En décembre 2016, Paris accueillait le Sommet mondial pour un gouvernement ouvert, réunissant acteurs publics et privés, nationaux et internationaux, pour échanger autour des bonnes pratiques de transparence de la vie publique et économique et des outils permettant à tout un chacun de contribuer à la définition et la mise en œuvre des politiques publiques. Les consultations de la société civile comptent parmi ces outils. La recherche s’est souvent intéressée à leur rôle pour la production de politiques publiques plus efficaces, ainsi qu’à leur influence réelle sur la définition des politiques publiques. Aujourd’hui, avec le développement des outils numériques de consultation, une nouvelle question émerge : en quoi ces outils transforment-ils les processus de consultation et les formes de la participation ? L’outil numérique permet-il d’améliorer la légitimité démocratique des consultations, à l’heure où celle-ci est mise en cause (manque de représentativité, manque d’impact sur la décision, temporalité dissociée de celle de la décision) ?

Cette question est tout particulièrement pertinente lorsque l’on s’intéresse aux négociations internationales, où le déficit démocratique est plus prégnant qu’au sein de nos démocraties représentatives nationales. Avec la mondialisation s’est en effet opéré un déplacement de la prise de décision depuis les Etats vers des dispositifs de gouvernance globale, où la formulation des politiques échappe à la redevabilité et au consentement des publics nationaux. Entre 2012 et 2015, les Nations unies ont pourtant consulté près de 10 millions de personnes dans le cadre du processus de négociation sur les Objectifs de développement durable (ODD). C’est sur la base de cet exemple[1] que nous tenterons de répondre à la question posée par ce billet.

En quoi le numérique modifie-t-il la représentativité de la consultation ?

Notre étude[2] montre que les consultations qui allient à la fois méthodes en ligne et en présentiel sont généralement plus inclusives que celles qui se déroulent exclusivement en ligne, ou exclusivement en face à face. A l’échelle internationale, les consultations en présentiel que nous avons étudiées favorisent la participation des acteurs de la société civile institutionnalisée, disposant de ressources importantes, et issus pour la plupart des pays développés. Lors des consultations du Groupe de travail ouvert sur les ODD, 61 % des participants sont intervenus pour le compte d’une ONG internationale ou d’une coalition d’ONG, alors que seulement 11 % sont intervenus pour le compte d’une organisation de terrain. De plus, 30 % des participants étaient issus des États-Unis, et 64 % des pays développés, alors que ces derniers représentent seulement 17 % de la population mondiale. Les consultations se déroulant exclusivement en ligne présentent des biais démographiques de participation similaires aux consultations présentielles. Par exemple, les participants aux Dialogues de Rio provenaient à 68 % des pays développés. À l’opposé, les consultations alliant méthodes en ligne et en présentiel ont davantage permis d’inclure les populations qui sont traditionnellement exclues de ces processus, notamment les jeunes issus des pays en développement. L’enquête MYWorld a permis la participation d’un panel d’individus issus de 193 pays, dont 78 % avait moins de 30 ans (contre seulement 18 % pour les auditions et 31 % pour les dialogues en ligne, alors que cette frange de la population représente pourtant plus de la moitié de la population mondiale), et dont 95 % provenaient des pays du Sud[3]. Ainsi, ce n’est pas le numérique seul qui permet d’améliorer l’inclusion, mais bien l’utilisation complémentaire de méthodes en présentiel et en ligne.

Un impact important du numérique : l’invisibilisation des interlocuteurs

Les consultations de la société civile n’ont pas seulement pour objectif de permettre la participation des citoyens, mais également d’inciter les organisateurs de la consultation à rendre des comptes. Or, à cette échelle mondiale, nous trouvons que de manière générale, les consultations en présentiel sont plus efficaces que les consultations en ligne pour obtenir une mise en redevabilité des organisateurs (ONU et représentants des États) par les participants (société civile). Dans le cas d’une consultation en face à face, les organisateurs sont identifiables et accessibles, et peuvent être facilement interpelés par la société civile sur les positions qu’ils ont exprimées publiquement, ou sur la prise en compte ou non des contributions des participants. Inversement, dans le cas d’une consultation en ligne, la plateforme Internet a souvent pour effet d’anonymiser les interactions, rendant difficile le maintien d’un rapport de redevabilité entre société civile et représentants des organisations internationales et des États. Les questions de l’intermédiation produite par le numérique et de l’invisibilisation des interlocuteurs influent donc sensiblement sur la légitimité démocratique des consultations.

Concevoir un processus de consultation : quelles ressources, quels acteurs et quel lien à la décision pour un processus démocratique ?

Même si l’échelle globale semble un cas particulièrement complexe pour envisager la démocratisation des décisions, les consultations étudiées ici permettent néanmoins de tirer des leçons qui pourraient également présenter un intérêt à d’autres échelles. La conception du processus de consultation a une incidence importante sur son caractère démocratique. Mais au-delà du choix d’une consultation en ligne ou en présentiel, d’autres facteurs relatifs à la conception de la consultation influent sur sa légitimité démocratique. C’est notamment le cas des ressources humaines, financières, et de temps, allouées à la consultation.

De manière assez intuitive, plus la consultation est étalée dans le temps, plus celle-ci sera inclusive. L’impact des ressources humaines et financières sur l’inclusion est plus incertain. L’exemple de l’enquête MYWorld indique qu’il est possible d’améliorer le caractère inclusif d’une consultation malgré des contraintes de ressources, lorsque les organisateurs développent des partenariats avec le secteur public et privé et des organisations de terrain de la société civile, et délèguent sa diffusion depuis les centres de décision internationaux vers les communautés nationales et locales, accédant ainsi aux populations traditionnellement exclues de ces processus de consultation.

Il faut enfin rappeler qu’améliorer la légitimité démocratique des consultations requiert un engagement politique fort de la part des organisateurs. Cet engagement doit se manifester par le développement d’un lien formel contraignant entre la consultation et le processus de décision pour lequel celle-ci est mise en place. Ce lien pourrait se concrétiser par exemple par une obligation des organisateurs à justifier la prise en compte ou non des résultats de la consultation. La redevabilité en serait ainsi accrue. Il est également très important d’associer la société civile à la conception de la consultation : co-construire le programme de la consultation et les règles de participation ne peut qu’améliorer l’appropriation du processus par les parties prenantes et in fine l’inclusion. Si le numérique ne garantit pas en lui-même une légitimité plus forte du processus de consultation, il pourrait néanmoins présenter des avantages pour accroître la transparence et la traçabilité des décisions relatives à sa conception.

[1] Trois consultations sont étudiées : les Dialogues en ligne de Rio, organisés par le PNUD et le gouvernement du Brésil en amont de la conférence de Rio+20 en 2012, les auditions de la société civile par les membres du Groupe de travail ouvert sur les ODD qui se sont tenues entre 2013 et 2014 aux Nations unies à New York, et l’enquête MYWorld organisée par les Nations unies et diffusée à la fois sur Internet et sur papier dans 193 pays entre 2013 et 2015. [2] Les résultats complets de cette étude sont disponibles ici. [3] L’ensemble des données sociodémographiques de l’enquête sont disponibles sur data.myworld2015.org