Les États-Unis ont publié hier les détails de leur contribution nationale (INDC, intended nationally-determined contribution) aux négociations internationales en cours sur le changement climatique, qui devraient se conclure par un nouvel accord à la fin de l’année à Paris. Cette étape fait suite aux récentes annonces de la Suisse, de l’UE, de la Norvège et du Mexique. Les États-Unis étant la plus grande économie mondiale et le deuxième plus grand émetteur de gaz à effet de serre, cette contribution donne une forte impulsion aux négociations, à un moment où les autres grands émetteurs préparent leurs propres contributions.
1. L’INDC renforce-t-elle l’ambition de l’action climatique du pays ?
Conformément à l’annonce faite par les États-Unis et de la Chine en novembre 2014, les États-Unis s’engagent à « réduire leurs émissions de 26 à 28 % d’ici 2025 par rapport aux niveaux de 2005 et à faire tous les efforts possibles pour les réduire de 28 % ». Ces objectifs restent compatibles avec la cible d’une réduction de 83 % d’ici 2050 (annoncée à Copenhague), elle-même compatible avec des scénarios de maintien sous la limite de 2°C, comme le montre le rapport du GIEC. Le rapport DDPP des États-Unis montre qu’une réduction de 26 à 28 % des émissions en 2025 est une étape essentielle pour parvenir à une réduction de 80 % d’ici 2050. Cela ne signifie pas que les mesures mises en œuvre pour atteindre l’objectif de 2025 sont suffisantes en soi, mais elles permettront de préparer le terrain pour des réductions d’émissions plus importantes après 2025, si des politiques et mesures supplémentaires sont introduites de manière adéquate et en temps opportun.
Cette annonce relève considérablement l’ambition par rapport aux tendances récentes et aux engagements passés des États-Unis. En particulier, les émissions nettes totales des États-Unis ont chuté de 11 % entre 2005 et 2011, ce qui signifie que le pays a encore beaucoup à faire pour atteindre son objectif de -17 % en 2020. Cette annonce constitue donc une réaffirmation et un approfondissement de l’engagement pour 2020.
En outre, comme le souligne l’INDC, « pour atteindre la cible de 2025, il faudra une réduction supplémentaire de 9 à 11 % des émissions au-delà de la cible de 2020 par rapport à la référence de 2005, ainsi qu’une accélération substantielle du rythme annuel de réduction entre 2005 et 2020, de 2,3 à 2,8 % par an, soit un quasi doublement ». Les États-Unis ne seront pas en mesure d’atteindre un tel niveau d’ambition en se reposant uniquement sur la poursuite des tendances actuelles, notamment celle de faibles prix du gaz induits par la révolution du gaz de schiste.
Le choix des États-Unis de ne pas mentionner l’adaptation dans cet INDC est conforme à leur position dans les négociations. Cependant, de nombreuses mesures aux niveaux fédéral, des États et local ont été prises, comme l’Executive Order Preparing the United States for the Impacts of Climate Change. Il aurait été intéressant de retrouver dans l’INDC plus de références à ces politiques de résilience au changement climatique et à ses impacts.
De même, il est assez surprenant qu’il n’y soit pas fait mention du financement. Même si les États-Unis ne considèrent pas que l’INDC soit le lieu approprié pour évoquer ce sujet, une simple reconnaissance des besoins et des efforts nécessaires pour faire face au financement, au transfert de technologies et au renforcement des capacités aurait envoyé un signal positif aux autres pays. On peut espérer que les prochains mois seront l’occasion pour les États-Unis de clarifier ces points.
En ce qui concerne la transparence, l’INDC des États-Unis précise le calendrier, la portée et la couverture de l’engagement du pays (indications sur les gaz et les secteurs couverts, toutes les émissions et absorptions, pour l’année de référence 2005) et fournit des détails sur les hypothèses et les approches méthodologiques utilisées, notamment en ce qui concerne l’usage des sols et la (non)-utilisation de mécanismes de marchés internationaux. Le fait que l’INDC souligne la cohérence de son approche avec le US Greenhouse Gas Inventory et invite les lecteurs à trouver des informations complémentaires sur le site Internet de l’Environmental Protection Agency est une étape encourageante vers l’accessibilité complète de ses méthodes : calculs, modèles, données, etc. Ces deux éléments font de l’INDC des États-Unis un document plutôt transparent, offrant un bon exemple de la façon dont les pays pourraient décrire– et à l’avenir rendre compte de – leurs émissions de manière transparente.
Il est intéressant de noter que le pays ne justifie pas vraiment en quoi sa contribution peut être considérée comme équitable. Il ne se réfère qu’à sa trajectoire d’émissions, et affirme que ses objectifs sont compatibles avec la cible de 2°C, tout en reconnaissant que « des réductions substantielles des émissions mondiales » seront nécessaires pour rester en dessous de 2 degrés Celsius. Ce faisant, les États-Unis insistent sur la nécessité d’un « effort collectif de plus grande portée », plutôt que sur des informations nationales (telles que ce qui était présenté dans les contributions précédentes : réduction des émissions/habitant, réduction des émissions passées, etc.) qui auraient pu éclairer sur l’équité de sa contribution.
2. Comment le pays compte-t-il atteindre l’objectif de l’INDC ?
Il est intéressant de noter que parallèlement à son INDC, le pays publie des « informations fournies en vue de faciliter la clarté, la transparence et la compréhension », comprenant des détails plus spécifiques sur les « lois, règlements et mesures domestiques » qui pourraient être utiles pour atteindre son objectif. Il énumère également quelques-unes des actions entreprises par l’administration Obama, mais reste plutôt vague sur les actions de long terme. Cette communication est une étape encourageante permettant de s’écarter d’un débat exclusivement centré sur les émissions de GES pour accorder une plus grande attention à la mise en œuvre de l’objectif, à savoir les politiques et mesures.
Dans leurs communications officielles précédentes, en particulier dans le Climate Action Plan de 2013, les États-Unis avaient relativement clairement détaillé les mesures qui seraient déclenchées principalement par le pouvoir exécutif du Président, et en vertu du Clean Air Act, ainsi que de certaines parties de l’Energy policy Act et de l’Energy Independence and Security Act.
Les principaux éléments de cet ensemble de mesures sont les réglementations sur les centrales électriques nouvelles et existantes, qui visent à accélérer la diminution des émissions liées à la production d’électricité au-delà de la baisse de 16 % par rapport aux niveaux de 2005 qui a déjà été réalisée (pour d’autres raisons, notamment le gaz de schiste). Le Clean Power Plan, qui établira un cadre flexible permettant aux États de limiter leurs émissions de carbone, devrait permettre de réduire les émissions du secteur de l’électricité de 30 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005.
Le deuxième pilier est constitué des normes et réglementations du secteur du transport routier (qui représente aujourd’hui 27 % des émissions liées à la combustion de carburants fossiles aux États-Unis) : il s’agit là de la seule marge de manœuvre réelle pouvant avoir une incidence sur les émissions liées au transport dans un contexte de bas prix du pétrole et d’une incapacité structurelle à faire adopter par le Congrès une fiscalité plus importante sur l’énergie. L’administration a déjà adopté des règlements visant à plus que doubler l’efficacité du parc de véhicules légers d’ici 2025. En 2011, elle a également établi les premières normes de consommation de carburant et de gaz à effet de serre pour les véhicules moyens et lourds construits jusqu’à l’année modèle 2018 (un des très rares programmes de réglementation des camions et autobus existant aujourd’hui à l’échelle mondiale), qui doivent être révisées en 2015 et prolongées jusqu’en 2025.
Un troisième pilier concerne la réglementation dans le secteur du bâtiment (grâce à des normes en matière d’économies d’énergie par exemple) et les normes d’économie d’énergie sur les appareils électriques. Le secteur des bâtiments résidentiels et commerciaux représente 77 % de la production d’électricité des États-Unis et 34 % de la consommation totale d’énergie du pays. Il est donc crucial d’améliorer l’efficacité énergétique des appareils électriques.
Des analyses sur le long terme décrivant les mesures d’atténuation à différentes échelles de temps (comme l’analyse DDPP des États-Unis) peuvent également être riches en informations et aider à évaluer la faisabilité de l’objectif de l’INDC. En effet, la question cruciale est de savoir si une mise hors service anticipée du capital installé est nécessaire pour atteindre l’objectif de l’INDC, ce qui représenterait un risque de coûts potentiellement élevés. Ceci est particulièrement important pour les infrastructures à longue durée de vie (notamment les centrales électriques, les chaudières industrielles ou les véhicules lourds) qui ne seront renouvelées qu’une seule fois au cours des prochaines décennies. Les analyses à long terme prouvent que si les bonnes décisions sont prises (basées sur les durées de vie économique et opérationnelle du capital), cet objectif de l’INDC est compatible avec le taux de renouvellement naturel du capital et donc la cible peut être atteinte sans avoir à assumer les coûts liés à la mise hors service anticipée du capital et au délaissement d’actifs.
3. Comment l’INDC s’articule-t-il avec les autres priorités de la politique nationale ?
Comme c’est le cas dans d’autres pays, l’INDC des États-Unis ne propose pas une intégration complète de l’agenda climatique dans l’ensemble des politiques nationales. Même si de nombreux organismes et secteurs économiques ont été intégrés au processus, les politiques climatiques mentionnées dans l’INDC se limitent aux secteurs de l’énergie et de l’environnement. Toutefois, un élément clé susceptible d’éviter les conflits entre la politique climatique et les priorités économiques et sociales est la prévision de l’évolution des prix de l’énergie et l’estimation des coûts potentiels associés à une transition vers une économie sobre en carbone. Les évaluations économiques des scénarios correspondant au niveau d’ambition de l’INDC démontrent que les incidences sont en fait plutôt modérées.
4. Quels sont les blocages et opportunités (aux niveaux national et international) pour des réductions d’émissions plus importantes ?
L’échéance de 2025 est une étape importante dans la trajectoire vers de faibles niveaux d’émissions. Les transformations à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif doivent nénamoins être envisagées dans une perspective à plus long terme, afin que la décarbonation du système énergétique se poursuive en vue d’une réduction de 80 % en 2050 ; ceci soulève des défis particuliers, l’action à court terme contraignant l’action de long terme.
L’INDC des États-Unis cible des réductions dans les principales secteurs émetteurs du pays – électricité, transports, efficacité – et permet d’éviter une dépendance à long terme vis-à-vis d’infrastructures à fortes émissions (en particulier dans le secteur de l’énergie). Mais différentes voies peuvent être empruntées pour atteindre cet objectif, notamment la décarbonation de l’électricité (qui dépend de l’importance relative des énergies renouvelables, du nucléaire et de la capture et du stockage du carbone [CSC]) et la mise en œuvre des progrès en termes d’efficacité énergétique. Dans ce but, l’interdiction de nouvelles centrales électriques au charbon dépourvues de CSC ou l’augmentation des exigences sur les véhicules et les appareils permettrait d’aller dans la bonne direction. Ainsi, la prochaine étape doit se préparer dès à présent pour garantir la disponibilité de solutions permettant de nouvelles réductions d’émissions après 2025. Cela implique d’ assurer les conditions nécessaires au développement technologique et à la transformation du marché permettant de répondre aux objectifs ambitieux tels que la production d’électricité pratiquement sans carbone, ou encore la distribution d’environ 300 millions de véhicules à carburant de substitution d’ici 2050.
Deuxièmement, de nouvelles réductions seront nécessaires dans certains secteurs, tels que l’industrie, qui n’ont pas encore été abordés. Dans d’autres secteurs, comme celui de l’énergie, les règlements pourraient probablement être renforcés. Cependant, la forte opposition du Congrès empêcherait probablement que de nouvelles mesures soient prises dans ce sens, comme la rénovation des bâtiments, difficile à activer au niveau fédéral.
S’il reste un certains nombre d’angles morts dans la politique américaine, le point le plus important est que les États-Unis sont en mesure de mettre en place ce cadre politique et de démontrer que la décarbonation est économiquement et techniquement faisable. Beaucoup d’entreprises, de villes et d’États sont déjà engagés dans cet effort, et les tendances démographiques et électorales indiquent une augmentation des préoccupations liées au changement climatique.