La faiblesse politique de l’agenda biodiversité

Cette treizième édition de la Conférence des Parties (COP) de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) était abordée par beaucoup sans espoir de grandes décisions. Le contraste avec la récente COP21 sur le climat, qui a marqué les esprits grâce à la dynamique d’engagements individuels des gouvernements et des entreprises, n’est pas favorable à la CDB dont les décisions, par construction, engagent peu les signataires de la convention. De fait, les textes adoptés par les délégués représentent de nombreuses décisions ou propositions éparses et hétérogènes sur des sujets aussi différents que la gestion de la faune sauvage, les indicateurs de suivi des cibles d’Aichi, les aires marines d’importance écologique ou biologique, la mobilisation des ressources financières, ou l’intégration de la biodiversité dans les politiques sectorielles de l’agriculture, du tourisme, de la pêche et de la foresterie… Cet aspect « boîte à outils » peut se lire comme le signe d’une faiblesse persistante de l’agenda politique de la biodiversité, pas assez soutenu par les opinions publiques et les gouvernements pour permettre des choix politiques engageants et des arbitrages significatifs.


Une déclaration uniquement composée de messages indicatifs et de recommandations.

Une « déclaration de Cancun », proposée au débat des responsables politiques dits « de haut niveau », a été adoptée sans négociation ni discussion. De fait, elle contient principalement de simples encouragements à mieux intégrer la biodiversité dans les secteurs de l’économie. Des directives et des orientations y sont annexées, et c’est déjà cela : les Parties recommandent que la biodiversité ne soit plus seulement prise en charge dans les aires protégées, et reconnaissent que les secteurs économiques ont un impact sur la biodiversité, qu’il faut contrôler. Notons en particulier que la décision finale de la CDB appelle à un usage (« lorsque c’est approprié ») des certifications volontaires, notamment dans la foresterie, ou « encourage » les Etats à réformer les incitations néfastes pour la biodiversité, par exemple dans l’agriculture ou la pêche. Au total, deux lectures du texte sont possibles. En le prenant au sérieux et en imaginant son application effective partout, on est frappé par son équilibre, sa large portée, sa compétence et sa capacité à souligner les enjeux et les questions difficiles : en somme, par l’expression d’une forme de sagesse collective, issue d’une communauté mondiale traduisant sa connaissance profonde des enjeux dans des textes fouillés, et obtenue par la collaboration passionnée de représentants de parties aussi dissemblables que la Russie et le Timor-Leste, la Namibie et la Chine, la Colombie et la Micronésie, délégués qui se forment réciproquement, et progressivement fabriquent une culture commune. C’est le charme du système onusien. COP après COP, le processus de la CDB renforce les capacités techniques de nombreux membres des administrations publiques, des ONGs et des institutions de recherche. Il faut espérer que ces compétences se diffusent ensuite au sein de leurs pays et de leurs organismes.   Mais en lisant le texte dans la perspective d’engagements effectifs, qui lieraient effectivement les gouvernements, on est aussi frappé par sa faiblesse et son caractère parfois plus symbolique qu’effectif. Il est ainsi significatif que les sujets ayant suscité le plus de tensions jusqu’au dernier moment soient le budget du Secrétariat de la Convention, et le fait de soumettre ou non la reconnaissance des peuples indigènes et des communautés locales aux lois nationales. Ce qui est en cause, à quelques exceptions près, ce n’est pas le texte en lui-même, mais bien sa portée limitée. Une lecture moins optimiste suggérerait même que c’est précisément parce qu’il est peu engageant qu’il est relativement ambitieux et complet.


Tout le monde, ce n’est personne

La COP13 a mis à jour une batterie d’indicateurs pour mesurer le chemin parcouru vers les 20 cibles d’Aichi, adoptées en 2010 pour l’échéance 2020, qui représentent l’ambition mondiale en matière de préservation de la biodiversité. Malheureusement, les Etats Parties ne se sont pas engagés, par cette décision ni par les précédentes, à rapporter individuellement quant à leurs progrès selon ces différents indicateurs, qui restent suggérés et indicatifs, et ne figureront pas obligatoirement dans les rapports nationaux régulièrement dus au Secrétariat de la Convention. Le diagnostic restera au contraire au niveau global, englobant, diluant donc les actions et les responsabilités de chaque Etat, comme les « perspectives mondiales sur la biodiversité », émises par le Secrétariat, qui se succèdent régulièrement et font le point sur les progrès accomplis, à chaque fois révélant leur pâleur, mais sans provoquer d’électrochoc qui mobiliserait les opinions et les dirigeants. Un diagnostic mondial ne générant pas la même pression qu’une évaluation à l’échelon national, il y a peu de chances que les gouvernements soient incités à l’avenir à prendre véritablement leurs responsabilités : tout le monde, ce n’est personne. Par comparaison, l’Accord de Paris sur le climat a marqué un tournant en instituant un système fait d’engagements et de prises de responsabilités à la fois quantifiables et individuelles (à l’échelle des Etats). Pourtant, ces indicateurs adoptés pour estimer l’évolution de la biodiversité semblent pragmatiques et facilement utilisables pour mesurer les progrès et l’efficacité de l’action à l’échelle nationale. Ils sont fondés sur des propositions et des données produites par des organismes reconnus (OCDE, WWF, UICN), et ne nous semblent pas soulever de difficultés techniques ou scientifiques majeures, quitte à ce que de premières tentatives soient ensuite critiquées et améliorées. Dans la mesure où les gouvernements ne souhaitent pas s’engager à soumettre des évaluations individualisées, c’est à la société civile, aux ONGs, aux instituts indépendants et aux think tanks de s’y intéresser. Bien sûr, les soutiens financiers pour une telle entreprise ne se bousculent pas ; c’est l’une des explications avancées par les associations à l’absence de ce type d’évaluation.

La tentation de l’apprenti sorcier : la biologie de synthèse

Au chapitre des sujets sur lesquels la COP n’a pas été aussi « sage » qu’indiqué plus haut, notons la négociation de la « biologie de synthèse », qui a fait l’objet, pour la première fois, de débats et de propositions spécifiques. Il s’agit de la possibilité d’utiliser l’ingénierie génétique pour intervenir sur les processus biologiques, de créer des organismes nouveaux, comme un lapin fluorescent en lui intégrant du matériel génétique de méduses. Ou bien la modification génétique de toute une population en lui insérant des caractères que les parents transmettent à leur descendance. Est ainsi parfois évoquée l’introduction d’un gène provoquant l’infertilité de certains moustiques pour les faire disparaître et espérer empêcher le virus Zika de se répandre. De nombreux biologistes ont alerté sur les risques que font courir ces initiatives, qui peuvent créer des bouleversements des écosystèmes, et des effets retours non maîtrisables en cascade. Par exemple, on peut provoquer un effondrement de la population des oiseaux et des organismes qui se nourrissent des larves de moustique, tout en laissant la possibilité au virus de changer de moyen de transmission : si telle ou telle espèce de moustique est aujourd’hui son vecteur préférentiel de contamination, rien ne dit que c’est la seule et qu’il n’en changera pas s’il y est incité par la disparition de ladite espèce. L’histoire nous a enseigné à plusieurs reprises les conséquences malheureuses de tentatives de manipuler les écosystèmes pour en corriger les désagréments. La Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, par exemple, et beaucoup d’ONG d’environnement ou de coalitions comme la CBD Alliance, ont attiré l’attention sur ces risques et promu le principe de précaution. Certains participants ont même tenté de faire adopter un moratoire, et ont fait face à l’opposition de nombreux pays qui souhaitent favoriser leurs champions industriels et scientifiques. Au final, le texte laisse ouverte cette porte sur l’inconnu, tout en alertant sur les incertitudes, et en recommandant des précautions. Une occasion manquée pour les gouvernements réunis à la COP13 de faire preuve de sagesse collective ?