La France s’apprête à recevoir une nouvelle fois la communauté climatique internationale. Elle accueille en effet, du 13 au 16 mars 2018, la 47e session du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Cet événement offre l’occasion de célébrer le 30e anniversaire du Giec, mais également de se pencher sur son rôle crucial pour la politique climatique mondiale.
Une légitimité renforcée
L’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ont conjointement créé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) en 1988. Sa mission principale consistait initialement à apporter la réponse à deux questions : « le climat de la Terre change-t-il ? », et « pour quelles raisons ? ». Trente ans plus tard, les efforts du Giec ont permis de fournir des réponses claires et sans équivoque à ces deux interrogations : « oui, le climat de la Terre se modifie, et les activités humaines sont largement responsables de ce phénomène ».
Grâce à la production de ses Rapports d’évaluation (RE) présentant des travaux scientifiques évalués par des pairs, le Giec a joué un rôle déterminant en venant soutenir la dynamique politique au cours de cette période. Son premier RE (publié en 1990) a contribué de façon décisive à la création de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la principale institution internationale visant à répondre aux défis engendrés par le changement climatique. Depuis lors, l’actualisation régulière des connaissances scientifiques dans les rapports successifs du Giec a poussé les décideurs politiques à prendre part aux efforts menés à l’échelle internationale, en apportant leur soutien à l’adoption du Protocole de Kyoto (1997) et du récent Accord de Paris (2015).
Un nouveau mandat
Quel est donc le rôle du Giec en 2018, compte tenu du nouveau paysage politique créé par l’Accord de Paris ? Le contexte actuel est marqué par différents types d’informations, de faits et d’analyses concernant le changement climatique. D’un côté, des informations récentes font état de records de température au Pôle Nord, de prévisions revues à la hausse concernant l’augmentation du niveau des mers en raison de la fonte des calottes glaciaires dans l’Antarctique, de risques accrus de grande sècheresse dans les villes d’Europe, etc. Et selon certains analystes, la possibilité d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement mondial à +2°C par rapport aux niveaux préindustriels est en train de s’éloigner. D’un autre côté, il ressort des données que les émissions de gaz à effet de serre ont déjà commencé à atteindre leur niveau maximal dans près de 50 pays, grâce au déploiement efficace de technologies d’atténuation et de politiques nationales. Le Giec joue à l’heure actuelle un rôle déterminant pour aider à démêler ces faits et façonner la réponse de la communauté internationale, à la suite d’un changement majeur de son mandat survenu en 2015. La décision prise dans le cadre de la COP21 invite en effet de manière directe le Giec à produire un rapport spécial sur l’objectif de stabilisation du climat à +1.5°C, et l’Accord de Paris instaure la mise en place d’un Bilan global (Global Stocktake) établi tous les cinq ans et portant sur l’application de l’Accord en tenant compte des « meilleures données scientifiques disponibles », pour lequel le Giec est bien entendu censé fournir des contributions directes.
Ce nouveau mandat a conduit à une importante réorganisation du 6e Cycle d’évaluation du Giec (2016-2023). En plus du Rapport sur un réchauffement planétaire de 1.5°C cité susmentionné et du document central – le Rapport d’évaluation (RE6) –, le 6e cycle comprendra deux autres rapports spéciaux (respectivement sur l’océan et la cryosphère, et sur l’usage des terres) ainsi qu’un rapport méthodologique (sur les inventaires nationaux de gaz à effet de serre)[1]. Le calendrier concernant ces rapports a également été établi pour faire coïncider la publication des documents clés avec d’importantes étapes politiques figurant à l’ordre du jour intentionnel – le Rapport spécial sur le réchauffement de 1.5°C en octobre 2018 avant le Dialogue de facilitation de 2018, et le RE6 en 2021-2022 dans la période précédant le Bilan global 2023.
Alors qu’il revient à la CCNUCC d’entretenir un climat de travail constructif afin de garantir l’adoption effective des règles d’application de l’Accord de Paris, la tâche essentielle qui incombe au Giec consiste à fournir les arguments scientifiques destinés à cadrer les discussions entre décideurs politiques et parties prenantes. La publication du rapport spécial sur le réchauffement de 1.5°C en octobre 2018 constitue le premier jalon de ce nouveau cycle du Giec et sera essentielle pour ancrer le Giec dans son nouveau mandat. Ce rapport est attendu avec impatience par la communauté scientifique tout autant que par les décideurs politiques et la société civile afin qu’il guide les débats qui, lors de la prochaine COP qui se tiendra en Pologne (Katowice) (COP24) en décembre cette année, porteront sur la manière d’atteindre les ambitieux objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris.
De nouveaux défis
Nous pouvons identifier trois défis de taille pour le cycle RE6 :
- Tout d’abord, le Giec a pour mission de dresser le bilan des données récentes montrant l’intensification des signes de changement climatique (par ex. celles en relation avec la fonte des calottes glaciaires), ce qui implique de réévaluer les projections du RE5. Cette nouvelle évaluation est essentielle pour mettre l’accent sur le fait que les mesures d’atténuation du changement climatique, et d’adaptation à ce dernier, ne constituent plus des défis pour l’avenir, mais des préoccupations actuelles devant susciter l’action, partout sur la planète. Le Giec doit délivrer à la communauté mondiale un message clair et direct au sujet des importants risques que causerait une mise en action différée.
- Ensuite, les progrès et les lacunes dans les efforts en faveur de l’atténuation aux niveaux global et national ouvrent la voie à une évaluation de l’état de la progression vers l’objectif de stabilisation du climat « bien en deçà de 2°C/1.5°C ». Cette évaluation devrait être menée à la lumière à la fois de la définition des objectifs impulsée par les pays et d’une vision à long terme. Faire concorder actions à court terme et objectifs de long terme en matière d’atténuation et d’adaptation constitue en effet à la fois un défi et la clé pour réussir la transformation de l’ensemble des secteurs de l’économie afin de construire un monde résilient et bas carbone.
- Enfin, une vision claire de l’éventail de solutions actuellement testées ou déjà déployées est nécessaire, pour ce qui concerne l’atténuation et l’adaptation aussi bien que les questions d’investissement et de financement du développement. L’identification des leviers les plus efficaces pour l’action climatique devrait guider et soutenir les décideurs dans leur effort pour fixer les bonnes priorités pour aujourd’hui et identifier les possibilités d’actions à mener dans les années à venir.
Relever ces trois défis sera essentiel pour appuyer le premier Bilan global qui interviendra en 2023. Le chemin ne sera pas aisé, sachant que les conclusions du Giec devraient, comme toujours, mettre au défi les positionnements et les alliances diplomatiques. Mais quels que soient les obstacles politiques, sociaux et économiques à affronter dans l’avenir, le monde a indéniablement besoin d’une compréhension reposant sur des données factuelles des questions liées au changement climatique, des processus physiques aux conséquences et aux réponses potentielles. Cela est et demeurera le rôle du Giec.
Joyeux anniversaire au Giec, et que ses trente prochaines années d’existence puissent voir advenir un monde bas carbone et résilient.
[1] Pour le rapport sur le réchauffement de 1.5°C, Henri Waisman, chercheur senior à l’Iddri et coordinateur du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP), a été désigné auteur principal du Chapitre 5 portant sur le développement durable, l’éradication de la pauvreté et la réduction des inégalités. Concernant le rapport spécial sur les océans et la cryosphère, Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au CNRS et chercheur associé à l’Iddri, a été désigné auteur principal et coordinateur du Chapitre 1 portant sur l’élaboration et le contexte du rapport, et Alexandre Magnan, chercheur senior à l’Iddri, a été désigné auteur principal du Chapitre 4 portant sur l’élévation du niveau des mers et les implications pour les îles et les zones côtière de faible élévation ainsi pour que les communautés qui les peuplent.