Le quatrième dialogue économique et financier de haut niveau entre la France et la Chine (qui s’est tenu à Paris le 14 novembre 2016) a été marqué par la création du Fonds franco-chinois pour la coopération dans les pays tiers, l’institution ayant bénéficié d’un investissement total s’élevant à 2 milliards d’euros (CDC International Capital et China Investment Corporation ont chacun investi 150 millions d’euros). Grâce à ce fonds, la Chine et la France s’engagent à collaborer officiellement pour faciliter les investissements dans les pays d’Afrique et d’Asie.
Les politiques d’aide extérieure de la plupart des pays développés cherchent à faciliter la transition vers un développement durable, aussi cette initiative de co-investissement franco-chinoise vise-t-elle à mettre en œuvre des projets conformes aux agendas de 2030 (changement climatique et objectifs de développement durable) dans les pays bénéficiaires. C’est là une occasion unique et concrète pour la France de mieux comprendre en amont, voire d’influencer, la future politique d’aide extérieure et d’investissement de la Chine (généralement considérée comme n’étant pas totalement transparente). Pour garantir la réussite du Fonds franco-chinois (et éviter le risque de « greenwashing »), il est important de bien identifier les besoins des pays bénéficiaires et d’évaluer la contribution complémentaire effective de l’investissement conjoint franco-chinois pour répondre à ces besoins nationaux. Afin d’ouvrir ce débat, ce billet analyse le cas de l’énergie renouvelable au Maroc.
L’énergie renouvelable comme solution durable
Le Maroc dispose de ressources en combustibles fossiles très limitées et dépend fortement des importations, celles-ci représentant 91 % de son approvisionnement énergétique en 2014 [1], et étant à l’origine de la majeure partie du déficit commercial du pays. En conséquence, le Maroc a décidé d’augmenter sa part de production d’énergie renouvelable à hauteur de 52 % à l’horizon 2030 (grâce au soutien financier international), avec l’installation de 10 GW supplémentaires. L’objectif est de décarboner le mix énergétique du pays, d’assurer la sécurité de ses approvisionnements en énergie et de réduire les déficits commerciaux. En 2012, [2] les sources de production d’électricité étaient les suivantes : 43,4 % de charbon, 25,3 % de pétrole, 22,7 % de gaz naturel, 6 % d’hydroélectricité et 2,7 % d’énergie éolienne ; l’objectif d’atteindre 52 % d’énergie renouvelable est donc très ambitieux. Les énergies éoliennes, solaires et hydroélectriques doivent jouer un rôle important pour que la transition soit à la hauteur de cette ambition. Plusieurs projets ont été mis en œuvre pour assurer cette transition énergétique. Par exemple, le projet solaire Noor One a été inauguré en février 2016 : il s’agit d’un projet de technologie d’énergie solaire à concentration de 160 MW. Le projet Noor Two est en construction. Par ailleurs, cinq nouveaux parcs éoliens d’une capacité totale de 850 MW sont également en construction au prix bas record de 30 $/Mwh d’électricité, un prix inférieur à celui de l’électricité thermique domestique grâce à la grande qualité des ressources éoliennes. Le développement des installations de production d’énergie propre contribue à améliorer l’accès à l’électricité et à réduire les émissions de GES dans le secteur de l’électricité. Il permet également de garantir une production industrielle sobre en carbone. Par exemple, le Maroc dispose de plus de 80 % des réserves mondiales de phosphates et le pays est le deuxième producteur d’engrais phosphatés dans le monde après la Chine. Les engrais phosphatés restant importants (voire indispensables) pour permettre la croissance de la production agricole dans les zones où la productivité est actuellement faible, les besoins mondiaux devraient continuer à augmenter à l’avenir.
Les énergies renouvelables peuvent alimenter cette production énergivore et en augmenter la capacité, promouvoir le développement industriel au Maroc en garantissant l’approvisionnement mondial en engrais, et assurer qu’une telle trajectoire de développement industriel s’accompagne de faibles émissions de GES. Enfin, l’investissement dans les énergies renouvelables est protégé contre les paiements industriels. Si elle est exportée, l’énergie renouvelable pourrait également stimuler le développement industriel des pays voisins. Dans le cas de la Mauritanie, il serait par exemple possible d’assurer le développement de l’industrie sidérurgique, limité jusqu’à présent par les difficultés d’approvisionnement en énergie. S’il est associé à l’énergie propre, le développement de cette industrie pourrait contribuer à augmenter les revenus et l’emploi au niveau local tout en garantissant l’absence d’émissions de carbone liées à la consommation d’électricité. On peut se demander dans quelle mesure cette réduction des émissions de GES pourrait être suffisante pour engager la Mauritanie sur la voie du développement durable à long terme, compte tenu des autres impacts sociaux et environnementaux potentiels de l’industrie sidérurgique. Toutefois, étant donné les ressources limitées dont dispose le pays, décarboner le développement industriel dans ces secteurs pourrait bien être la solution la plus durable, au moins pour les décennies à venir. En outre, une telle intégration peut garantir le retour des investissements dans les énergies renouvelables au Maroc, étant donné que l’électricité sera remboursée par les industries mauritaniennes.
Coopération franco-chinoise en matière de transition énergétique au Maroc
En visant à contribuer à une transition durable avec des objectifs concrets en matière d’énergies renouvelables, la coopération franco-chinoise dans les pays tiers peut aider à accélérer la transition énergétique du Maroc. D’un côté, après la visite officielle du roi Mohamed VI en Chine en mai 2016, le Maroc et la Chine ont convenu de renforcer les investissements mutuels. La Chine peut fournir des équipements de production d’énergie renouvelable à un prix (relativement) bas, et ainsi soutenir la transition énergétique du Maroc, et pourrait éventuellement aider à installer des chaînes de production de centrales éolienne et/ou solaire au Maroc afin de stimuler l’emploi local. D’un autre côté, la France possède une expérience de gestion de projet au Maroc (en termes de conformité aux normes sociales et environnementales) ainsi qu’une bonne compréhension des aspects culturels et juridiques du pays, ce qui pourrait aider à limiter les risques/retards potentiels des projets. Ce savoir-faire pourrait combler les possibles lacunes des investisseurs chinois dont les activités d’investissements sont relativement limitées au Maroc (ainsi, en 2011, les investissements directs étrangers chinois vers le Maroc s’élevaient à 11,4 millions de dollars, contre 2,22 milliards dans 22 pays arabes), améliorant ainsi la viabilité des projets. En termes d’investissement dans les énergies renouvelables, une étude indépendante récente a montré qu’il n’existait aucune différence en termes d’impacts sociaux et environnementaux entre un projet d’investissement éolien chinois (HydroChina : Parc éolien d’Adama) et un projet français (Vergnet : Parc éolien d’Ashegoda) en Ethiopie. Cela montre notamment que d’autres projets d’investissement conjoints dans les énergies renouvelables entre la Chine et la France peuvent converger en matière de normes sociales et environnementales.
En se basant sur cette complémentarité entre la Chine et la France, et sur les besoins en énergie renouvelable du Maroc, le Fonds commun peut contribuer à mettre en place un programme d’énergie renouvelable franco-chinois au Maroc (mais pas uniquement), son soutien financier initial pouvant encourager des investissements supplémentaires du secteur privé sécurisés par la capacité de remboursement du Maroc. Le Fonds peut contribuer au développement d’un plan intégré d’énergie renouvelable, définissant les trajectoires d’utilisation finale des énergies renouvelables. Cela peut à son tour être l’occasion d’un processus de convergence en matière de financement vert et durable pour la mise en œuvre du programme des ODD entre la Chine et la France. En ce qui concerne le développement et la pratique du financement vert, un dialogue entre la France, la Chine et le Maroc dans le cadre d’une coopération franco-chinoise dans les pays tiers peut également contribuer à renforcer les capacités nationales marocaines dans ce domaine.
[1] Agence internationale de l’énergie (2014), Analyse approfondie de la politique énergétique du Maroc. [2] Idem