La Commission européenne a publié mercredi 2 mai sa proposition pour le budget de l’Union européenne pour le prochain cycle de sept ans (2021-2027). Présentée comme un « budget moderne destiné à protéger, habiliter et défendre », cette proposition lance un marathon de négociations avec les États membres et le Parlement devant aboutir au premier semestre 2019. En l’état, elle prévoit une augmentation modérée des dépenses consacrées à la protection de l’environnement ; les critères sur lesquels l’Union s’appuiera pour identifier les dépenses climato-compatibles ou « vertes » restent cependant à définir. Plus préoccupant, la proposition ne contient aucune référence à l’exclusion d’investissements non compatibles avec la protection de l’environnement pour les 75 % restants de l’enveloppe budgétaire.
Le prochain budget de l’UE sera-t-il à la hauteur des enjeux soulevés par la transition écologique ? Décryptage de l’Iddri, sur la base d’un document de propositions publié en début de semaine.
La proposition de la Commission européenne pour le nouveau cadre pluriannuel financier de l’Union européenne propose une augmentation substantielle des moyens financiers consacrés à la protection de l’environnement : outre l’augmentation de 60 % de l’enveloppe du programme Life+, la part du budget européen consacrée à la lutte contre le changement climatique est augmentée à 25 %, ce qui répond à l’appel d’un groupe de 16 pays européens du Green Growth Group à aller au-delà des 20 % actuels. Pourtant, 25 % pourraient se révéler rapidement insuffisants au regard des besoins de financement identifiés. Tout dépendra en fait de l’effet de levier des dépenses publiques européennes sur les dépenses des États membres et sur les investissements privés. Quoiqu’il en soit, cette proposition pourrait laisser les acteurs les plus volontaristes sur leur faim, le Parlement européen s’étant déjà prononcé pour augmenter cette part à 30 %, tandis que la France défend le montant plus ambitieux de 40 % pour le climat tout en l’étendant à la biodiversité, ce qui n’a pas été repris pour l’heure par la Commission européenne.
Mais quelque soit le chiffre retenu, encore faudra-t-il s’assurer que le reste du budget ne finance pas des pratiques ou des infrastructures en contradiction avec la transition écologique. La Commission est restée muette sur ce sujet, et elle devra préciser quels sont les types de projets exclus de tout soutien européen ou qui recevront un co-financement européen réduit et appelé à se réduire encore dans le temps. Les infrastructures gazières devraient-elle être exclues de tout soutien budgétaire ? Et quid des infrastructures routières sur lesquelles peuvent circuler des cars ou des voitures électriques ? Ou des transports collectifs fonctionnant avec des énergies fossiles ? Répondre à ces questions – et donc définir ce qu’est une dépense incohérente avec la transition écologique et ce qui peut être comptabilisé comme une dépense « verte » – est complexe et politiquement sensible. Et la Commission devra, dans les mois qui viennent, apporter des réponses claires au niveau européen, notamment en s’appuyant sur le travail d’élaboration d’une taxonomie des infrastructures durables, travail entamé dans le cadre de son Plan d’action sur la finance durable. Ou – dans une logique de subsidiarité – elle devra expliquer comment elle compte s’assurer que les investissements européens sont cohérents avec les stratégies de décarbonation profonde des États membres ou leurs stratégies nationales de biodiversité. Ces précisions arriveront, espérons-le, dans les propositions plus détaillées de la Commission attendues d’ici fin mai.
Un autre point sur lequel la Commission devra donner plus de détails concerne la traduction de l’objectif de 25 % dans les différents fonds européens, qu’il s’agisse de la politique de cohésion, la politique agricole commune (PAC), d’innovation, des infrastructures trans-européennes ou de la politique de coopération avec les pays en voie de développement. La prise en compte de facteurs relatifs à l’emploi et au changement climatique dans la politique de cohésion, en plus du critère de PIB/tête, est un signal positif, de même que l’annonce d’une intégration renforcée des critères environnementaux et climatiques dans la PAC – même si, sur ce volet, les propositions avancées en novembre dernier sont pour le moment en deçà des attentes et des enjeux. Il convient également de saluer la référence à la mise en œuvre les objectifs de développement durable (ODD) et de l’Accord de Paris sur le climat dans le cadre de la politique de coopération de l’UE. Dans tous ces cas, ces propositions devront être détaillées avec un niveau d’exigence fort sur le plan opérationnel.
La Commission n’a pas précisé si – et comment – elle comptait répondre plus fortement aux enjeux sociaux de la transition climatique et écologique, alors même que la thématique de la « transition juste » s’est progressivement imposée pour appeler les pouvoirs publics à accompagner la fermeture ou la reconversion de sites industriels dans le secteur du charbon par exemple. Que ce soit par la création d’un Just Transition Fund comme le demande le Parlement européen, la réforme du Fonds de modernisation ou la transformation du European Globalisation Adjustment Fund en un Globalisation and Climate Adjustment Fund, le futur budget européen pourrait être l’occasion de renforcer la solidarité climatique entre les territoires européens.
La Commission s’est en revanche montrée plus précise sur l’augmentation des ressources propres de l’UE, i.e. celles qui ne viennent pas des contributions des États membres et qui représentent seulement 10 % du budget aujourd’hui. Elle a en particulier proposé de se voir affecter 20 % du revenu du marché carbone européen ainsi qu’une contribution des États membres basée sur la quantité d’emballages pastiques non recyclables, ouvrant ainsi la voie au verdissement de la fiscalité européenne. Plusieurs autres pistes ont été écartées, qui pourraient refaire surface pendant les négociations, comme une taxe commune sur l’énergie ou l’instauration portée par la France d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe.
L’UE est encore loin d’avoir adopté son futur budget. La Commission va décliner les grands axes révélés hier dans le mois qui vient, et il est évident que les négociations seront ardues, comme le montrent déjà les réactions des États membres à la proposition de la Commission. Entre ceux qui veulent voir réduire le budget de l’Union après le Brexit, ceux qui veulent préserver l’enveloppe allouée à la PAC ou encore ceux qui défendent bec et ongles celle de la politique de cohésion, le risque est réel que l’enjeu de la transition écologique soit peu discuté, ou ne constitue qu’une simple variable d’ajustement politique. Le Parlement européen et la France se sont mobilisés pour en faire au contraire un axe fort des futures discussions budgétaires. Les réactions des autres États membres sur ce thème, et en particulier de l’Allemagne, devront donc être scrutées dans les semaines à venir.