Compte rendu de l’atelier sur l’affichage environnemental organisé par l’Iddri et l’Ambassade de la Nouvelle-Zélande le 10 avril 2012.

Article :

1. INTRODUCTION

Depuis une dizaine d’années, les initiatives d’information environnementale destinée à éclairer les décisions d’achats des consommateurs se développent, témoignant de l’intérêt accru des acteurs privés et publics pour ce domaine. Une première initiative fut le concept, controversé, de food miles (kilomètres alimentaires), représentant la distance parcourue par les aliments du champ au consommateur. La forme et le contenu de l’information environnementale ont évolué au fil des ans, pour progressivement intégrer une grande variété d’informations et d’indicateurs environnementaux (Vergez, 2012). Pendant les années 2000, ce sont les acteurs privés, et en particulier les distributeurs, qui ont été à l’origine de ces initiatives ; aujourd’hui, les acteurs publics commencent à jouer un rôle plus actif : des processus expérimentaux sont actuellement en cours en France (conformément à l’article ?4 de la loi Grenelle I et à l’article 22? de la loi Grenelle II) et au niveau de l’Union européenne (avec l’European Food Sustainable Consumption and Production Roundtable – table ronde européenne sur la production et la consommation durables –, et au sein de la direction générale de l’environnement de la Commission européenne).

Le secteur agroalimentaire est particulièrement concerné par ces processus. D’un côté, les consommateurs sont extrêmement sensibles aux caractéristiques environnementales des aliments qu’ils consomment, en raison des liens, prouvés ou perçus, entre leur production et les impacts sur l’environnement et la santé. De l’autre, de multiples étiquetages indiquant l’origine, la méthode de production, etc., s’appliquent déjà aux produits alimentaires. Certains de ces labels sont directement associés à des modes de production écologiques, comme l’agriculture biologique ou le Marine Stewardship Council pour les produits de la pêche.

Afin de mettre en évidence les zones de convergence entre toutes les parties prenantes et d’identifier les points qui restent à débattre, l’Iddri et l’Ambassade de la Nouvelle-Zélande à Paris ont organisé en avril 2012 un atelier sur l’affichage environnemental. Cet événement a réuni des représentants des pouvoirs publics, des consultants qui produisent des informations et des affichages, des distributeurs, des producteurs de produits alimentaires, des organisations de consommateurs, des organisations internationales et des universitaires. Le présent document synthétise les principaux sujets de discussion et présente les possibles étapes ultérieures.

2. QUELS OBJECTIFS POPUR L'INFORMATION ENVIRONNEMENTALE ?

Les dispositifs d’affichage des informations environnementales ciblent généralement trois objectifs : (1) permettre au consommateur d’avoir accès à davantage d’informations environnementales et, ce faisant, (2) induire un changement dans les pratiques de la chaîne de production et d’approvisionnement, ainsi qu’au niveau du consommateur, (3) en vue d’avoir un impact positif sur l’environnement.

Ces dispositifs visent principalement à ajouter une dose substantielle d’information quantitative à l’information qualitative fournie par les affichages plus classiques (volaille élevée en plein air, agriculture biologique…), ainsi que des renseignements concernant les écogestes (conseils sur la quantité de produits nécessaire, pratiques permettant d’économiser de l’énergie, etc.). Si l’on peut se demander lesquelles, des informations qualitatives ou quantitatives, sont les plus à même d’améliorer l’impact environnemental de nos modes de consommation, on peut estimer que les deux sont complémentaires, puisqu’elles fournissent des renseignements très différents, et qu’elles peuvent aussi intéresser des catégories de consommateurs différentes : certains peuvent être plus sensibles au changement climatique, auquel cas l’empreinte carbone du produit sera l’indicateur privilégié, tandis que d’autres peuvent être davantage désireux de connaître les méthodes de production en elles-mêmes, et leurs liens avec le bien-être des animaux.

Compte tenu du foisonnement des informations déjà disponibles (des food miles à l’empreinte carbone, en particulier pour les biocarburants, et à une empreinte environnementale plus large), il devient nécessaire de disposer de procédures permettant d’assurer que les informations sont à la fois robustes (exactitude des données et méthode scientifique adéquate) et accessibles aux consommateurs. Une étiquette apposée sur le produit qui présente l’empreinte environnementale constitue certes une manière possible de communiquer de l’information aux consommateurs, mais il en existe bien d’autres, et l’on peut choisir d’y inclure ou non des données en valeur absolue. La question centrale ne tient pas tant à la création d’un nouvel affichage, mais bien à la communication d’informations environnementales au sein de la chaîne d’approvisionnement, pour l’échange d’informations entre les entreprises (B2B, business to business) et d’informations destinées à renseigner les consommateurs finaux (B2C, business to consumers).

Le deuxième objectif de l’affichage environnemental est d’influencer les pratiques de consommation en permettant aux consommateurs d’intégrer, au fil du temps, ces informations dans leur comportement d’achat. Certains participants considèrent qu’il est fondamental de mettre des informations à la disposition des consommateurs si l’on veut inciter les producteurs et l’industrie agroalimentaire à changer leurs pratiques de production et de transformation1. De manière générale, on considère qu’il est utile que l’affichage puisse donner à voir les améliorations continues dans la chaîne d’approvisionnement, c’est-à-dire d’utiliser l’affichage non pas pour rendre compte d’informations statiques, mais pour documenter les évolutions et améliorations des pratiques le long de la chaîne alimentaire, ainsi que les avancées vers l’efficience de l’utilisation des ressources.

Enfin, l’ultime objectif de ces dispositifs, est que cet infléchissement des pratiques produise des effets positifs sur l’environnement. De nombreux participants se sont montrés prudents : selon eux, au regard des campagnes de santé publique ou de l’étiquetage nutritionnel déjà lancés, cette évolution s’opérera à moyen ou long terme. D’autres rappellent que le processus d’apprentissage n’est pas toujours aussi long : certains dispositifs d’affichage environnemental ont rapidement produit des effets, à l’instar de l’affichage énergétique des appareils électroménagers. Et même si certains consommateurs peuvent avoir besoin d’un long délai d’apprentissage, dans le même temps, les entreprises, se familiarisant avec le système d’empreinte, commenceraient à réduire leur impact, de façon à accroître l’efficience de leur utilisation des ressources. Cependant, comme l’ont souligné certains participants, contrairement aux appareils électroménagers, lorsqu’il s’agit de produits alimentaires, un recul de l’impact sur l’environnement n’est pas nécessairement synonyme d’« avantage » immédiat et personnel pour les consommateurs, sous la forme, par exemple d’une amélioration du goût ou de bienfaits pour la santé ou encore d’une baisse des prix.

3. QUELLES MÉTHODES ET INDICATEURS PRIVILÉGIER ?

L’affichage environnemental s’est d’abord intéressé aux food miles, puis à l’empreinte carbone. Néanmoins, en s’attachant à un seul type d’impact, ces efforts en négligeaient d’autres, ainsi que les éventuels liens entre eux. Actuellement, la France et l’UE visent le développement de la notion d’empreinte environnementale (avec un vaste ensemble d’indicateurs), au lieu de se focaliser sur la seule empreinte carbone des produits. Toutefois, cette dernière reste au coeur des efforts : elle n’apporte pas seulement des renseignements sur l’impact en termes de changement climatique, impact clé motivant en partie le développement de ces informations, mais c’est aussi l’indicateur disposant de la méthodologie la plus pointue pour mesurer les émissions, en faire état et en attribuer la responsabilité – une méthodologie qui fait l’objet d’un consensus international. En ce qui concerne l’agriculture et l’alimentation, on évoque souvent, outre le carbone, les effets sur l’eau et la biodiversité (entre autres impacts potentiels, comme la pollution atmosphérique ou l’exploitation de ressources non renouvelables) : l’agriculture est le premier utilisateur d’eau douce à l’échelle mondiale ; c’est également le secteur économique qui occupe la plus grande superficie. C’est pourquoi les pratiques agricoles ont un impact fondamental sur l’eau (en termes de quantité et de qualité, à cause de la pollution) et sur la biodiversité, et la transformation des produits agricoles en produits alimentaires se fait au prix d’impacts supplémentaires sur l’environnement.

Pour pouvoir communiquer des informations environnementales quantitatives, il est indispensable de disposer de données scientifiques solides. La palette des questions méthodologiques est vaste : Qu’essayons-nous de mesurer ? Sur quelle échelle ? À quel moment ? À quel coût ? À l’intention de qui ? Les impacts sur l’environnement peuvent être aussi bien négatifs que positifs : l’adoption d’une nouvelle technique agricole, par exemple, peut accroître ou diminuer la biodiversité des terres. L’analyse du cycle de vie peut prendre en compte les informations négatives comme positives. Afin de dresser un tableau précis des impacts environnementaux, nous pourrions recueillir des données au niveau des exploitations agricoles, mais cette méthode pose des problèmes à la fois techniques et financiers. Techniquement, elle nécessite un effort d’enquête bien plus lourd, une vaste participation des agriculteurs et un mode de traçage sophistiqué pour déterminer, par exemple, de quelle exploitation et de quels produits proviennent tel ou tel produit alimentaire. Du point de vue financier, compte tenu du cahier des charges du recueil de données, les coûts d’entrée seraient élevés pour les producteurs, en particulier pour les petits producteurs et/ou ceux des pays en développement, qui resteraient ainsi exclus de ce mécanisme. En conséquence, la plupart des dispositifs prévoient une agrégation de données, à différentes échelles, pour chaque type de production : niveau régional, niveau national, etc.

In fine, le niveau de données requis et la définition de la catégorie de produits dépendent de ce que vous cherchez à mettre en évidence. Voulez-vous que les consommateurs puissent différencier deux produits équivalents, mais provenant de régions différentes ? Ou deux marques différentes proposant des produits équivalents ? Ou différents types de viande ou de légumes ? Faire la différence entre des produits carnés et des options végétariennes ? Certains de ces choix relèvent de la conception, nous y reviendrons, mais ils sont aussi fonction des données recueillies et des méthodes de recueil de données.

L’information environnementale offre aux producteurs la possibilité de mettre en avant les spécificités de leurs produits par rapport à ceux des autres (il s’agit là d’une incitation au changement), puisqu’elle leur donne l’occasion de démontrer les mérites de leurs propres produits. Toutefois, la différenciation ne fonctionne que si elle s’appuie sur des données solides et sur des méthodes communes et harmonisées, sous peine d’engendrer des litiges entre entreprises dénigrant les méthodes des unes et des autres. L’éventail des incertitudes concernant les données à l’intérieur d’une catégorie de produits peut être plus important que ce qui différencie cette catégorie (de produits alimentaires) d’une autre. En conséquence, pour de nombreux participants, il est peut-être trop tôt pour avancer des comparaisons entre produits équivalents. En outre, il convient de continuer à prendre des mesures visant à améliorer la communication sur les incertitudes. Pour le moment, on observe, parmi les entreprises qui s’essaient à l’information environnementale, une tendance à ne pas faire la distinction entre plusieurs producteurs d’un même produit, mais certains outils sont suffisamment souples pour replacer, en cas de besoin, les données générales concernant un produit dans un ensemble spécifique de données relatives à telle ou telle catégorie.

La plupart des participants à l’atelier se sont accordés pour affirmer qu’une fois les données collectées, les analyses en cycle de vie (ACV) constituaient la meilleure méthode disponible pour analyser ces données et agir en fonction des résultats de cette analyse. Toutefois, ils ont aussi soulevé deux questions. L’ACV a été utilisée pendant un certain temps dans les discussions B2B dans le but d’identifier les points critiques, dits hot spots, au sein de la chaîne d’approvisionnement et de surveiller les améliorations sur la durée. Certains participants ont souligné qu’il y avait là un arbitrage important à opérer entre l’exhaustivité de l’évaluation d’impact et le coût qu’engendre l’affichage des informations environnementales à l’intention des consommateurs : plus la définition des impacts est précise, plus il est coûteux de recueillir cette information, si bien qu’au final, l’information est plus onéreuse. D’après certains, on pourrait réduire ce coût en utilisant des méthodes plus simples que l’ACV. Ils affirment que, comme la communication B2C requiert moins d’informations (uniquement l’impact final du produit sur l’environnement, et non son allocation à chaque phase de la production), il semble judicieux d’utiliser des méthodes plus simples. Ainsi, certains participants proposent de fonder l’information environnementale sur les dispositifs déjà en place, tels que la procédure française de certification environnementale des exploitations agricoles. En revanche, pour d’autres, l’ACV demeure la meilleure solution : tout d’abord, elle pourrait, et devrait, inclure les impacts « à domicile » (la phase de l’utilisation), en fonction, par exemple, des déchets et des modes de cuisson ; ensuite, même si les consommateurs peuvent n’être intéressés que par l’impact global, leur confiance dans l’affichage environnemental pourra être renforcée s’ils peuvent voir à quoi les chiffres finaux sont imputables. Enfin, communiquer ces chiffres aux consommateurs pourrait être un moteur du changement sur toute la chaîne alimentaire. Outre les avantages et inconvénients de l’ACV, les participants ont soulevé diverses questions méthodologiques lors du séminaire, dont certaines concernaient tous les indicateurs, alors que d’autres étaient spécifiques à un indicateur.

La biodiversité est l’un des indicateurs qui suscitent le plus grand intérêt : la représentation des incidences sur la biodiversité est cruciale si l’on veut permettre aux étiquettes et plus généralement aux dispositifs d’information environnementale de mieux rendre compte des impacts sur l’environnement. Pourtant, il existe un certain nombre d’écueils méthodologiques, mis en lumière par les multiples indicateurs de la biodiversité proposés dans l’essai français. Premièrement, les impacts sur la biodiversité sont locaux, mais peuvent avoir des conséquences mondiales (par exemple sur les oiseaux migrateurs). Deuxièmement, selon le lieu, une même pratique agricole réduira ou favorisera la biodiversité : par exemple, l’élevage extensif sur des herbages permanents ou semi-permanents peut avoir des effets positifs, tandis que si, pour ce même élevage extensif, il est nécessaire de pratiquer de la déforestation, les impacts pourront se révéler nettement délétères. Ainsi, ce qui importe n’est pas seulement la méthode de production, mais son lieu d’utilisation. Troisièmement, le niveau de l’exploitation agricole n’est pas nécessairement le plus pertinent pour mesurer les impacts sur la biodiversité : le niveau du bassin hydrologique ou du paysage peuvent être plus adaptés, puisque les animaux passent d’une exploitation à l’autre, que le pollen voyage, etc. Quatrièmement, il n’y a pas de solution aisée au débat entre la préservation/ le partage des terres : certains oiseaux, habitant de vastes forêts, ne pâtiront pas de l’utilisation de techniques agricoles plus intensives, tandis que d’autres oiseaux, dont l’habitat dépend des terres agricoles, en pâtiront directement. Dès lors, compte tenu des difficultés auxquelles nous restons confrontés lorsque nous essayons de mesurer l’impact sur la biodiversité, la plupart des participants prônent le recours à des variables de substitution : impact sur les espèces menacées, indicateur des oiseaux des milieux agricoles, mesures agro-environnementales (telles que la jachère ou les infrastructures écologiques), etc.

L’eau en tant qu’indicateur couvre des aspects quantitatifs et qualitatifs, qui peuvent les uns comme les autres avoir des impacts différents suivant le lieu du captage et la production/transformation du produit : une forte consommation d’eau dans une région touchée par la sécheresse, la pollution d’un écosystème particulièrement sensible, etc. Les participants ont insisté sur la difficulté d’élaborer un seul indicateur pour l’eau, malgré les travaux de recherche poussés et les données abondantes qui ont été recueillies, mais il semble que l’on avance sur la question, et les discussions sur la norme ISO 14046 sont prometteuses. En attendant, dans l’expérimentation française, les dimensions quantitatives et qualitatives relatives à l’eau continuent de former des indicateurs distincts, et l’on évalue la qualité de l’eau sur la base de deux types de pollution : l’eutrophisation et l’écotoxicité.

Enfin, les efforts se heurtent à des difficultés méthodologiques transversales pour différents indicateurs. L’allocation des impacts, tant le long de la chaîne alimentaire qu’entre les produits, sous-produits et co-produits, se révèle particulièrement importante. Pour les besoins de la communication B2C, la nécessité d’utiliser l’ACV complète, du champ à l’assiette (et aux déchets), et non plus seulement du champ au magasin, est en train de s’imposer, car les consommateurs doivent être capables de prendre en compte leur propre impact sur l’empreinte laissée par les produits. Mais c’est l’allocation entre les différents co-produits, par exemple entre le lait, la viande et le cuir, ou entre l’huile de soja et les tourteaux de soja/ la farine de soja, qui pose le plus de difficultés. Il existe pour ce faire différentes méthodes, qui proposent de répartir les impacts en fonction de la masse de chaque co-produit, ou de son prix. Ce qui compte tout particulièrement, c’est que le choix de la méthode d’allocation, qui est un choix arbitraire, s’opère dans la transparence, avec la coopération de tous les acteurs concernés. De plus, comme certains produits agricoles peuvent servir à la fabrication de produits non alimentaires (par exemple le maïs, le soja ou le sucre pour les biocarburants) et que l’empreinte de ces derniers a déjà été mesurée, les démarches actuelles d’affichage des caractéristiques environnementales de ces produits, considérés comme des denrées alimentaires, peuvent bénéficier de ces expériences antérieures et doivent être compatibles avec elles.

Ces différents arbitrages induisent un tiraillement qu’il est possible de résoudre et de trancher en concevant un format (à quoi elle ressemble) et un support (où elle est placée) judicieux pour l’information environnementale.

4. COMMENT CONCEVOIR UNE BONNE PRÉSENTATION DE L'INFORMATION ?

Les participants ont débattu de la forme que doit revêtir l’information environnementale pour être la plus utile aux consommateurs. L’expérimentation française ne requiert pas de présenter l’information environnementale sous la forme d’une étiquette ; l’étiquetage ne constitue qu’un moyen d’informer parmi d’autres. Mais la plupart des participants à l’expérimentation ont choisi d’y recourir, chacun à sa manière. L’information peut être présentée directement sur le produit luimême, sur le ticket de caisse, sur le Web, par des panneaux en magasin, par des flashcodes, par des applications pour smartphones, etc. Il est possible de combiner différents supports de communication, et d’apposer par exemple des informations simples sur les produits en les complétant par des informations plus détaillées en ligne.

Ces différentes solutions doivent prendre en compte trois sortes d’écueils potentiels : l’arbitrage entre données robustes et information accessibles, la présentation simultanée de plusieurs impacts environnementaux et l’organisation de la comparaison entre produits.

L’information, surtout si elle revêt la forme d’une étiquette apposée sur le produit, doit pouvoir être comprise facilement par les consommateurs. Toutefois, elle doit également être fiable, et la fiabilité de l’information quantitative, par opposition à l’information qualitative de type « élevé en plein air », dépend de la robustesse des données et de la méthodologie. Pour certains participants à l’atelier, l’origine des données (par exemple des données exclusivement publiques et transparentes) peut en garantir la fiabilité, alors que pour d’autres, la meilleure garantie résidera dans leur exactitude, et donc dans l’utilisation de données de plus en plus spécifiques, provenant souvent de sources privées, ainsi que dans l’élaboration d’un affichage dont les méthodes pourront être actualisées.

On retrouve ce tiraillement entre robustesse des données et lisibilité de l’information dans les discussions sur les mérites comparés de l’affichage multicritères et des étiquettes présentant un résultat agrégé. Pour certains, les résultats agrégés, intégrant différents impacts environnementaux, voire socio-économiques, constituent le meilleur moyen de toucher les consommateurs. Pour d’autres, il importe de montrer aux consommateurs les multiples facettes des impacts environnementaux. La question de la pondération des différents impacts occupe une place centrale dans ce débat : les entreprises doivent-elles décider, par exemple, qu’un impact carbone « élevé » est tout aussi préjudiciable qu’un impact « élevé » sur la biodiversité, ou doit-on laisser les consommateurs choisir le type de dégradation environnementale qui les préoccupe le plus ? La présentation de l’affichage attribue une certaine valeur aux différents impacts environnementaux ou plus vastes. Cette évaluation doit s’opérer en toute transparence, sur la base de méthodes de pondération et d’agrégation claires et accessibles à tous. De même, la conception de l’affichage peut faciliter certaines comparaisons, ou au contraire les rendre plus difficiles. Ainsi, lorsque l’on n’utilise qu’une seule échelle pour exprimer l’impact (agrégé, ou pour le carbone) de tous les produits alimentaires, toutes les viandes et tous les poissons se retrouveront regroupés à l’extrémité de l’échelle exprimant l’impact le plus néfaste. Cette pratique envoie un message (les produits à base de viande et de poisson produisent un impact environnemental plus fort que les légumes ou les céréales), mais empêche les comparaisons au sein d’une même catégorie, par exemple entre la viande de poulet et la viande de boeuf, ou entre les mangues et les pommes. Pour répondre à ce besoin de procéder à des comparaisons au sein d’une même catégorie de produits, certains participants proposent d’utiliser une échelle double : une échelle générale pour tous les produits et une échelle permettant les comparaisons entre produits alimentaires équivalents/substituables.

Il faut par ailleurs décider de la manière de regrouper les produits : faut-il prévoir une distribution égale entre toutes les notes (c’est-à-dire 5 produits obtenant la note A, 5 produits obtenant la note B, etc.), ou faut-il mettre en avant les valeurs aberrantes et les distributions effectives (la plupart des produits obtiennent la note C, un produit obtient la note A, et un autre obtient la note E) ? Le système de notation doit-il dépendre des résultats obtenus par les produits (les meilleurs produits obtiennent un A) ou être défini par rapport à un critère établi en valeur absolue (seuls les produits se traduisant par des émissions de GES inférieures à une certaine valeur peuvent recevoir un A, alors même qu’il est possible qu’aucun des produits ne remplisse ce critère) ? Toutes ces décisions influent sur la manière dont les consommateurs vont réagir au label, et n’induisent pas les mêmes incitations pour les producteurs.

Ce débat sur la conception de l’affichage ne fait que commencer. L’expérimentation française a favorisé l’émergence d’une multitude d’affichages desquels nous devons tirer les leçons. En outre, les participants ont souligné la nécessité de tirer les enseignements des autres types d’affichage qui ont réussi à influencer le comportement des consommateurs : étiquetage nutritionnel, labels régionaux, etc. À titre d’avertissement, il est précisé qu’alors que les étiquettes s’adressent à la partie cognitive de notre cerveau, les recherches sur le comportement d’achat ont montré c’est que la partie non cognitive de notre cerveau qui nous pousse à effectuer la majeure partie de nos achats alimentaires ; pour elle, la simple présence d’une étiquette, indépendamment de la note, bonne ou mauvaise, suffit souvent à déclencher une décision d’achat.

5. PROCESSUS ET GOUVERNANCE

Les programmes d’information et d’affichage environnemental des produits se multiplient. Au-delà du débat sur les objectifs et les méthodes que devraient choisir ces programmes, l’atelier s’est également intéressé aux questions du processus et de la gouvernance.

Les intervenants ont commencé par souligner l’importance d’une vaste participation. La diversité des expériences représentées lors de l’atelier a permis de mieux cerner les questions non résolues, les avancées réalisées et les points sur lesquels nous avons atteint un consensus à partir duquel il est possible de travailler. S’agissant des processus d’information et d’affichage, la participation se justifie d’abord parce qu’elle renforce la légitimité des résultats (un arbitrage transparent est nécessaire, par exemple sur l’allocation), et parce qu’elle met à profit la créativité de tous, ce qui produit un affichage plus réussi.

En donnant des directives minimales aux entreprises, les laissant libres de suivre leur intuition sur l’aspect de l’affichage et les éléments qu’il devrait intégrer, etc., l’expérimentation française a abouti à un large éventail de propositions qui se révèle riche d’enseignements. Toutes les données et toutes les méthodologies ne sont pas parfaites; il faut poursuivre les travaux sur ces deux dimensions, et des efforts sont en cours aux niveaux français, européen et international. Toutefois, en autorisant cette approche qui admet le droit à l’erreur et permet d’apprendre de l’expérience, cette expérimentation a mis en lumière certaines questions de premier plan (par exemple la controverse persistante sur la manière de mesurer les impacts sur la biodiversité), qui auraient pu dans le cas contraire être négligées. Grâce à cette expérimentation, divers producteurs et distributeurs (et dans une certaine mesure les consommateurs) ont pu se familiariser avec l’information et l’affichage environnemental et apporter une contribution directe, constructive et transparente à l’élaboration de l’action publique.

Toutefois, parce qu’elle fait suite à des initiatives privées engagées en France et dans d’autres pays, l’expérimentation française a rouvert le débat sur le type de gouvernance requis et sur le niveau auquel elle doit s’opérer. Le rôle des autorités publiques et des entreprises privées, la nécessité d’un affichage uniforme, ou au contraire d’une diversité d’approches, le niveau d’action le plus efficace (national, européen, international) et la conformité aux règles de l’OMC sont autant de questions qui n’ont pas encore trouvé de réponses.

6. LES PROCHAINES ÉTAPES

En rassemblant les parties intéressées d’horizons les plus divers (consultants, producteurs, distributeurs, organisations de consommateurs, organisations internationales, autorités publiques, universitaires), cet atelier a donné lieu à des discussions franches sur les objectifs, les méthodes, la conception et les processus d’affichage de l’information environnementale. Les participants ont mis en évidence les points faisant consensus et les questions à résoudre. Voici quelques-uns des points consensuels :

  • La nécessité, lorsque l’on réfléchit à la présentation des informations environnementales sur les produits, de tenir compte non seulement de l’empreinte carbone, mais de l’empreinte environnementale dans sa diversité.
  • La nécessité d’améliorer la compilation des données et d’harmoniser les méthodologies au fil du temps.
  • La nécessité de mettre à profit la créativité de tous, et de rassembler une grande diversité d’acteurs publics, privés et de la société civile lors de ces débats.
  • L’utilité d’une expérimentation illustrant les écueils potentiels et les solutions possibles.
  • L’utilité de tirer les enseignements des expériences antérieures d’affichage (sur la qualité de l’environnement, les aspects nutritionnels) et d’information environnementale (empreinte des biocarburants, etc.).

Sur les aspects qui restent vivement débattus, nous pouvons déceler plusieurs points requérant que l’on poursuive les recherches et les efforts d’innovation, et certains d’entre eux appellent un choix (politique/privé ?) :

  • Les bienfaits de l’affichage environnemental et d’autres formes de présentation de l’information environnementale comme moyen d’infléchir les pratiques des consommateurs (s’agissant, par exemple, des écogestes) ou des producteurs (s’agissant des ACV réservées exclusivement au dialogue B2B, ou de la crainte d’un coût d’entrée potentiellement élevé pour l’affichage).
  • La méthodologie relative à la biodiversité : pour cet impact en particulier, il est possible d’innover et d’imaginer un meilleur indicateur (par exemple une valeur de substitution adéquate).
  • La conception de l’affichage : étiquette ou autre type d’information, agrégation ou pas, une ou deux échelles, sur le produit ou ailleurs, toutes les possibilités ont leurs partisans.
  • Le rôle respectif des acteurs publics et privés : les autorités publiques doivent-elles se contenter d’orienter les initiatives des acteurs privés ou doivent-elles en prendre les commandes ? Quels instruments faut-il utiliser ?
  • Le rôle respectif des initiatives et institutions nationales, européennes et mondiales : si tous les participants conviennent qu’une action européenne et, en fin de compte, mondiale serait préférable, cela signifie-t-il que tous les projets locaux et nationaux doivent être suspendus jusqu’à ce qu’un accord mondial soit conclu (par exemple au sein de l’OMC), ou doivent-ils au contraire être poursuivis ?

En s’appuyant sur les travaux effectués dans le cadre de ce premier atelier, l’Iddri et l’ambassade de la Nouvelle-Zélande à Paris vont s’efforcer de faire avancer les débats sur l’affichage environnemental au niveau français et de l’UE en organisant un second atelier sur ce sujet dans les mois à venir.

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