude ou négligence. Reste en débat la proposition du rapporteur chris Davies d’établir une garantie financière et un fonds per- mettant de couvrir les coûts en cas de retrait de permis. le rapporteur propose en effet la créa- tion d’un instrument financier ad hoc : les opé- rateurs contribueraient à un fonds chaque année pendant la phase d’exploitation et jusqu’au trans- fert de responsabilité. le fonds pourrait être uti- lisé par l’autorité compétente en cas de retrait de permis et de non recouvrement des coûts auprès de l’opérateur des mesures correctives éven- tuellement mises en œuvre. cette contribution transfère le risque de l’État vers l’opérateur pour lequel cependant cette disposition constitue une charge financière supplémentaire.
Analyse des points de négociations
Il faut tout d’abord souligner que les propo- sitions introduites par les parlementaires vont bien au-delà des incitations que se proposait de déployer la commission. cette « déviation » des capacités financières vers le cSc, constitue un arbitrage politique fort et une forme de pari sur la faisabilité de la technologie, qui reste cepen- dant encore à démontrer. le temps de la décision intervient à un moment charnière : il reste en effet nécessaire de démontrer si cette techno- logie pourra contribuer ou non aux efforts de réduction massifs au niveau international, et ce, d’ici 2020. cet arbitrage, s’il est retenu, a un coût : ce sont autant de ressources non dédiées à des technologies plus mâtures et dont la « vertu » est avérée, comme les mesures d’efficacité énergéti- que ou les énergies renouvelables (voir discus- sion sur le coût d’opportunité). Rappelons que la vocation initiale des propositions et plus large- ment de l’ambition de la politique climatique de la commission concerne en priorité des efforts significatifs sur l’efficacité énergétique et sur les énergies renouvelables.
Le déploiement massif du cSc est encore enta- ché d’incertitudes, les preuves de son efficience technique et économique devant encore être faites aux échelles envisagées. Dans ce contexte, les propositions de cadre législatif pour le cSc lèvent les questions de responsabilité des opérateurs sur le long terme, ce qui s’adapte bien aux horizons temporels d’investissement du secteur privé. les incitations économiques reviennent à allouer des quotas gratuitement aux installa- tions de cSc, un traitement « d’exception » par rapport à la vocation initiale du paquet climat. ainsi, un opérateur de cSc ne doit pas restituer de quotas pour les émissions stockées et bénéfi- cie d’un coût évité en comparaison des centra- les électriques sans cSc (pas d’achat de quotas aux enchères) mais il peut également revendre des quotas qui lui ont été attribués gratuitement et dont il n’a pas besoin pour sa conformité. ce mécanisme revient à une subvention à l’inves- tissement. il constitue également une forme de valve de sécurité pour l’exploitant en cas de contre-performance du système de captage et stockage.
Cette incitation économique, pour être effi- cace, dépend cependant du prix qui s’établira sur le marché, prix auquel pourront être valorisés ces quotas. au–delà de la volatilité du marché, c’est bien l’équilibre de long terme qui suscitera ou non les incitations économiques suffisantes pertinentes assurant la rentabilité du cSc. cet équilibre de long terme dépend de la conception même du Sceqe et notamment du fait que le volume total des quotas distribués soit bien éta- bli donc suffisamment contraignant pour garan- tir un prix durablement élevé assurant une garantie de retour sur investissement pour une technologie comme le cSc. ceci sera inhérent à l’aboutissement d’autres discussions en cours sur le paquet climat : en particulier, les limites imposées au recours aux crédits mOc/mDP ou encore la mise aux enchères de quotas sont des éléments susceptibles de maintenir les prix du marché à des niveaux élevés.
De façon plus générale, l’usage du revenu des enchères est un enjeu majeur des discussions, au regard notamment du coût d’opportunité du revenu généré, lié aux choix sur l’usage de ce revenu. les Pays membres ont revendiqué dans les débats leur droit à disposer du reve- nus des enchères, les usages escomptés pou- vant recouper d’autres types de recyclage dans l’économie que des incitations au dévelop- pement des technologies propres (tels que le financement des systèmes de santé, de retraite etc...). a contrario de ces revendications, les propositions de la commission enVi redi- rigent l’intégralité du flux vers des mesures d’accompagnement du Paquet climat ou vers les besoins exprimés par les pays en dévelop- pement pour effectuer leur transition vers une économie moins intense en carbone.