Premier pays à revenu intermédiaire a soumettre sa contribution prévue déterminée au niveau national (CPDN, INDC en anglais), le 30 mars, soit la veille du délai fixé par la Convention-cadre des nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), le Mexique a envoyé un message fort à la communauté internationale. D’autant que les contributions des grandes économies développées sont toujours attendues. Cela étant, l’évaluation de la CPDN du Mexique doit être faire à partir des informations contenues, pour apprécier les ambitions affichées et le détail des propositions.
Comme il est d’usage sur ce blog, quatre grandes questions vont nous permettre d’analyser l’ambition et la trajectoire synthétisées et quantifiées dans ce document. Rappelons qu’en tant que telles, les CPDN ne fourniront pas forcément de réponses à ces interrogations ; elles doivent être replacées dans le contexte d’ensemble, au regard notamment des politiques et des objectifs nationaux.
1. La CPDN soumise par le Mexique vient-elle conforter les ambitions de l’action climatique du pays ?
Dans ce document, le Mexique définit deux nouvelles cibles :
- une cible inconditionnelle, qui vise à réduire les émissions de gaz à effets de serre (GES) et de polluants climatiques de courte durée (SLCP) de 25 % (22 % pour les GES et 51 % pour le carbone suie [black carbon en anglais] [1]) à l’horizon 2030 par rapport aux niveaux atteints en l’absence de mesures particulières (scénario business-as-usual ou BAU). Cet engagement implique « un pic net d’émissions en 2026 » et le découplage entre la hausse des émissions de GES et la croissance économique par la réduction de l’intensité carbone par unité de PIB d’environ 40 % entre 2013 et 2030 ;
- une cible conditionnelle, qui prévoit une réduction des émissions jusqu’à 40 % en deçà du niveau BAU d’ici 2030 (36 % pour les GES et 70 % pour le noir de carbone), à condition notamment qu’un accord mondial portant sur « une tarification internationale du carbone, des ajustements carbone aux frontières, une coopération technique, l’accès à des ressources financières à moindre coût et un transfert de technologie » soit effectivement trouvé.
C’est la première fois qu’un pays émergent fixe un objectif sans conditions prenant en compte tous les secteurs de l’économie, ce qui est déjà, en soi, un exploit. Le Mexique s’était fixé à Copenhague une cible « ambitieuse et sous conditions » de réduction de ses émissions de GES de 30 % par rapport au niveau BAU d’ici 2020, sous réserve de bénéficier d’une aide financière et technologique adaptée. L’on a du mal à voir comment cet engagement s’articule avec l’annonce récente d’une réduction de 22 % d’ici 2030, puisque la cible précédente paraît plus ambitieuse. De façon notable, la CPDN annonce un pic d’émissions en 2026 alors que l’engagement pour 2020 imposerait que ce pic soit atteint nettement plus tôt, les niveaux actuels d’émissions dépassant déjà la cible de 2020. La comparaison est par ailleurs rendue plus délicate du fait de l’utilisation de niveaux BAU différents pour les cibles de 2020 et de 2030 (le niveau BAU des émissions pour 2020 étant supérieur de 8,7 % au niveau utilisé pour construire l’engagement de Copenhague).
Le Mexique s’est également engagé à réduire ses émissions de 50 % entre 2000 et 2050 – un engagement cohérent avec la volonté de la communauté internationale de contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2° C. Mais le document ne précise pas comment cela s’articule avec les cibles qu’il fixe pour 2030. Selon nos calculs[2], cela équivaudrait à une réduction annuelle d’environ 5 % après 2030 au titre de la cible inconditionnelle, ce qui paraît très ambitieux. La cohérence avec la cible pour 2050 semble plus réaliste dans la cible conditionnelle (une réduction annuelle de 4 % après 2030). Quoi qu’il en soit, rien ne permet de savoir quelles seront les actions engagées pour préparer cette transformation, notamment en termes d’infrastructures, qu’il faut concevoir suffisamment en amont pour qu’elles soient opérationnelles à l’horizon 2030.
2. Quel est le plan du Mexique pour atteindre l’objectif fixé dans la CPDN ? Ce document fournit-il des informations transparentes sur les politiques et les mesures à engager, qui pourraient contribuer utilement à des échanges sur la mise en œuvre des politiques, instaurer la confiance entre les parties et révéler les leviers possibles pour aller encore plus loin ?
Globalement, le document est assez transparent, dans la mesure où il précise le calendrier, le champ d’action et la couverture des cibles de réduction. Il revient en détail sur les hypothèses et l’approche méthodologique adoptées, y compris pour ce qui concerne l’utilisation des terres et le recours aux mécanismes de marché internationaux. Il opère également un distinguo pour le carbone suie, ce qui permet de souligner son rôle singulier dans les efforts d’atténuation (même si la compatibilité de ces réductions d’émissions avec la cible de 2 °C est délicate à apprécier étant donné les incertitudes entourant son potentiel de réchauffement). Mais le document ne donne aucun détail sur les émissions de GES autres que le CO2.
La CPDN du Mexique mentionne plusieurs politiques, notamment la Loi générale sur le changement climatique (2012), la stratégie nationale en matière de changement climatique, la taxe carbone et la réforme de l’énergie. Mais toutes ces mesures paraissent insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Les prévisions effectuées dans le cadre des politiques actuelles tablent sur des émissions de GES supérieures à 800 Mt de CO2 en 2030, soit moins que l’annonce d’une baisse de 20 % en deçà du niveau BAU. Pour être réalisée, la cible de la CPDN exigerait un retournement rapide des tendances actuelles ainsi que des mesures et des politiques additionnelles plus ambitieuses. Le texte aurait gagné à s’attarder sur ces mesures supplémentaires.
De fait, la cible inconditionnelle prévoit une baisse de l’intensité d’émission par unité de PIB de 40 % entre 2013 et 2030. Nous comparons cette estimation aux résultats de l’analyse de la plateforme DDPP[3] sur la décarbonation profonde, consacrée au secteur de l’énergie. Plusieurs scénarios ont modélisé les mutations socioéconomiques à envisager pour réduire les émissions de carbone et ont démontré ainsi la faisabilité d’une réduction de 30 % à travers le déploiement de technologies à faibles émissions de carbone et de mesures d’efficacité énergétique. Le chiffre proposé ici résume l’ampleur du défi sur le plan des politiques énergétiques nationales mais aussi l’importance de la réduction des émissions hors secteur de l’énergie.
3. Comment la CPDN s’articule-t-elle avec les autres priorités de la politique nationale ? S’inscrit-elle dans une stratégie cohérente de développement économique et social ?
La CPDN du Mexique renvoie à de nombreuses législations et politiques nationales en vigueur, essentiellement dans le secteur du climat et de l’énergie. Des informations sur les mesures supplémentaires envisagées par le pays à l’avenir – et la manière dont elles seront coordonnées d’un secteur à l’autre – auraient été utiles.
Notons que le document évoque les co-bénéfices de son action climatique, qu’ils se déclinent en effets sociaux, sanitaires ou de bien-être. Le Mexique prévoit ainsi un ciblage des émissions de carbone suie : des politiques de réduction de la combustion de biomasse en milieu rural et des émissions de diesel dans le secteur des transports pourraient effectivement contribuer à limiter le réchauffement global tout en améliorant la qualité de l’air et en évitant d’importants problèmes sanitaires. Le pays a déjà lancé des projets de suivi de ces émissions dans quelques villes, afin de mieux cibler leurs sources et de les réduire.
La CPDN du Mexique revient également en détail dans une annexe sur la question de l’adaptation. L’approche suivie suppose des synergies entre mesures d’atténuation et mesures d’adaptation. Le document commence par expliquer la vulnérabilité du pays et les principaux facteurs de risque, avant d’analyser les dispositions prises pour protéger la population, en particulier en termes de sécurité alimentaire, d’accès à l’eau et de protection contre des événements météorologiques extrêmes. À cette fin, la stratégie d’adaptation vise spécifiquement les secteurs et infrastructures stratégiques (de l’agriculture à l’élevage en passant par les mines et le tourisme) pour préserver leur productivité et leur compétitivité. Elle décrit les processus (plans d’adaptation et de réduction des risques) et les résultats (baisse de 50 % au moins du nombre de municipalités particulièrement vulnérables). Le texte insiste aussi sur les mesures d’adaptation axées sur les écosystèmes, couvrant à la fois la préservation de la biodiversité (l’une des cibles vise à mettre fin à la déforestation d’ici 2030) et l’utilisation des services écosystémiques pour restaurer et protéger les aires en danger.
Pour être efficaces, les mesures d’adaptation doivent reposer sur une appréciation des risques et de la vulnérabilité du pays, et une explication des stratégies poursuivies par le pays pour y faire face. La CPDN du Mexique est à cet égard un modèle intéressant pour montrer comment les pays pourraient explique leur manière d’assumer leurs responsabilités intérieures, et ainsi servir de base au partage d’expériences et à l’identification de domaines où des progrès supplémentaires sont nécessaires et où une coopération bilatérale/régionale/internationale peut se révéler utile.
Le Mexique insiste aussi sur une application des politiques respectueuse des droits de l’homme et de l’égalité des sexes – un point essentiel quand on sait que les femmes et les pauvres seront les premiers concernés par les mesures d’adaptation.
Enfin, le texte évoque le processus participatif de consultation qui a présidé à la définition du texte : « différentes parties prenantes ont été consultées […], y compris des organisations non gouvernementales, des chercheurs et des représentants d’entreprises privées de tous les secteurs, lors de séminaires et de consultations organisés dans tout le pays ». Notons cependant que ce processus n’aura duré que 10 jours.
4. Quels sont les blocages et les opportunités (nationaux et internationaux) pour approfondir la réduction des émissions ? Pouvons-nous identifier à partir de la CPDN des domaines d’action publique nationale et de coopération internationale susceptibles de renforcer progressivement les ambitions des contributions (aujourd’hui et demain) ?
La communauté internationale espère parvenir à un accord mondial sur « une tarification internationale du carbone, des ajustements carbone aux frontières, une coopération technique, l’accès à des ressources financières à moindre coût et un transfert de technologie ». Mais cette formulation reste vague et une définition plus explicite des outils, instruments et processus à mobiliser serait utile. En jeu notamment, deux domaines essentiels pour la coopération internationale : la recherche, le développement et la diffusion des technologies, qui nécessitent la définition d’actions concertées ; et des mécanismes financiers assurant une allocation adéquate des fonds et permettant la concrétisation dans les délais des investissements requis. Le rôle que le Mexique envisage de jouer dans ces processus internationaux n’est pas évoqué.
Le Mexique et les États-Unis ont annoncé la constitution d’un groupe de travail inter-agences sur les énergies propres et le climat, qui sera présidé par le secrétaire américain à l’Énergie, Ernest Moniz, et le ministre mexicain de l’Environnement, Juan Jose Guerra Abud, dans le but « de resserrer la coordination des politiques et des réglementations dans certains domaines précis, y compris l’électricité propre, la modernisation du réseau, les normes s’appliquant aux appareils électriques et l’efficacité énergique, mais aussi pour promouvoir des flottes de véhicules plus efficaces énergétiquement dans les deux pays, des modèles climatiques mondiaux et régionaux, les prévisions météorologiques et des systèmes d’alerte précoce ». Ce groupe pourrait constituer un modèle intéressant de coopération bilatérale concrète, au service d’ambitions plus poussées.
[1] Le carbone suie est la composante des particules fines qui absorbe la plus la lumière et qui, en filtrant les rayons du soleil et en assombrissant la surface du globe, influe sur le climat. Il naît de la combustion incomplète des combustibles fossiles, des biocarburants et de la biomasse.
[2] Estimations simples tirées des niveaux d’émission cités dans la CPDN.
[3] Le Deep Decarbonization Pathways Project est une plateforme de recherche constituée par l’Iddri et le Sustainable Development Solutions Network (SDSN) pour analyser les trajectoires nationales de transition à long terme à l’horizon 2050 et compatibles avec l’objectif d’un réchauffement contenu à 2° C. Cette plateforme réunit à ce jour 16 pays qui représentent ensemble 75 % des émissions dans le monde.