Au moment où se déroule la dernière session de négociations à Bonn avant le rendez-vous de Paris, des progrès importants ont été faits sur deux éléments clés qui définissent le contexte de ces négociations : l’engagement financier des 100 milliards de dollars par an, qui sert d’étalon pour les efforts financiers de solidarité Nord-Sud, et les contributions nationales, qui montrent les engagements des pays (INDC), notamment en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

  1. Bilan des INDC à l’aube de la COP21

Le bilan des INDC soumises à ce jour s’articule autour de deux constats.

D’une part, la très large participation – 156 pays représentant près de 90% des émissions de gaz à effet de serre ont soumis leur INDC à l’UNFCCC – est un signe très important de la très large appropriation de l’idée que des réductions d’émissions ambitieuses doivent être menées à l’échelle de chaque pays, y compris chez les pays en développement. Il s’agit là, en soi, d’une rupture avec la logique prévalant précédemment dans les négociations. De plus, ces contributions sont plus robustes que les promesses de Copenhague, étant pour la plupart fondées sur des analyses techniques et de cadres politiques plus développés.

D’autre part, se pose la question de l’ambition de ces contributions au regard de la limite des 2°C. Malgré les très importantes incertitudes – dues notamment à un défi méthodologique intrinsèque, entre des engagements formulés à l’horizon 2025 ou 2030 et le besoin de trajectoires d’émissions sur l’ensemble du siècle pour une évaluation robuste de l’ampleur du changement climatique à l’horizon 2100[1] – les évaluations convergent pour conclure que les engagements actuels sont insuffisants au regard des réductions d’émissions requises par la limite des 2°C. Notamment, la trajectoire actuellement définie impliquerait un retournement brutal des dynamiques d’investissements après 2030 pour se mettre sur la trajectoire de 2°C avec des effets très perturbateurs sur l’économie, qu’une montée en puissance accélérée des investissements bas-carbone pourrait fortement limiter (consulter le rapport MILES).

  1. Vers un accord dynamique avec des cycles de révision des engagements nationaux

Ces analyses démontrent la nécessité de poursuivre le travail initié dans cette salve d’INDC, tant du point de vue des objectifs de réduction d’émissions – afin d’en augmenter l’ambition pour atteindre des niveaux compatibles avec la limite des 2°C – que du détail sur le contenu de la transformation engagée – afin de fournir plus de détail sur les actions envisagées pour induire les ruptures dans les trajectoires d’émissions nationales.

Il apparait ainsi essentiel que la soumission d’objectifs nationaux de réductions d’émissions ne s’arrête pas à 2015 mais que les pays soient amenés à soumettre régulièrement des révisions de ces engagements en construisant sur l’apprentissage développé par chacun au cours de la préparation de la première génération d’INDC. Ce processus d’approfondissement des INDC doit reposer sur plusieurs idées principales.

Des révisions rapides des engagements à 2030. Ces révisions devront intervenir rapidement pour permettre d’envisager des transformations plus ambitieuses à l’horizon 2030. Il s‘agit de donner le plus rapidement possible le signal clair que la transition bas-carbone est en marche pour donner les incitations requises pour accélérer la transformation (notamment en ce qui concerne les investissements). Il s’agit là d’un élément fondamental pour éviter les risques de piégeage dans des transformations d’ampleur insuffisante dont le retournement ne pourrait se faire plus tard qu’à coût élevé. Parmi les propositions actuellement en discussion, une révision d’ici au maximum cinq ans est évoquée, ce qui parait un délai maximal pour envisager des révisions significatives des objectifs pour les 15 prochaines années

Une augmentation progressive de l’ambition. Ces révisions devront marquer une augmentation progressive de l’ambition des réductions d’émission associées, reflétant les plus importantes possibilités d’atténuation des émissions permises par les circonstances nationales. Ce mécanisme de cliquet est essentiel pour éviter des retours en arrière en termes d’ambition. En creux, il définit l’approche pertinente pour la définition de ces révisions, à savoir prendre la soumission précédente comme point de départ et y identifier les possibilités d’ambition additionnelle qui peuvent être obtenues grâce notamment à une meilleure connaissance des perspectives sur les potentiels nationaux et les conditions internationales.

Une inscription des engagements dans des trajectoires de long terme. Les révisions des engagements doivent s’inscrire dans le long terme, comme seul moyen de lier les engagements des pays à l’objectif climatique. Il ne s’agit pas ici d’envisager une soumission de trajectoires de long terme légalement contraignante mais de suggérer que les engagements soumis par les pays soient conçus de sorte à intégrer leurs conséquences sur les trajectoires au-delà de la période d’engagement formel afin d’éviter les risques de piégeage et de permettre un lien plus explicite avec l’objectif des 2°C.

Plus de transparence sur le contenu des transformations. Les pays doivent fournir des informations claires, transparentes et informatives quant au contenu des transformations envisagées, avec un niveau de détail plus important sur la séquence d’évolutions des différents leviers de la transformation au niveau des secteurs économiques. Une illustration d’une telle approche est fournie par l’analyse de trajectoires de décarbonation dans 16 pays menée dans le cadre du Deep Decarbonization Pathways Project. Au-delà de l’augmentation de la confiance réciproque entre les Parties naissant d’une compréhension mutuelle des efforts consentis, une telle approche détaillée doit permettre une structuration concrète des discussions autour des points focaux de la discussion internationale et ainsi servir de point d’ancrage du mécanisme de révision. La transparence du contenu des transformations nationales est notamment une condition nécessaire pour une identification des éléments de coopération internationale à même d’offrir des solutions additionnelles permettant des réductions d’émissions plus ambitieuses dans certains pays. On voit ici se définir un possible processus d’aller-retour entre échelon national et international, à même de construire progressivement l’augmentation de l’ambition via la coopération.

  1. Quel rôle pour la COP21 ?

L’instauration de cycles de révision des engagements nationaux est un élément important des discussions en vue de l’accord de Paris.

Il faut pour cela préciser les articles définissant ce processus dans l’accord. La confiance qu’ils construiront pour la mise en œuvre d’un processus de révision des engagements actuels véritablement structuré et ambitieux pour l’après 2015 sera un élément crucial à regarder attentivement pour juger du succès de la COP21. En particulier, un mécanisme de révision ponctuel ne donnerait pas un signal suffisant du fait que la communauté internationale continuera à travailler de manière prévisible et régulière, tous les 5 ans, pour augmenter l’ambition de l’action climatique.

[1] Par exemple, deux des principales initiatives internationales (le Climate Action Tracker et Climate Interactive), obtiennent des résultats très contrastés quant à l’augmentation de température associée aux engagements actuellement contenus dans les INDC (+2,7° pour l’un ; +3,5° pour l’autre) en raison d’hypothèses très différentes sur la trajectoire post-2030.