La récente réunion du conseil d’administration du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a fort légitimement souligné le besoin de réforme de la gouvernance internationale de l’environnement (GIE) dans la perspective du sommet de Rio qui se tiendra en 2012 (appelé « Rio+20 »). Ainsi, dans son édition du 24 février, Le Monde relatait la substance des débats sous le titre: « Trop de conventions sur l’environnement nuit à l’environnement ». Plus de 500 instruments juridiques internationaux, un dispositif organisationnel illisible, une inefficacité quasi pathologique de l’ensemble… Il paraît donc a priori urgent de remettre de l’ordre dans le système, de simplifier et rationaliser un dispositif de gouvernance que personne ne semble maîtriser dans sa globalité et qui peine à atteindre les résultats qu’on attend de lui — à peu de choses près : sauver la planète. Si le constat est quasi unanimement partagé, les bases sur lesquelles cette discussion s’engage, apparemment empreintes de bon sens, nous apparaissent cependant inappropriées. Soulignons d’entrée les effets pervers d’un tel raisonnement : l’action environnementale, aussi maladroite et inefficace soit-elle parfois, ne nuit pas à l’environnement. Bien sûr, la frustration est immense dans les rangs de ceux qui se battent pour l’environnement face au paradoxe qui caractérise aujourd’hui leur combat : « La communauté de ceux qui se soucient de l'environnement (…) ne cesse de grandir, de se sophistiquer et d'accroître son influence, elle lève des fonds considérables, et pourtant, les choses vont de pire en pire. » [1] En ce sens, il est effectivement primordial de chercher à augmenter l’efficacité de l’action. Néanmoins, les principales causes de dégradation de l’environnement sont à rechercher en dehors des arrangements juridiques et institutionnels : augmentation de la population mondiale et de sa consommation énergétique, surconsommation des ressources renouvelables comme le bois ou les stocks halieutiques, développement des agrocarburants, explosion de la demande d’huile de palme, urbanisation galopante… La surexploitation des ressources marines Autant de moteurs de l’accroissement des pollutions ou de la destruction des habitats naturels qui sont largement hors du champ d’intervention des accords multilatéraux sur l’environnement. De même, au-delà des éventuelles faiblesses du cadre institutionnel dans lequel sont prises les décisions, c’est bien le contenu de celles-ci, et leurs impacts sur l’environnement, qui pose aujourd’hui problème. Que ce soient les politiques agricoles soutenant activement l’assèchement des zones humides ou la construction de gigantesques barrages hydroélectriques qui, désormais au nom de la lutte contre le changement climatique, bouleversent le régime hydraulique des rivières et affecte la qualité de leurs eaux, la destruction des écosystèmes relève largement de choix politiques qu’il ne revient pas à la gouvernance internationale de l’environnement de contrarier. De même, le non-respect des avis scientifiques dans le domaine de la pêche, en Europe et ailleurs, conduit à une surexploitation catastrophique des ressources marines. Il est ainsi clair que les tendances mondiales de long terme, comme les multiples décisions qui scandent la dégradation continue de l’environnement, ne peuvent qu’échapper à la GIE, même si elle était rationalisée. Le cas du thon rouge en Méditerranée montre bien que ce ne sont pas tant les défaillances de l’organisation responsable (la CICTA) ou le chevauchement supposé de ses responsabilités avec celles de la Convention de Barcelone ou de la CITES qui sont en cause: c’est bien la prise active de décisions clientélistes par certains ministres en charge des pêches, en toute connaissance de cause, qui pose aujourd’hui problème. En réalité, à trop se regarder le nombril, les experts de la GIE et leur focalisation sur les réformes de leur propre champ d’action fournissent involontairement des excuses aux acteurs, privés et publics, qui trainent déjà les pieds pour modifier leur comportement — et dont nous ne doutons pas qu’ils accueilleront avec bienveillance cette volonté de réforme de la gouvernance internationale. Soyons néanmoins constructifs: ce n’est pas parce que les errements de la gouvernance internationale de l’environnement ne sont pas la source des maux qui frappent la planète qu’il ne faut pas essayer de les traiter. Oui, des rationalisations sont possibles, tant au niveau des conventions que des organisations internationales. On pourrait, par exemple, envisager des rapprochements entre secrétariats, sous l’égide des conventions les plus englobantes, comme celle sur la diversité biologique, vis-à-vis de celles, plus partielles, sur les zones humides (Ramsar), les espèces migratrices (Bonn), ou sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES). De même, des liens plus systématiques pourraient être établis entre les instances régionales chargées de la protection du milieu marin et celles dédiées à la gestion des pêches, qui partagent toutes les deux une même ambition: la préservation de la biodiversité marine. Il n'est pas forcément nécessaire de tout renégocier Des aménagements sont ainsi certainement possibles sans entrer dans une impossible renégociation des textes eux-mêmes, qui sont pour la plupart le fruit d’accouchements douloureux, cristallisant l’état des préoccupations, des rapports de force et des connaissances scientifiques à un moment donné, parfois déjà lointain. Plus largement, on peut également étudier la possibilité de transformer le PNUE en agence spécialisée des Nations unies — et œuvrer à un élargissement de son mandat comme de son portefeuille — sans pourtant qu’il faille en attendre des avancées considérables en termes d’autorité effective et de coordination. Les travaux en ce sens d’ici Rio+20 seront donc limités, mais utiles. Cependant, ne soyons pas naïfs : au-delà de réarrangements marginaux, la prodigieuse complexité du dispositif de gouvernance internationale de l’environnement est fondamentalement irréductible. Il faudra vivre — et agir — avec, pour au moins deux raisons : l’une relevant de la logique des acteurs, l’autre des concepts qui fondent l’action environnementale. D’abord, ce dispositif fragmenté, qui n’a pas été conçu comme un « système », a une logique à défaut d’avoir une rationalité d’ensemble. Chacun des instruments qui le composent est mobilisé de façon ad hoc par les acteurs de l’environnement pour agir de la façon la plus adaptée possible à des situations et objets très disparates. Par ailleurs, le dispositif a une histoire, il correspond à des préoccupations diverses et a structuré l’action publique et privée bien au-delà des secrétariats des conventions. Depuis le tissu associatif des ONG (Wetlands International serait-elle ce qu’elle est devenue sans la convention Ramsar ?) jusqu’aux organismes de recherche en passant par les administrations sectorielles, organisations et programmes de travail sont souvent calqués sur les conventions et engendreraient une inertie que l’on sous-estime face à des changements profonds. Plus rédhibitoire encore, le consensus est inimaginable tant les intérêts des États, des organisations et des individus sont divergents: enjeux de pouvoir, enjeux économiques, culturels, politiques… Tenter de rationaliser en profondeur un dispositif qui n’a pas été conçu comme tel mènerait à des négociations sans fin et vouées à l’échec. En second lieu, les objets dont se préoccupe chaque sous-partie du dispositif sont des constructions scientifiques, sociales ou politiques. Cela pose un double problème. D’une part, ce qui est biodiversité marine pour l’un est mer pour l’autre, support de transport maritime pour le troisième. Ce qui est zone humide pour l’un est réserve d’eau pour l’autre, foyer de malaria pour le troisième et habitat d’oiseaux migrateurs pour le quatrième. Comment dès lors tomber d’accord pour regrouper des conventions ? Typiquement, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer ne saurait être placée sous la houlette de celle sur la biodiversité, mais quid du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture ? Et qui prétendrait que les négociations en cours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les subventions à la pêche, dont les implications pour la biodiversité marine sont majeures, devraient être placées dans le cadre de la CDB ? Quant à la CITES, sa place n’est-elle pas justement dans le giron de l’OMC plutôt que dans celui de la CDB ? L'évolution des temps La liste des cas hybrides est infinie, alors que les raisonnements «de bon sens» s’appuient systématiquement sur les cas les plus simples. En outre, notre regard sur ces objets de droit change dans le temps : de nouveaux problèmes sont révélés, de nouveaux concepts complètent ou remplacent les précédents, et nous les redéfinissons constamment : en ce sens, la biodiversité «n’existait pas» il y a trente ans, pas plus que les polluants organiques persistants ou les ressources génétiques. Dès lors, même si une vaste rationalisation du dispositif intervenait à un moment donné, cela ne pourrait être qu’un accident momentané, une anomalie qui serait rapidement effacée. La gouvernance internationale de l’environnement est donc irrémédiablement complexe. Il s’agit moins d’essayer de la simplifier pour mieux la piloter, que de l’influencer, d’insuffler progressivement aux dispositifs en place des changements qui soient favorables à l’atteinte d’objectifs donnés. En d’autres termes, le trop-plein de textes et d’institutions, la répartition complexe des rôles et compétences tant décriés et auxquels est souvent opposée l’idée d’une structure unique de gouvernance, ne peuvent être simplifiés que de façon marginale. Ils ne constituent pas un défaut passager du système, ni une aberration administrative conjoncturelle. Ils n’ont d’ailleurs jamais paralysé l’action ni empêché les acteurs d’environnement de remporter des succès majeurs : le nombre croissant d’espèces dont le commerce est régulé par la CITES, tout comme la réduction drastique des captures de baleines depuis l’entrée en vigueur du moratoire en constituent quelques exemples significatifs. Dès lors, à ceux qui cherchent désespérément le « pilote dans l’avion », selon les termes de l’article du Monde cité précédemment, nous répondons que ne sommes pas et ne serons jamais face à un A380 volant vers une destination déterminée (le développement durable ?) : la GIE est plutôt un ensemble d’escadrilles de biplans à hélices dont on ne peut obtenir de résultats qu’en montant à bord de chaque appareil pour l’orienter. La simplification du dispositif n’est d’ailleurs pas le seul sujet possible de réforme de la gouvernance internationale de l’environnement à l’ordre du jour de l’année qui vient : les mécanismes de contrôle du respect des obligations et de sanction, aujourd’hui désespérément faibles dans le cadre des accords multilatéraux sur l’environnement, mériteraient sans doute une attention au moins égale. De même, n’oublions pas que certains domaines souffrent encore de vides juridiques majeurs — la gestion de la haute mer et l’encadrement des activités off shore, par exemple — que la communauté internationale devrait s’attacher à combler au plus vite, quitte à ajouter des textes supplémentaires à l’édifice existant. [...]
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