Les impacts en termes de durabilité environnementale et sociale de la production d'huile de palme sont avérés. La responsabilité en incombe tant aux pays producteurs, notamment en Asie du Sud-Est, qu'aux pays consommateurs, notamment en Europe, aux différents échelons de la chaîne de valeur associée. Comment celle-ci est-elle organisée ? Quels y sont les rapports de force ? Pour quelles conséquences en matière de gouvernance et de distribution de la valeur ? L'analyse de ces questions est au cœur d'un projet de recherche mené par l'Iddri sur la durabilité de plusieurs commodités largement échangées dans le monde.

Au cours des 12 derniers mois, parlementaires français et européens se sont tour à tour emparés des problématiques liées aux impacts sociaux et environnementaux de la production d’huile de palme. Les surfaces dédiées à cette culture n’ont en effet cessé de s’étendre ces 20 dernières années, tirées par une consommation croissante émanant d’Europe, d’Inde ou encore d’Indonésie. On en retrouverait aujourd’hui dans quasiment un bien de consommation courante sur deux, et son utilisation pour la production de biocarburants ne cesse d’augmenter.

Au cœur des initiatives prises par les parlementaires français et européens – un projet de taxation des importations d’huiles « non durables » en France qui n’a pas abouti, une résolution du Parlement européen votée hier (4 avril 2017) et pointant notamment la responsabilité de la consommation européenne dans la déforestation tropicale – se trouve un constat simple : l’intensification des échanges mondiaux de matières premières, en particulier dans le domaine agro-alimentaire, oblige aujourd’hui à assumer collectivement une responsabilité quant à la durabilité des modes de production à l’amont. Sur le volet déforestation par exemple, des travaux commandités par la Commission européenne ont permis de montrer que la consommation européenne était globalement responsable de plus d’un tiers de la déforestation associée au commerce mondial des matières premières agricoles entre 1990 et 2010.

C’est dans ce contexte que l’Iddri a lancé fin 2016 un programme d’intervention portant sur l’impact de ces filières sur la durabilité des modes de production de l’amont. Son objectif est simple : à partir d’une compréhension fine de l’organisation de ces filières et de leur insertion dans les territoires, il s’agit d’identifier quelles sont/seraient les interventions (publiques ou privées, à l’échelle des territoires ou de la filière) les plus à même de renforcer la durabilité de la production (lire sur ce thème le Policy Brief « Vers une huile de palme (plus) durable : quel rôle pour les pays importateurs ? »). La démarche repose en particulier sur l’analyse de la gouvernance de ces filières, c’est à dire l’identification des relations de pouvoir, contractuelles ou non, qui doit expliquer les chaînes de décision et la répartition de la valeur ajoutée le long de la filière.

Les recherches entreprises sur le cas de l’huile de palme depuis un an ont permis de conforter cette démarche. L’analyse conjointe des dynamiques concurrentielles entre traders et des interdépendances entre ces derniers et leur clients de l’industrie agro-alimentaire européenne a par exemple permis d’expliquer comment, aujourd’hui, près de 90 % des volumes d’huile de palme échangés sur les marchés mondiaux sont couverts par des engagements « zéro déforestation ». Cependant, une analyse similaire, focalisée cette fois sur les relations entre les traders et leurs fournisseurs – de grands opérateurs industriels de la plantation en Indonésie et en Malaisie –, permet également d’éclairer les raisons pour lesquelles ces mêmes engagements peinent aujourd’hui à se traduire concrètement dans les pratiques opérationnelles des acteurs de l’amont.

Sur la base de ces éléments, le prochain chantier de l’Iddri sera d’identifier les types de politiques publiques qui permettraient de transformer les engagements privés de l’aval et du milieu de la filière en changements de pratiques concrets à l’amont, à travers une analyse des modalités de négociation entre acheteurs et fournisseurs à tous les niveaux de la filière. L’Iddri y travaillera sur le cas de l’huile de palme, ainsi que sur trois autres matières premières agricoles à la fois largement consommées et dont les modes de production ont des impacts forts sur les trois piliers du développement durable : le cacao, le thon et le soja.

>> Pour aller plus loin, une tribune de Pierre-Marie Aubert parue le 4 avril 2017 dans The Conversation : « Pour une huile de palme durable, soutenir les petits producteurs et encadrer les grandes plantations »