La session de négociation de la CCNUCC organisée à Bonn le mois dernier a été l’occasion de francs échanges conceptuels sur une composante essentielle du nouveau régime climatique qui sera mis en place à la COP21 : la transparence de la mise en œuvre. Ces échanges ont contrasté avec les débats sur les autres sujets de négociation, largement embourbés dans des questions de procédure. C’était une occasion très importante pour les pays d’échanger et de faire converger leurs positions, un consensus devant être atteint d’ici décembre sur les principes directeurs du nouveau système de transparence, qui seront inscrits dans l’Accord de Paris (voir notre billet précédent et la publication de l’Iddri sur le nouveau système de transparence dans le cadre de l’Accord de Paris).
Les pays sont convenus que le nouveau système de transparence devait se fonder sur le système actuel, mis en place à Cancun en 2011 et imposant des processus de déclarations et d’examens semestriels pour les pays développés et en développement. Les négociateurs des pays en développement ont été particulièrement inflexibles sur ce point, en le précisant à plusieurs reprises.
Cependant, un élément de taille a été esquivé.
Pour l’instant, moins de 10 % des pays en développement participent effectivement au système de transparence actuel. En effet, à ce jour, seuls 13 d’entre eux ont soumis leur premier rapport biennal actualisé, qui devait être remis en décembre 2014. C’est dans ce rapport, fondamental dans le système actuel de transparence, que les pays en développement présentent leurs inventaires d’émission de gaz à effet de serre (GES) et les progrès réalisés dans la mise en œuvre des mesures d’atténuation.
Ce décalage flagrant entre l’insistance des négociateurs pour que le nouveau système se base sur le système actuel et l’absence générale de soumissions n’a pas été relevé dans la salle des négociations. À l’extérieur, plusieurs pays en développement ont justifié leur retard, ou expliqué celui des autres, par un ensemble de facteurs, par exemple : il faut du temps pour renforcer la capacité institutionnelle nationale permettant de produire les informations devant être communiquées, le financement en provenance des pays développés est arrivé trop tard pour commencer dans les temps, ou encore les retards bureaucratiques internes n’ont pas permis de respecter les délais.
Ces difficultés montrent également qu’en termes de rapports biennaux, les pays en développement ne partent pas du même niveau que les pays développés (qui tous, ce qui est révélateur, ont soumis dans les temps leurs rapports biennaux à l’échéance prévue de janvier 2014). Jusqu’à présent, les pays en développement étaient uniquement invités à soumettre de temps en temps un rapport général de « Communications Nationales » (ce qu'ils ont généralement fait tous les cinq à six ans), et beaucoup d’entre eux employaient souvent des consultants externes pour le faire. En revanche, les pays développés doivent de longue date soumettre des informations plus régulièrement (inventaires annuels des GES et Communications nationales tous les quatre ans).
Les pays en développement sont également confrontés à des défis d’ordre statistique. Les difficultés touchent non seulement les pays les moins développés et les petits pays aux capacités institutionnelles limitées, mais aussi les grandes économies émergentes comme la Chine, dont les données sur les émissions de GES récemment révisées varient considérablement par rapport aux données recueillies précédemment.
Ces difficultés sont reconnues et prises en compte dans les directives pour l’établissement des rapports biennaux actualisés, adoptées par les Parties à la COP17. Les directives appellent d’abord les pays développés à aider financièrement les pays en développement à pallier leur manque de capacités. Un bon aperçu de la situation actuelle ne peut émerger que d’une analyse détaillée des conditions de financement pays par pays, comprenant des informations comme : la date à laquelle le pays a demandé le financement, quand il a été décaissé, et quel pourcentage des frais de déclaration des informations est couvert par le financement. Or, actuellement, seule une fraction de l’information est disponible publiquement [1].
En outre, la date limite de décembre 2014 n’était pas totalement définitive. Les directives stipulent en effet que les pays en développement « devraient » soumettre leur rapport à cette date (le terme « devraient » ayant une connotation plus douce que « doivent »), reconnaissant ainsi que les pays en développement ont besoin de plus de temps et de flexibilité pour leur premier rapport. Toutefois, les directives imposent par la suite une nouvelle obligation pour les pays en développement, qui doivent établir des rapports deux fois par an (le terme utilisé dans ce cas est « doivent »).
En dépit de ces réalités et de ces limites, l’absence de rapports biennaux actualisés reste préoccupante car elle concerne le nouveau régime climatique que l’Accord de Paris entend instituer.
Tout d’abord, comment un nouveau système de transparence censé encourager les pays à augmenter leur ambition au fil du temps peut-il être créé sur la base du système de transparence actuel, si la participation des pays en développement au système actuel est insuffisante pour tirer des enseignements dans un délai convenable ? La publication récente de l’Iddri sur le nouveau système de transparence montre que l’étude des directives du système actuel ne suffit pas pour tirer des enseignements sur les forces et les faiblesses – seuls les rapports peuvent montrer la façon dont les pays les interprètent et les appliquent. Il ne reste que quelques années pour définir les rouages du système de transparence (d’ici 2020) et le temps imparti pour tirer des enseignements est relativement court. Il est donc primordial que les pays en développement soumettent leurs rapports biennaux actualisés dès que possible.
En outre, il est encore trop tôt pour dire si les retards de soumission des rapports biennaux actualisés sont normaux pour une première série de soumissions, ou s’ils trahissent un manque profond de ralliement et d’adhésion au système de transparence actuel. Pourtant, cette dernière possibilité devrait préoccuper tous les pays qui veulent que l’Accord de Paris instaure un régime climatique fructueux et durable, car un système de transparence solide dans lequel les pays échangent des informations sur la mise en œuvre des contributions doit être un véritable pilier du nouveau régime climatique. Il est essentiel que les pays participent largement au système pour renforcer la confiance dans l’action collective, nécessaire pour que chaque pays relève son ambition.
La non soumission des rapports biennaux actualisés pose également le problème de la réussite de l’Accord de Paris de façon plus générale – si les pays ne remplissent pas leurs obligations actuelles, est-ce que cela ne se reproduira pas dans le cadre de l’Accord de Paris ? Cette situation peut être particulièrement inquiétante si les obligations s’avèrent principalement de ce type, un scénario possible à la lumière des difficultés rencontrées par les États-Unis pour ratifier un accord avec des obligations de résultat. Cela pourrait signifier que, pour être Partie à cet accord, les pays soient tenus de soumettre et de mettre à jour leurs Contributions déterminées au niveau national (Nationally Determined Contributions – NDC), et aient une obligation d'atteindre leur NDC (par exemple, « doivent s’efforcer d’atteindre » leur NDC), tout en n’étant pas juridiquement contraints d’honorer leur engagement.
Deux séries de conséquences peuvent être tirées de ces observations.
Premièrement, il est important que les pays se rendent compte qu’un bon système de transparence est une composante essentielle du nouvel accord, et que pour construire un bon système de transparence, les pays en développement doivent soumettre leurs rapports biennaux actualisés dès que possible. Les pays développés doivent jouer leur rôle pour aider les pays en développement à soumettre leurs rapports rapidement, en leur apportant un financement approprié et d’autres formes de soutien. Les pays en développement doivent aussi comprendre que la soumission de leurs rapports biennaux actualisés est un signe de bonne volonté et d'adhésion, non seulement par rapport aux systèmes de transparence actuels et futurs, mais aussi par rapport à l’Accord de Paris en général.
Pour permettre une large participation de tous les pays au nouveau système de la transparence, les pays développés doivent être particulièrement attentifs à fournir un financement rapide et suffisant pour tous les pays (et en particulier ceux qui ont le moins de moyens) pour qu’ils soient en mesure de participer pleinement aux prochains processus de déclaration et d’examen. Les pays développés pourraient envisager de proposer à Paris un engagement financier quantitatif spécifique à cette fin.
Cette situation montre également que pour assurer le succès de l’Accord de Paris, les pays doivent réfléchir à la façon dont les obligations de moyens pourraient être renforcées autant que possible, en particulier si le régime climatique finit par reposer principalement sur des obligations de moyens. Des sanctions directes ne sont probablement pas souhaitables, ni dans l’esprit de coopération bottom-up qui caractérise le nouveau régime climatique. Pourtant, d’autres conséquences matérielles doivent être envisagées. Les données empiriques du Protocole de Kyoto suggèrent que cela pourrait être très efficace. En effet, les pays développés ne remplissant pas leurs obligations en matière de rapports étaient exposés à une suspension de l’utilisation des mécanismes de marché, et le taux de déclaration au titre du Protocole s’est avéré excellent.
En cette année mouvementée, les projecteurs étant particulièrement braqués sur les Contributions nationales à l’action climatique (INDC), il n’est pas surprenant que l’absence de soumission des rapports biennaux actualisés soit passée inaperçue. Pourtant, elle n’en est pas moins préoccupante. Les pays doivent prendre ce problème au sérieux et le régler rapidement, pour garantir le succès de l’Accord de Paris.
[1] CCNUCC (décembre 2014). Informations fournies par le Fonds pour l’environnement mondial sur ses activités relatives à l’élaboration des communications nationales et des rapports biennaux actualisés