Le règlement européen sur la production et le commerce de produits chimiques, REACH, marque une avancée en Europe. Jouera-t-il un rôle d'exemple dans d'autres régions du monde ?

 

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Bien que  la question de la gestion des risques liés aux produits chimiques ait été présente dès les premières politiques environnementales, il n’existe toujours pas d’accord international contraignant couvrant l’ensemble de ces substances. L’Union euro- péenne (UE) a pris l’initiative d’élaborer un nouveau règlement, REACH (Evaluation, auto- risation et restriction des produits chimiques), qui traite de la production, du commerce, y compris de l’importation de ces produits sur le marché européen. Dans quel contexte se situe REACH ? Au-delà de l’Europe, quel peut-être son impact et peut-il jouer un rôle d’exemple ?

Des problèmes globaux, une réponse internationale fragmentée

Les pollutions chimiques affectent les pays de manière contrastée. Les pays en dévelop- pement et, de manière de plus en plus aiguë, les pays émergents connaissent des situations sanitaires et environnementales alarmantes, voire catastrophiques du fait de concentrations élevées dans leur environnement de métaux, pesticides et produits chimiques industriels. Pour leur part, les pays industrialisés ont su réduire voire maîtriser ces pollutions. En re- vanche, tous les pays subissent des pollutions diffuses de produits chimiques, en augmenta- tion rapide, qui peuvent migrer sur de longues distances, voire s’accumuler dans les systèmes biologiques. L’alerte a été donnée par l’inciden- ce croissante de maladies chroniques, telles que les allergies ou l’asthme, largement dues à des facteurs environnementaux, et de certains can- cers, favorisés par ces mêmes facteurs.

Cependant, dans bien des cas, les effets sur la santé humaine de l’exposition à un ou plu- sieurs produits chimiques sont mal connus. Et la crainte est grande que les savoirs ne progres- sent que trop lentement pour orienter l’action politique, en particulier lorsque l’on recherche des énoncés scientifiques certains. Les problè- mes méthodologiques sont nombreux et rejoi- gnent les raisons qui rendent les débats d’ex- perts peu conclusifs : difficultés à extrapoler à l’homme les résultats de tests toxicologiques sur les animaux, à isoler les effets d’un pro- duit de ceux d’autres produits ou facteurs en- vironnementaux, ou encore à évaluer les effets conjugués de plusieurs substances. Enfin, les dommages se manifestent souvent bien après l’exposition, comme dans le cas de l’amiante. De telles sources d’incertitude s’ajoutent à cel- les dues au manque de données toxicologiques et écotoxicologiques, ainsi que sur les condi- tions d’exposition. Les pollutions diffuses de produits chimiques constituent donc une si- tuation de précaution par excellence.

La communauté internationale a réagi en mettant en place les conventions de Stockholm et de Rotterdam sur les polluants organiques persistants (POP). Entrées en vigueur en 2004, la première restreint le commerce et l’utilisa- tion des POP les plus dangereux, dont des pes- ticides, et la seconde institue des procédures d’information et de consentement entre États, préalables à l’importation de ces polluants. Il s’agit d’un progrès majeur pour l’action in- ternationale. Récemment, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a développé une « Approche stratégique pour la gestion internationale des produits chimi- ques », qui instaure un cadre large mais non contraignant. Cependant, l’action internationa- le ne semble pas à la hauteur des dommages et des risques associés à l’intensification du com- merce international des produits chimiques.

L’initiative européenne REACH

En Europe, si certains produits dangereux comme l’amiante ou le DDT sont réglemen- tés voire interdits, les risques liés à l’usage des nombreux produits chimiques présents sur le marché européen, plus de 100 000, sont encore mal identifiés et leurs caractéristiques mal cir- conscrites. C’est le cas des perturbateurs endo- criniens pour lesquels il est encore difficile de définir de manière satisfaisante des tests d’éva- luation des risques. Mais ils sont loin d’être les seuls. La réglementation européenne, qui a connu des évolutions depuis les années 1970 (cf. encadré 1), s’est avérée inefficace pour col- lecter des données suffisantes et fiables sur les dangers des produits chimiques commerciali- sés et sur les risques associés à leurs usages. Or, celles-ci sont indispensables pour encadrer le commerce de ces produits. Ce constat a conduit l’Union européenne à procéder à la refonte de son cadre réglementaire sur les produits chi- miques, en élaborant un projet de règlement, REACH.

Les objectifs de REACH

REACH s’applique à toutes les substances chimiques, existantes et nouvelles (cf. enca- dré 2). L’objectif premier est de combler le dé- ficit accumulé de connaissances. La responsa- bilité et la charge de fournir des données sur les dangers et les risques des substances repo- sent sur les producteurs et les importateurs en Europe – les entreprises utilisatrices devant en déclarer les usages. Cette mesure, qui consti- tue un renversement de la charge de la preuve pour les substances existantes, fait peser des responsabilités nouvelles sur les industriels et a des implications juridiques fortes en cas de dommage. Une procédure d’autorisation est instituée. Celle-ci permet de restreindre ou d’interdire la production et l’usage d’une subs- tance, commercialisée ou non, pour un délai fixé. Cette disposition, qui constitue la clé de voûte de la mise en œuvre de la précaution dans REACH, a fait l’objet de vives critiques de la part des producteurs. Bien qu’elle ait été aménagée en prenant notamment en compte certains facteurs socioéconomiques, elle de- vrait inciter à mettre au point des substituts plus sûrs aux substances les plus dangereuses.

REACH cherche par conséquent à enclen- cher une dynamique d’innovation en traitant de la même manière substances anciennes et nouvelles et en renforçant la responsabilité des acteurs économiques. Il s’efforce de concilier les objectifs de transparence et de compétiti- vité industrielle.

Le jeu des acteurs

Suite à une demande du Conseil des minis- tres de l’Union européenne en 1999, la Com- mission européenne publie, en 2001, un livre blanc sur la « Stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques ». Le Conseil et le Parlement européens réagis- sent positivement. La Commission rédige alors un projet de règlement, qui est rendu public et soumis à consultation sur Internet en 2003. Des chefs d’État et de gouvernement critiquent le projet, aux Etats-Unis, en Asie, mais égale-ment en Europe. Aux nombreux messages re- çus par Internet – plus de 60 000 – s’ajoutent les réactions et commentaires de lobbies vé- hiculés par les médias. Six mois plus tard, la Commission publie un texte substantiellement modifié, la proposition de règlement REACH. Celle-ci fait de nouveau l’objet de nombreuses réactions. Alimentées par des études d’impact commandées par la Commission, certains États membres et des ONG, les discussions opposent violemment industriels, ONG et syndicats.

Après avoir été examiné en première lecture au Parlement européen en novembre 2005, REACH est discuté au Conseil des ministres de l’UE en décembre. Plusieurs questions font l’objet d’âpres discussions : missions à confier à l’Agence européenne des substances chimi- ques, critères d’autorisation des substances dangereuses, modalités visant à assurer l’équi- libre entre la plus grande transparence possi- ble des données relatives aux dangers et aux usages des substances et la confidentialité né- cessaire à la poursuite d’activités économiques fortement concurrentielles. Un consensus est trouvé : un accord politique est obtenu à l’una- nimité au Conseil.

L’adoption du règlement prévue à l’automne 2006 devrait conduire à l’entrée en vigueur dans les États membres dès 2007.

Analyse

Même si, chemin faisant, le projet a été subs- tantiellement modifié, le compromis trouvé à ce stade est satisfaisant dans le contexte euro- péen. En effet, celui-ci est marqué par la prio- rité donnée à la compétitivité économique et par la réticence des nouveaux États membres à renforcer les normes environnementales.

Le projet prévoit plusieurs dispositions à l’intention des petites et moyennes entrepri- ses, nombreuses dans le secteur de la chimie, afin de les aider à remplir leurs obligations : mutualisation de certaines données sur les substances – obligatoires pour les données is- sues des tests toxicologiques sur des vertébrés, volontaires pour d’autres ; mission de conseil et d’assistance technique des autorités compé- tentes des États membres.

La dynamique d’innovation que REACH vise à enclencher sera un élément clé de son effica- cité. De fait, si le règlement n’introduit pas de nouveau régime de responsabilité, les respon- sabilités renforcées pour les industriels et les incitations à l’innovation s’y trouvent étroite- ment liées. Ainsi, le fabricant d’une substance dangereuse sera encouragé à rechercher des substituts, soit par la procédure d’autorisation, soit par ses clients, soucieux de réduire leurs propres risques. Ceci devrait modifier les rela- tions contractuelles entre producteurs et utili- sateurs.

L’Agence européenne des produits chimi- ques, créée par REACH et basée à Helsinki, est chargée d’orchestrer l’ensemble du dispositif. La mise en œuvre de celui-ci comme le bon fonctionnement de l’Agence reposeront sur la capacité des États membres à mobiliser leurs experts de manière coordonnée et synergique. S’ils parviennent à combler ou à anticiper leurs manques, les États pourront se partager les domaines d’excellence, voire en développer de nouveaux. En revanche, un pays dont les ressources en experts sont faibles se limitera au suivi de la gestion communautaire, ce qui pourrait se révéler contraire aux intérêts de son industrie chimique. Par ailleurs, le succès de REACH dépendra de manière cruciale des moyens de gestion et de contrôle.

Retour sur le paysage international

Nombreux sont les pays qui traitent diffé- remment les substances commercialisées avant ou après une certaine date (États-Unis, Canada, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande, Chine...). Si certains pays industrialisés, dont les États- Unis, ont accueilli REACH de manière critique, d’autres, comme le Canada, suivent des démar- ches proches. Les États-Unis ont pour leur part choisi de porter l’effort sur les substances pro- duites en grandes quantités et sur celles au con- tact direct des enfants. Par ailleurs, l’adoption à l’échelle mondiale d’un système harmonisé de classification et d’étiquetage élaboré au sein de l’OCDE constitue l’un des principaux objectifs de l’ « Approche stratégique pour la gestion internationale des produits chimiques » déve- loppée par le PNUE. Une telle harmonisation devrait profiter aux fabricants de produits chimiques, y compris hors de l’OCDE. Ceux-ci auront en outre intérêt à se conformer à REACH s’ils veulent rester sur le marché européen. Ceci concerne en particulier l’Inde et la Chine, où l’industrie chimique se développe rapidement.

Cela étant, les défis que pose le développe- ment durable pour le secteur de la chimie sont d’une telle ampleur qu’il est utile de s’interro- ger sur le mode d’action internationale per- mettant de les relever : réorienter et modifier à terme certaines activités du secteur de la chi- mie afin de préserver les ressources fossiles et diminuer les pollutions engendrées ; observer et suivre l’état de santé des populations et de la pollution environnementale sur l’ensemble de la planète, ce qui exige des moyens financiers importants et une forte coordination interna- tionale ; établir une expertise sur les dangers et les risques validée à l’échelle internationale, ce qui requiert d’innover dans les modalités de partage de données relatives à des activités con- currentielles. Enfin, dans les pays développés comme dans les pays émergents en forte crois- sance comme la Chine, l’histoire des dernières décennies pointe la nécessité urgente d’élabo- rer des réglementations nationales et régiona- les compatibles entre elles, encadrées par des actions internationales contraignantes permet- tant d’en assurer l’application.

REACH constituera-t-il un premier pas dans cette direction en créant un effet d’entraîne- ment dans les pays émergents ? C’est en tout cas l’un des principaux paris qui a présidé à son élaboration.

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