Le principe de « responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives » (common but differentiated responsabilities and respective capabilities, CBDR), inscrit au fronton de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques depuis 1992 (Sommet de la Terre de Rio et création de la CCNUCC), relève d’une question d’équité au sein d’un objectif d’universalité : tous les pays doivent contribuer à la préservation de l’environnement et à la construction d’un développement durable ; doivent néanmoins être pris en compte, pour l’atteinte de cet objectif, la contribution plus forte de certains pays à la dégradation de l’environnement et les moyens inégaux dont disposent les pays pour y parvenir.
Le Protocole de Kyoto (1997) a traduit ce principe en définissant deux catégories de pays : les pays développés (Annexe I), contraints de réduire leurs émissions ; et les pays en développement (non Annexe I), devant rendre compte de leurs émissions. Le principe de CBDR, qui a suscité de multiples interprétations (tant d’une perspective morale que philosophique ou encore juridique), a alors pris une dimension (géo)politique clivante. Fondée en partie sur une approche de type « délit vs. sanction », son « opérationnalisation », en près de vingt ans de négociations climatiques post-Kyoto, s’est avérée particulièrement sensible et délicate.
Le problème semble insoluble. Les Parties restent figées sur des positions irréconciliables : certains pays du Sud insistent sur la responsabilité historique indiscutable et ancrée dans le texte de la Convention Climat des pays du Nord, qui justifierait leur (plus forte) « condamnation » pour contribution au changement climatique ; ces derniers, pour leur part, soulignent l’évolution du monde depuis la division entre pays de l’Annexe I et pays non Annexe I, évolution essentiellement économique qui serait de nature à nuancer la répartition et l’ampleur sinon des « sanctions », tout au moins des « réparations ». Parallèlement, pour mettre en œuvre l’objectif de la Convention de Rio (soit éviter un changement climatique dangereux pour le développement des sociétés humaines), une réduction rapide et drastique des émissions des pays industrialisés (qui devraient être quasi-nulles d’ici au milieu du siècle) doit être opérée ; doivent également être définies et mises en œuvre les voies d’un développement économique et social différent et durable pour les pays en développement, faute de quoi leurs seules émissions rendraient caduc l’objectif de 2°C, au détriment des plus vulnérables.
Parmi les enjeux de la COP21 figurent la validation et l’impulsion par l’Accord de Paris et ses Parties signataires de la nécessaire transition vers une économie mondiale décarbonée, seule à même de limiter les impacts du changement climatique. Dans ce cadre, la charge des responsabilités impliquées dans le principe de CBDR doit évoluer, d’une « culpabilité » pour avoir pollué à une obligation de ne plus polluer : la responsabilité historique et présente se mue en un engagement pour l’avenir. Dans ce contexte, les pays ayant historiquement produit plus d’émissions, et bénéficié des énergies fossiles pour atteindre un développement supérieur aux autres pays, ont de fait la responsabilité de contribuer d’une façon juste et proportionnée à cette transition. L’équité perd alors sa dimension punitive pour prendre les habits d’une coopération — différenciée – vers un objectif commun.
Cette approche renouvelée du principe de CBDR accompagne et entérine un changement de paradigme défini par l’ensemble des Parties elles-mêmes dans leurs contributions nationales soumises en amont de la COP21 (INDCs) : l’abandon progressif des énergies fossiles au profit d’énergies décarbonées, dans le but de limiter le réchauffement climatique à 2°C à l’horizon 2100. Les stratégies nationales de décarbonation ont remplacé le partage du fardeau des réductions d’émissions ; les pays n’ont plus intérêt à ne pas agir pour échapper à la contrainte, mais à conforter leur transition par la coopération internationale. Les contributions nationales, élaborées pour une action à l’échelle nationale, doivent ainsi pouvoir s’inscrire dans l’Accord de Paris, dont seules les garanties de coopération et de solidarité de l’action collective permettront la pleine mise en œuvre juste et efficace.
Sur ce nouveau socle pour l’action climatique, le concept de responsabilité doit se déployer, et peut ne plus être perçu comme une brimade par les uns ou une manœuvre par les autres, mais comme une impulsion vers un développement plus durable. Notre responsabilité commune est d’engager, dans tous les contextes et tous les pays, la transition vers un modèle de développement nouveau. C’est cela qu’affirme aujourd’hui la grande majorité des pays qui ont apporté à Paris leur contribution nationale. Mais notre responsabilité différenciée est, pour les pays industrialisés (riches), de savoir engager les moyens (inégaux) dont nous disposons au service de cette transition, pour la rendre plus ambitieuse chez nous, et possible partout.