Trois ans nous séparent de 2015 et des engagements majeurs sur lesquels la communauté internationale, rassemblée au sein des Nations unies, a trouvé une série d’accords déterminants : Accord de Paris sur le climat, Agenda 2030 pour le développement durable, lancement de la négociation sur un futur statut de protection pour la haute mer. Ils témoignent d’une conviction partagée que la coopération entre États apporte non seulement des bénéfices globaux (un climat plus stable, par exemple), mais aussi, pour chacun des signataires, des bénéfices individuels supérieurs aux contraintes que cette coopération suppose. Cependant, trois ans plus tard, le contexte international difficile ne favorise pas cette coopération, dont il convient de démontrer à nouveau les avantages. En ce début d’année 2019, l’Iddri analyse ces enjeux politiques et le rôle d’analyse et de propositions que vont devoir y jouer les think tanks.
Où en est le développement durable ?
Les trois dernières années ont vu s’accumuler les difficultés, tant au niveau international qu’en Europe ou en France. Notamment, dans le sillage de la nouvelle donne américaine en matière de climat et d’environnement, des pays d’influence majeure commencent à s’exonérer de disciplines écologiques consenties de longue date (comme le Japon avec la reprise de la pêche à la baleine1 ) ou à afficher leur distance par rapport aux conclusions du Giec2 .
Pourtant, les acquis de la Conférence de Rio de 1992, consolidés il y a trois ans, résistent : la COP climat de Katowice a adopté les modalités d’application de l’Accord de Paris ; la COP biodiversité de Sharm-el-Sheikh s’est mise en ordre de marche pour préparer sa stratégie globale ; la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) s’apprête à publier une évaluation globale de la biodiversité dont on attend beaucoup.
Quant à la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD), on doit considérer les premiers progrès accomplis. La lutte contre les inégalités, ODD n°10, qui constitue une avancée politique majeure de l’Agenda 2030, est aujourd’hui au cœur de l’agenda non seulement des banques de développement (Banque mondiale, Agence française de développement), mais aussi des institutions majeures de la politique financière comme le Fonds monétaire international . L’approche par les droits progresse, y compris devant les tribunaux. En Amérique latine, l’Accord d’Escazu sur l’accès à l’information, la participation du public et la justice en matière d’environnement a été adopté (en mars 2018) dans le cadre de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), ce qui constitue un événement juridique et politique significatif. Dans de nombreux pays, l’Agenda 2030 s’impose comme une référence pour les politiques publiques et l’engagement des acteurs. La réunion du Forum politique de haut niveau (HLPF), qui se tiendra en juillet prochain dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies et qui va passer en revue la mise en œuvre des ODD, sera un moment politique important de l’année 2019.
Un impératif de débat approfondi
Dans ce moment de l’histoire contemporaine où des constructions et des valeurs essentielles de l’après-guerre sont mises en cause – la gouvernance multilatérale, l’abaissement progressif des frontières, la solidarité internationale, la gestion coopérative des biens communs, le désarmement nucléaire, la vision progressivement partagée d’une gouvernance démocratique et sociale élargissant les libertés fondamentales, la pertinence de la construction européenne –, l’Iddri a de toute évidence un rôle éminent à jouer pour montrer que les principes et valeurs du développement durable et de l’Agenda 2030 peuvent contribuer à une rénovation de la vie publique dans toutes ses dimensions et aux différentes échelles, avec la participation des acteurs concernés. La montée très forte des contestations et des critiques radicales, qu’elles soient légitimes ou non, qu’elles soient argumentées ou pas, conduit à un double impératif pour les acteurs du développement durable :
- participer à un examen approfondi des problèmes, notamment en matière sociale, et de ce qui n’a pas fonctionné, y compris dans les institutions fondamentales du multilatéralisme ou de la construction européenne ;
- convaincre que coopérer avec d’autres pays pour préserver des biens communs planétaires (climat, biodiversité, mais aussi équité ou sécurité alimentaire) est le meilleur pari, même pour nos intérêts individuels.
Un des enjeux qui traverse la plupart des contestations concerne l’économie mondialisée. Perçue comme mettant en concurrence des territoires et des pays prêts à tout pour attirer les investisseurs et les emplois, ayant des impacts sociaux et environnementaux massifs par une course aux coûts les plus bas, elle ne permet pas aux citoyens de ces pays de dessiner leur propre projet de société à long terme et d’investir dans leur avenir. Elle conduit alors trop vite au repli sur soi et au refus de s’engager dans des coopérations ambitieuses avec d’autres pays, en prétendant ainsi redonner plus de souveraineté. Mais c’est un leurre : la seule option pour préserver les intérêts de chacun et de tous, c’est au contraire la coopération pour améliorer la régulation, dans le cadre multilatéral et au sein de l’Europe.
Trois défis clés
C’est à la fois un défi et une opportunité historiques pour l’Europe, qui a la capacité de rassembler les États membres autour d'un projet commun. C’est cela qui devrait être au cœur de la campagne pour les élections européennes du mois de mai prochain. L’Union européenne, troisième puissance commerciale mondiale et premier marché commun, devrait jouer un rôle majeur pour infléchir les tendances de la mondialisation. Les règles du jeu des échanges entre l’Europe et le reste du monde doivent être un levier d’un nouveau modèle de mondialisation, face à des projets différents (ex : America first de Donald Trump, nouvelles Routes de la Soie de Xi Jinping) et en soutien aux pays les plus vulnérables. Souligner les forces de l’Europe, mais aussi les acquis incontestables de la construction européenne et des États membres, tant en matière sociale qu’environnementale, ne doit pas empêcher d’analyser les raisons qui limitent aujourd’hui les progrès et qui détournent aussi les citoyens des institutions européennes. Qu’est ce qui empêche aujourd’hui de réformer profondément la politique agricole commune pour permettre la transition du secteur agricole et alimentaire pour en améliorer les impacts sanitaires et nutritionnels, sociaux, et environnementaux ? Les règles de concurrence au sein du marché commun ou les bénéfices potentiels attendus de nouveaux accords de libre-échange peuvent-ils peser plus dans les arbitrages que les enjeux sociaux ou environnementaux soulevés par les citoyens et la société civile ? Cela ouvre des questions essentielles sur la construction européenne et ses institutions qui devront être explicitement abordées pendant la campagne.
Il appartient bien sûr à chaque pays, en Europe comme ailleurs, de relever les défis pour réellement mettre en place la transition écologique dans la société. C'est ce que l'on appelle, dans les arènes internationales du développement durable, « l’ambition ». Aujourd’hui, être ambitieux ne signifie plus uniquement se fixer des objectifs, aussi élevés soient-ils. Il faut se donner les moyens de les atteindre. Et il faut le faire avec et pour les citoyens, avec des alternatives lucides, avec des solutions anticipées, avec l’accompagnement social indispensable. Le grand débat national lancé cette semaine pourrait constituer, en France, la prochaine opportunité de mettre à plat les solutions et les choix politiques qu’elles impliquent.
Dans une économie mondialisée et face à des défis environnementaux planétaires, ces efforts à l’échelle de chaque pays doivent être soutenus en consolidant encore le cadre de coopération multilatérale, pour plus d’efficacité et de solidarité. Sur ce plan, l'année 2020 sera une échéance clé, avec la soumission attendue de contributions des pays à l’action climatique plus ambitieuses, la négociation à Beijing d’un nouveau cadre pour la préservation de la biodiversité, et l’aboutissement des négociations pour l'établissement du traité sur la haute mer.
Les objectifs sont clairs : un projet européen renforcé en faveur du développement durable, un déclenchement effectif de la transition à l’échelle des pays, un cadre de coopération internationale efficace et solidaire. L’Iddri et ses partenaires à travers le monde seront pleinement mobilisés sur ces trois axes, pour alimenter et structurer ces débats politiques intenses sur des questions déterminantes pour notre avenir.
Nous vous souhaitons une très bonne année 2019 !