Du 9 au 18 juillet se tient aux Nations unies le Forum politique de haut niveau (FPHN), où tous les pays se réunissent pour faire le point sur la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD). Par la variété des sujets couverts, le risque est que les discussions restent très généralistes, sans véritable valeur ajoutée par rapport aux instances de discussions internationales plus spécialisées. Mais ne faut-il pas voir dans le FPHN une opportunité pour travailler sur les synergies et les antagonismes entre les différents silos du développement durable ?
Le FPHN est la principale arène de suivi de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable et de ses ODD. L’une des trois missions [1] de ce forum est de procéder à des revues thématiques et transversales regroupant plusieurs ODD, différents chaque année. Cette année, les cinq ODD revus sont l’ODD 6 (eau et assainissement), l’ODD 7 (énergie), l’ODD 11 (villes), l’ODD 12 (consommation et production durable) et l’ODD 15 (biodiversité terrestre).
Compte tenu de l’ampleur des enjeux à traiter et de la fragmentation de la gouvernance internationale du développement durable (le climat, la biodiversité et les villes, par exemple, disposent d’arènes de discussion et négociation dédiées), l’une des pistes de réflexion développée par l’Iddri (avancée dans une précédente publication) est de concentrer les discussions sur les interrelations entre les ODD.
L’un des principaux défis de l’Agenda 2030 est en effet d’assurer la cohérence des objectifs poursuivis et des politiques publiques associées , à la fois au sein d’un pays et entre les pays : il faut d’une part éviter qu’une politique sectorielle ait des retombées négatives sur d’autres secteurs ; d’autre part, les politiques extérieures comme l’aide publique au développement doivent prendre en compte les ODD des pays récipiendaires, et la coordination internationale est nécessaire pour améliorer la durabilité des filières mondialisées (denrées agricoles, produits manufacturés, etc.).
L’un des principaux défis de l’Agenda 2030 est d’assurer la cohérence des objectifs poursuivis et des politiques publiques associées
Afin de rendre plus concrètes ces interrelations, nous avons identifié des sujets à l’interface des cinq ODD revus cette année.
Rendre la transition énergétique compatible avec les objectifs de conservation de la biodiversité (ODD 7 et 15)
L’ODD 7 ambitionne de généraliser l’accès à une énergie propre, à un coût abordable et utilisée de manière efficiente. Cet objectif a des impacts indirects très importants pour l’ODD 15 qui vise à protéger et à restaurer les écosystèmes terrestres, dans la mesure où la production d’énergie, qu’elle soit renouvelable ou non, a très souvent des impacts sur les paysages et la biodiversité : extraction de ressources pour le pétrole, le gaz ou le charbon ; extraction minière pour les panneaux solaires ; impacts sur les fleuves et les rivières dans le cas de barrages hydroélectrique, etc.
Poursuivre l’ODD 7 présente ainsi un risque pour l’ODD 15, dans la mesure où l’augmentation des capacités de production énergétique peut fragiliser la préservation de la biodiversité locale, même si la recherche d’efficience énergétique, qui est une autre ambition de cet ODD, concourt plutôt à cet objectif. Travailler sur les antagonismes et les synergies entre ces deux ODD est donc un chantier important, et le FPHN de cette année pourrait être l’occasion d’initier un programme de travail commun aux acteurs de la biodiversité et ceux engagés dans la transition énergétique.
Réduire l’empreinte écologique des filières agricoles et industrielles (ODD 12 et ODD 15)
Des cinq objectifs revus cette année, les ODD 12 et ODD 15 sont certainement de ceux qui présentent le plus de synergies, puisqu’une cause majeure de la perte de biodiversité à l’heure actuelle provient des modes de consommation. Certaines de ces interrelations font déjà l’objet de l’attention de la communauté internationale, comme par exemple celle connue sous le vocable de déforestation « importée » : une part importante de l’alimentation mondiale provient en effet de produits issus de terres agricoles obtenues en détruisant des forêts. D’autres sujets tout aussi importants sont cependant moins débattus à l’échelle internationale, comme celui de l’impact de la fabrication et de l’utilisation des équipements et des infrastructures numériques sur les ressources minières.
Ces exemples montrent que de nombreux enjeux de l’Agenda 2030 ne peuvent être réglés au niveau local, mais nécessitent d’agir sur des filières de production mondialisées, à travers un dialogue constructif entre les autorités des pays producteurs/exportateurs, les bailleurs de l’aide publique au développement, les entreprises et les ONG. Là encore, le FPHN peut être l’occasion de (re)lancer des processus multilatéraux et multi acteurs afin d’évaluer collectivement l’efficacité des outils existants – qu’ils soient de nature contraignante comme les réglementations ou volontaires comme les certifications –, et de réfléchir à leur meilleure articulation.
Renouveler la réflexion sur la gestion des ressources en eau (ODD 6, ODD 7, ODD 12 et ODD 15)
L’une des nouveautés de l’ODD 6 est d’avoir introduit la problématique de la gestion des ressources en eau, absente des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD, 2000-2015), qui se concentraient uniquement sur la question de l’accès et de l’assainissement. Cette problématique constitue sans aucun doute l’aspect le plus transversal de l’ODD 6, d’une part puisque cela concerne des pays avec des profils de développement très divers – la ville du Cap en Afrique du Sud s’apprête ainsi à atteindre le « jour zéro » où plus une seule goutte d’eau ne coulera du robinet –, d’autre part parce qu’améliorer la gestion de l’eau demande d’agir sur des thématiques couvertes par d’autres ODD (production d’électricité hydraulique, besoins alimentaires, déforestation, etc.).
De plus, la gestion des ressources en eau doit être conciliée avec les objectifs de préservation de la biodiversité aquatique en eau douce, couverts par l’ODD 15. Cette session du FPHN pourrait donc être l’occasion de relancer la réflexion sur la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) promue par le Partenariat mondial pour l’eau depuis les années 2000 et qui n’a jusque-là pas fait preuve d’une grande efficacité.
Assainissement et transports, deux priorités des discussions pour l’agenda urbain (ODD 6, ODD 7 et ODD 11)
Si l’accès à l’eau et à l’assainissement faisait partie des OMD, force est de constater que les progrès ont été relatifs : à peine la moitié de la cible en matière d’assainissement a été atteinte, tandis que celle sur l’accès à l’eau a été presque atteinte. Ce sujet doit donc être une des priorités pour l’Agenda 2030, et doit être discuté de manière concertée avec la communauté urbaine engagée sur l’ODD 11.
De plus, le FPHN de cette année est également une opportunité de discuter des objectifs d’efficacité énergétique (cible 7.3) au regard des politiques de mobilité (rappelons en effet que le secteur des transports constitue un des premiers secteurs de consommation énergétique) et plus largement d’urbanisme, qui sont comprises dans l’ODD 11. Cette discussion doit aller bien au-delà des responsables politiques en incluant également les opérateurs de services urbains (transports, eau, assainissement, énergie), qui ont un rôle essentiel.