La France a lancé un processus d'élaboration d'une feuille de route pour la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD). Dans le cadre de ce processus, l'Iddri co-pilote un groupe de travail avec le ministère français de l'Environnement dans lequel les acteurs ont exprimé la nécessité de rendre plus lisible le budget national et sa contribution au développement durable. Les ODD constituent une opportunité de lancer ce projet et un nombre croissant de pays expérimentent l'intégration des ODD dans leurs processus budgétaires.

Dans cet entretien, Annika Lindblom, représentante de la Finlande, l'un des pays les plus avancés en la matière, témoigne de la manière dont le pays rend compte et analyse les contributions et les impacts du budget national sur les ODD.

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Annika Lindblom est conseillère pour les affaires internationales au ministère finlandais de l'Environnement et secrétaire générale de la Commission nationale finlandaise du développement durable, dirigée par le Premier ministre et regroupant plusieurs parties prenantes. Elle coordonne la mise en œuvre nationale de l'Agenda 2030 pour le développement durable en coopération avec le cabinet du Premier ministre..


En tant que secrétaire générale de la Commission du développement durable finlandaise, pouvez-vous expliquer en quoi consiste votre rôle ?

La commission nationale, dirigée par le Premier Ministre, est composée de 50 parties prenantes, syndicats, ONG, ministères et peuples autochtones. C'est une société en miniature, un endroit idéal pour examiner des questions transversales et pour intégrer le développement durable dans nos politiques. En tant que secrétaire générale de la Commission, je suis au ministère de l'Environnement. Mes autres fonctions sont plus liées à l'environnement. Je travaille en étroite collaboration avec le secrétariat du cabinet du Premier ministre.

La Finlande est reconnue depuis longtemps comme un pionnier de la gouvernance du développement durable. Le thème de notre entretien – construire un budget durable – est une nouvelle avancée en la matière, dont l’origine cependant n’est pas nouvelle. Pouvez-vous nous parler du contexte de la gouvernance de la durabilité dans votre pays ?

La commission du développement durable existe en effet depuis 25 ans. Nous avons en Finlande une longue tradition de discussion sur le développement durable au sein de notre gouvernement et plus largement dans la société finlandaise. La commission a fonctionné sous 10 gouvernements différents, dirigés par 7 Premiers ministres de partis différents. L'Agenda 2030 pour le développement durable nous a donné l'occasion d'intensifier nos travaux. Nous avons estimé qu'un nouveau programme universel de transformation nécessitait de nouveaux mécanismes. Le processus budgétaire en fait partie.

Le Gouvernement finlandais a adopté un plan de mise en œuvre en février 2017. Nous avons établi deux priorités : (1) une Finlande neutre en carbone et respectueuse des ressources ; et (2) une Finlande non discriminatoire, égale et hautement qualifiée. L'objectif étant d'inclure ces principes dans les futurs programmes gouvernementaux et activités de prospective.

Comment les innovations en matière de budget durable ont-elles vu le jour ?

En ce qui concerne les processus budgétaires, tout a commencé après le Forum politique de haut niveau (FPHN) de l'ONU à New York il y a un an [juillet 2017]. Le secrétaire d'État au ministère des Finances y dirigeait la délégation finlandaise. Les travaux du FPHN l’ont impressionné, il a suggéré au ministre d'être le « champion » d’un budget axé sur la durabilité, et le ministre s'est montré enthousiaste. Fin 2017, dans une courte fenêtre d’opportunité politique, a ainsi été demandé aux ministères de soumettre un budget compact. Après cet essai, nous mettrons en œuvre un budget de développement durable plus complet en 2019.

Le ministère des Finances a été très actif dans cette initiative, dès le début, organisant notamment un atelier auquel ont participé plus de 100 personnes de tous les ministères et instituts de recherche, organisations de la société civile, syndicats, etc. Plus important encore, les directeurs du budget de chaque ministère ont été invités et la plupart d'entre eux ont assisté à l'événement. Ce qui a contribué à faire avancer l’initiative. L'atelier a servi de base au ministère des Finances et à d'autres ministères pour lancer le processus d'intégration des questions de durabilité dans le budget.

Quels sont les ingrédients clés de cette innovation ? 

Le modèle finlandais comporte trois parties différentes. Tout d'abord, les ministères, dans leur rapportage, doivent justifier leurs principales lignes de dépenses à l’aune de critères de développement durable. Chaque ministère est tenu de rendre compte des ressources allouées aux deux priorités susmentionnées. Il s'agit du premier essai pour le budget 2018. Le budget 2019 comporte une toute nouvelle section sur les perspectives générales. Les ministères peuvent fournir une analyse et une évaluation plus approfondies sur l'une des priorités en matière de durabilité. La décision a été prise de se concentrer sur l’une ou l’autre de ces priorités, car plus faciles à cerner et à intégrer dans le processus budgétaire. Ceci est complété par une publication sur l'examen du budget, dont la version anglaise est en ligne. 1  Enfin, un nouveau chapitre spécifique sur le développement durable résume les première et deuxième sections.

Pour que cette initiative de durabilité réussisse, les ministères doivent être disposés à y participer. Comment cela fonctionne-t-il réellement pour les différents ministères ?

L'analyse plus approfondie dans la section sur les perspectives générales explique comment le budget a été élaboré en fonction de la première priorité en matière de durabilité. Il contient une vue d'ensemble et présente les crédits budgétaires conformes aux objectifs de promotion de la biodiversité et du bien-être de l'environnement, des solutions bio-économiques et, plus généralement, d'une société sobre en carbone en Finlande. Dans les services administratifs des ministères de l'Économie et de l'Énergie, de l'Agriculture et des Forêts, des Transports et des Communications et de l'Environnement, il a toujours été crucial de donner une perspective globale à notre travail, au-delà des silos sectoriels. Une évaluation rapide de notre première priorité en matière de durabilité (une Finlande neutre en carbone et respectueuse des ressources) au regard des huit ou neuf actions clés montre qu'il y a eu une légère diminution de l'allocation budgétaire 2018 par rapport à l'année précédente : 1,7 milliard d'euros, soit une diminution de 95 millions. Cela ne semble pas positif pour la collectivité de la durabilité.

Cette tendance à la baisse, assez significative, des crédits budgétaires « développement durable-compatibles » a été justifiée par les ministères. L’une des explications étant l’approche des élections parlementaires : les projets arrivent à leur terme et aucun crédit n’est alloué pour leur continuation. Pour nous, c'est tout à fait compréhensible. Actuellement, le train de mesures le plus important concerne l'énergie et le changement climatique, par exemple la subvention à la production d'énergies renouvelables. Et il y a de l'argent pour l'économie durable et les solutions technologiques propres, pour une agriculture verte et le régime de compensation environnementale.

Le ministère des Finances n'a pas voulu s'intéresser uniquement aux crédits, mais aussi aux taxes et aux subventions dommageables à l’environnement, qui peuvent soutenir ou non les objectifs du développement durable. Les taxes sur les véhicules motorisés, les boissons et les déchets sont considérées comme favorisant le développement durable ; mais, comme l'a souligné le ministère des Finances, il n'est pas certain que d'autres taxes favorisent le développement durable, car elles sont difficiles à évaluer. La production de chaleur en Finlande est une pomme de discorde ; selon l’acception adoptée, elle peut être considérée comme une source d'énergie renouvelable – c’est le cas en Finlande –, ou non – c’est le cas de l’Union européenne. Nous avons également des taxes sur les émissions, qui ont été modifiées pour soutenir le développement durable.

Les processus budgétaires orientés vers la durabilité rendent explicites les impacts environnementaux et sociaux du budget. Il s'agit d'une mesure assez radicale, surtout pour les ministères. Y a-t-il eu beaucoup de résistance concernant les taxes et les subventions ?

Oui, au sein des ministères pour lesquels la section sur les subventions nuisibles à l'environnement dans la proposition de budget est problématique. Certaines subventions sont en effet fondamentales pour les activités économiques liées à l'agriculture et aux transports. Avec le temps, ces résistances sont devenues moins fortes. Nous avons mené une étude exhaustive sur les subventions nuisibles à l'environnement, qui a éclairé l'élaboration de cette initiative. Notre calendrier de finalisation du budget était serré. La conclusion a été que les subventions nuisibles à l'environnement pouvaient être justifiées, dans la mesure où elles peuvent contribuer à des objectifs économiques et sociaux, objectifs qui font également partie du développement durable.

Le montant alloué aux subventions nuisibles à l'environnement est deux fois plus élevé que les crédits : 3,5 milliards d'euros contre 1,7 milliard d'euros. Certaines subventions dans les domaines de l'énergie, des transports et de l'agriculture n'étaient pas favorables au développement durable. La subvention la plus importante est la taxation de l'énergie qui compense les coûts indirects, ce qui en fait la plus importante subvention nuisible à l'environnement. La taxe sur l'énergie plus réduite est justifiée dans un pays froid du Nord qui compte sur l'utilisation de l'énergie pour être économiquement compétitif. Nous n'avons pas oublié que la réduction de la taxe sur le diesel va également à l'encontre du développement durable.

Il est crucial d’impliquer le niveau politique dans une telle initiative en faveur de la transparence qui, si elle n'est pas bien gérée, peut s’écrouler. Comment le niveau politique a-t-il réagi à cette initiative ?

La proposition de budget a été soumise au Parlement, qui peut modifier les chiffres, mais l'évaluation contenue dans la stratégie générale ne sera pas touchée par le Parlement. L'évaluation fournit la base factuelle sur laquelle nous nous dirigeons en termes de financement de la durabilité. Le leadership et l'engagement politiques sont cruciaux ; l’initiative n'aurait pas été couronnée de succès si elle avait émané d'un fonctionnaire du ministère du Budget ou, de la même manière, du ministère de l'Environnement. Le plus important est que le ministère des Finances se soit approprié l’initiative, avec l'appui et la capacité de plaidoyer du ministre lui-même.

Nous avons également tenu à être pragmatiques. Il n'est pas nécessaire que l'initiative soit parfaite dès le départ. Certaines parties prenantes n'ont jamais entendu parler du développement durable et ont dû être éduquées au fil du temps. Nous améliorerons notre modèle au fil du temps. Les directeurs du budget ont été stratégiquement inclus au plus près de l’évolution de l’initiative. Et dans un objectif d’inclusivité, la société civile connaissait l’existence de cette initiative, et a ainsi pu mettre le ministère sous pression pour en évaluer les progrès. Maintenant que les critères de durabilité sont inclus dans le budget, nous espérons que les décisions budgétaires les prendront de plus en plus en compte. Nous n'avons pas encore terminé et nous avons l'intention de poursuivre cette initiative pour le budget 2020. Nous aurons un nouveau gouvernement et tout peut arriver. Il serait toutefois surprenant que le prochain gouvernement ne poursuive pas dans cette voie et ne rende pas cette initiative encore plus utile.