Le 19 juillet 2018 s’est clôturé le Forum politique de haut niveau pour le développement durable (FPHN ). Ce forum, qui a réuni les hauts responsables des Nations unies, tous les pays membres, des acteurs locaux ainsi que des représentants d’ONG et du secteur privé, a alerté sur de nombreux enjeux liés à la mise en œuvre et l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) : la faim dans le monde augmente, la crise de l’eau est inquiétante, la productivité des terres diminue, les catastrophes naturelles liées au changement climatique et les conflits favorisent la pauvreté, l’espace pour la société civile diminue et les assassinats de militants environnementaux sont à la hausse. Malgré ce constat préoccupant, le FPHN a généré peu d’engagements et de nouvelles actions. L’Iddri tire un bilan mitigé non seulement du progrès mondial vers le développement durable, mais aussi du FPHN en tant que mécanisme de suivi des progrès accomplis par les pays.
FPHN 2018 : des discussions thématiques à faible valeur ajoutée
Le FPHN est la principale arène multilatérale de revue et de suivi de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable. La première partie de ce forum, le segment technique, est consacrée à la revue thématique d’un nombre restreint d’objectifs. Celle-ci est organisée en cycles de quatre ans ; chacun des 17 ODD aura donc été revu trois ou quatre fois d’ici 2030. Que retient-on de la version 2018 de cette revue thématique ?
Les discussions ont porté sur l’eau et l’assainissement, l’accès à des énergies propres, la ville durable, la durabilité des modes de consommation et de production, la biodiversité et les moyens de mise en œuvre, c’est-à-dire les ODD 6, 7, 11, 12, 15 et 17. Des thèmes nombreux, donc nécessairement abordés en peu de temps et de manière superficielle. À titre d’exemple, dans son rapport sur l’ODD Eau et Assainissement, l’ONU Eau a alerté sur le fait que les sous-objectifs de cet ODD 6 ne seront pas atteints d’ici 2030 si les tendances actuelles se poursuivent. Les acteurs de l’eau, assez mobilisés pendant ce forum, ont regretté le caractère superficiel des discussions et le fait que discuter de ces enjeux pendant trois heures tous les quatre ans était insuffisant. Plusieurs pays (Allemagne, Mexique, Finlande) ont d’ailleurs réitéré l’appel à la création d’une conférence intergouvernementale sur l’eau avec un mandat politique permettant de prendre des décisions et de générer de l’action collective.
Concernant les autres ODD, le niveau général des discussions, résumant ce qui se discute ailleurs (les enjeux liés à l’énergie se discutent dans le cadre de l’Accord de Paris, les enjeux de la biodiversité dans celui de la Convention sur la diversité biologique, etc.), n’attire que peu de spécialistes et ceux qui font le déplacement se disent plutôt déçus de n’entendre rien de nouveau.
Pour travailler sur les antagonismes et les synergies entre ODD de manière concrète, le FPHN n’est pas parvenu jusque-là à initier des programmes de travail commun entre secteurs
L’Iddri avait proposé que les discussions portent sur des sujets à la croisée de différents ODD. Une table ronde commune entre acteurs de la biodiversité et ceux engagés dans la transition énergétique aurait par exemple pu accroître la valeur ajoutée des discussions.
À l’issue du FPHN 2018, une prise de conscience de l’existence des interrelations entre ODD a pu être constatée, mais elle n’amène pas automatiquement à des politiques plus cohérentes. Pour travailler sur les antagonismes et les synergies entre ODD de manière concrète, le FPHN n’est pas parvenu jusque-là à initier des programmes de travail commun entre secteurs, par exemple sur les barrages prônés comme source renouvelable d’énergie par les uns et comme cause de perte de la biodiversité par les autres.
FPHN 2018 : un mécanisme de suivi faible
La seconde partie du Forum, le segment politique, est marquée par l’arrivée des représentants de plus haut niveau, ministres et secrétaires d’État ; à quelques exceptions près (la Pologne a été représentée par son ministre de l’Entrepreneuriat et des Technologies), il s’agit de ministres chargés de l’Environnement, de la Planification ou de la Coopération. Quarante-sept pays se sont soumis à l’exercice des revues nationales volontaires, ont présenté leur état d’avancement au regard des ODD et répondu aux questions posées par d’autres pays et par la société civile. Dans son état actuel, cet exercice, moment principal de redevabilité de la mise en œuvre des ODD, est peu convaincant.
Dans son état actuel, cet exercice, moment principal de redevabilité de la mise en œuvre des ODD, est peu convaincant.
Pourquoi ? La qualité des rapports nationaux est très hétérogène, les questions des autres pays sont souvent des questions de convenance, préparées à l’avance avec le pays qui présente. On peut toutefois noter une amélioration par rapport à l’année dernière : les pays n’ont pas seulement parlé de leurs réussites, mais aussi des défis qui restent à relever. Mais les pays se limitent encore trop souvent à la description de leur processus d’« alignement » de leurs politiques existantes, et parfois de leur budget, avec les ODD sans qu’on puisse vérifier ce que les ODD permettent de changer réellement, de remettre en question, de faire avancer.
Certes, les ODD créent un langage commun pour des défis partagés et permettent peut-être de piocher dans le répertoire de solutions existantes des uns et des autres et de s’en inspirer. Mais insufflent-ils une nouvelle dynamique en faveur du développement durable ? Rien n’est moins sûr. Dans l’état actuel, il manque des évaluations dans ce sens. Pour que l’exercice des revues nationales devienne plus intéressant, il faudrait produire des standards communs, rendre plus visible les nouvelles mesures en faveur de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et insister davantage sur l’évaluation de l’efficacité de ces mesures.
Des bonnes pratiques existent, mais il faut les rassembler
Si le bilan des revues nationales en tant qu’arène où les pays rendent compte de leurs progrès est faible, il n’empêche que le processus d’élaboration de ces revues peut avoir un impact au niveau national, en termes de gouvernance nationale du développement durable : mobilisation des acteurs par exemple, ou création d’institutions appropriées. La Slovaquie s’est inspirée de la Finlande pour créer une « commission de l’avenir » au Parlement, chargée de traiter des enjeux transversaux du développement durable. De nombreux pays ont annoncé avoir créé des mécanismes de coordination interministérielle ou encore des commissions multi-acteurs pour le développement durable. La création de telles institutions aura, selon Marie Chatardova, la présidente de l’ECOSOC (Conseil économique et social des Nations unies, sous les auspices duquel se réunit le FPHN), un impact à long terme sur la meilleure prise en compte du développement durable dans les orientations politiques de nombreux pays. Le potentiel est là, mais l’intérêt réel de ces nouveaux organes pour le renforcement de la cohérence des politiques dépend de leur poids et de leur mandat politique.
Quelques pays ont le souci d’une mise en œuvre concrète des ODD. Certains, par exemple, vont jusqu’à calculer le coût d’investissement nécessaire pour leur mise en œuvre nationale (Bénin et Irlande). D’autres utilisent les ODD pour évaluer leur budget ou leur politiques fiscales (Mexique, Colombie, Finlande) (pour plus d’exemples sur l’intégration des ODD dans les processus budgétaires, voir l’étude Iddri "Intégration des ODD dans les processus budgétaires nationaux). Le Guatemala a entamé un processus de planification complexe pour renforcer la cohérence des politiques et a défini des priorités basées sur une analyse des interrelations entre les enjeux de développement durable. L’Espagne porte les ODD au plus haut niveau politique et a présenté un plan d’action faisant l’état des lieux et proposant de nouvelles mesures et actions ; le gouvernement dit vouloir utiliser les ODD comme schéma directeur de ses politiques en évaluant les impacts des nouvelles lois sur l’atteinte de ces objectifs. L’Allemagne a renforcé la redevabilité de sa stratégie nationale pour les ODD grâce à un exercice de revue par les pairs ; cet exercice rassemble des experts indépendants internationaux pour interroger les haut responsables politiques et privés allemands sur leur manière de mettre en œuvre l’Agenda 2030.
FPHN 2019 : Un besoin de leadership pour plus d’action collective
Reste une question : est-ce que le FPHN permet de générer des démarches collectives à la hauteur des enjeux cités plus haut ? En vérité, le FPHN ne génère guère d’action collective ; c’est d’ailleurs ce que le représentant autrichien, intervenant au nom des pays membres de l’Union européenne, a regretté au moment de l’adoption de la déclaration ministérielle. Parallèlement, les discussions tendues autour de cette déclaration et les deux votes négatifs (États-Unis et Israël) ont montré une fois encore que le contexte multilatéral actuel rend difficile une telle ambition.
L’épreuve de vérité du FPHN viendra en 2019, quand le forum sera placé sous l’égide de l’Assemblée générale des Nations unies. L’Allemagne s’y prépare déjà, la France aussi qui s’est fixé comme ambition de finaliser d’ici là sa feuille de route nationale qui devrait être présentée par le Président de la République. Mais cela sera-t-il suffisant ? Quels efforts diplomatiques la France, qui assurera par ailleurs la présidence du G7 cette année-là, décidera-t-elle de déployer pour donner un sens à ce FPHN 2019 ? Et si ce n’est pas la France, verrons-nous d’autre pays prendre le leadership de ce FPHN 2019 pour donner un nouveau souffle au multilatéralisme en faveur du développement durable ?
Photo : Vue de la salle de l'Assemblée générale des Nations unies (archives). © ONU/Cia Pak