En 2018, l’Iddri et ses partenaires du Projet Transition Charbon ont montré que l’effort mondial d’élimination de la consommation de charbon s’accélérait et allait s’intensifier dans les années à venir. Seulement 6 mois plus tard, cette prévision s’avère plutôt juste. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire, à la fois pour s’aligner sur l’ambition de l’Accord de Paris et pour assurer une transition juste pour les travailleurs et les citoyens affectés.
La transition charbon gagne du terrain
Fin 2018, 30 gouvernements nationaux, 22 gouvernements infranationaux et 28 entreprises s’étaient engagés à éliminer progressivement le charbon d’ici 2030, dans le cadre de l’alliance Powering Past Coal. Toutefois, beaucoup ont critiqué le fait que ces gouvernements ne représentaient qu’environ 3 % de la consommation mondiale de charbon. Mais ces derniers mois, la transition a commencé dans les grandes économies utilisatrices de charbon.
Quatrième économie mondiale, l’Allemagne est aussi le cinquième consommateur de charbon. Les seuls pays qui consomment plus de charbon par an que l’Allemagne sont la Chine, l’Inde, l’Indonésie et la Russie. Le 26 janvier, la « commission charbon » – un comité créé par le gouvernement allemand et composée d’acteurs du secteur chargés d’étudier les conditions d’une sortie du charbon équitable et réalisable pour le pays – a abouti à un accord de compromis historique sur une sortie complète du charbon d’ici 2035-2038 (voir ici le texte intégral en allemand).
Trois autres événements importants pour le marché du charbon ont suivi la décision allemande.
Tout d’abord, Glencore Xtrata, le 4e groupe minier mondial et premier exportateur de charbon dans le monde, a annoncé qu’il limiterait sa production de charbon à 129 Mt/an et commencerait à diversifier ses actifs en s’éloignant du charbon dans le cadre d’une nouvelle stratégie visant à « assurer la transition vers une économie sobre en carbone ». Ensuite, en Australie, premier pays exportateur de charbon au monde, une décision juridique très importante a été rendue dans l’État de Nouvelle-Galles du Sud, empêchant pour la première fois une entreprise de développer de nouvelles mines car son investissement n’était pas compatible avec l’Accord de Paris sur le climat.
Troisièmement, la Chine, qui consomme la moitié de la production mondiale de charbon et représente une proportion similaire des importations mondiales (1), a annoncé son intention de plafonner ses importations de charbon métallurgique en provenance d’Australie, bloquant ainsi environ 10 % des exportations annuelles de l’Australie vers la Chine. Cette décision reflète une « nouvelle normalité » (new normal) en Chine, à savoir que le pays a désormais atteint son pic de demande intérieure en charbon, malgré une importante surcapacité de production nationale.
Quels impacts de ces décisions relatives à la sortie du charbon ?
Bien entendu, ces événements ne signifient pas en soi que le monde est soudain sur la bonne voie pour éliminer le charbon dans les délais nécessaires à la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris. Cependant, cela montre bien que, globalement, le « permis social » d’investir dans le charbon, de le négocier et de le consommer disparaît rapidement. Cela veut dire qu’à mesure que les centrales et mines de charbon existantes arrivent à expiration, il est de plus en plus improbable que de nouveaux investissements soient consacrés au charbon. Les conséquences sont importantes pour les pays, les gouvernements régionaux, les entreprises, les communautés locales et les travailleurs qui dépendent actuellement du charbon – il est urgent qu’ils commencent à préparer et à planifier leur avenir au-delà du charbon, avant d’être dépassés par les événements.
Par ailleurs, la décision de l’Allemagne de sortir du charbon souligne qu’une transition inclusive et juste pour tous les citoyens est la condition sine qua non de la suppression progressive des combustibles fossiles. Le compromis de sortie de charbon en l’Allemagne n’est pas simplement un calendrier d’élimination progressive. Il place au cœur de la stratégie les travailleurs, les régions minières et les consommateurs d’énergie concernés. Par exemple, il comprend un accord pour faire en sorte que chaque employé du secteur du charbon ait la possibilité, soit de prendre sa retraite, soit de trouver un autre emploi de qualité équivalente. Il comprend également un accord sur le financement accordé aux régions pour développer des activités économiques alternatives, en s’appuyant sur des initiatives existantes, notamment Lausitzlab. L’un des principaux enseignements de l’accord conclu en Allemagne est que l’arrêt de l’utilisation des combustibles fossiles ne peut réussir que s’il repose sur un large consensus entre les parties prenantes et offre aux personnes les plus vulnérables de la société un avenir souhaitable pour l’après-charbon.
Un troisième point à retenir ici est que les alternatives technologiques au charbon sont beaucoup plus avancées qu’elles ne l’étaient il y a 5 ans. Cela doit donner à réfléchir aux autres pays qui planifient ou envisagent de construire de nouvelles centrales au charbon. Beaucoup considéraient encore il y a peu que l’énergie éolienne et solaire était trop chère et trop variable. Or les coûts, tant de production que des solutions de stockage à petite échelle, ont fortement chuté au cours des cinq dernières années. Les expériences d’intégration des énergies renouvelables variables dans les pays de l’OCDE montrent qu’il existe des solutions permettant d’obtenir des parts beaucoup plus élevées que prévu. La preuve en est que les grandes économies industrialisées comme l’Allemagne sont en train d’éliminer progressivement le charbon – tout comme le nucléaire – en faveur d’objectifs très élevés en matière d’énergies renouvelables ; et que la Chine plafonne sa consommation de charbon en termes absolus. Il s’agit là de pays industrialisés qui ne le feraient pas si cela mettait leur modèle économique en péril.
Cette conclusion concorde avec celle d’une récente analyse de l’AIE selon laquelle, pour la population mondiale sans accès à l’électricité, 70 % des nouvelles connexions d’ici 2030 pourraient être réalisées à moindre coût ou à coût équivalent via les énergies renouvelables, ou des solutions renouvelables associées à des petites batteries. Accompagnés des bons cadres politiques, d’une volonté politique et de moyens financiers adéquats, les pays en développement peuvent s’industrialiser, offrir un accès universel et abordable à l’électricité et sortir du charbon.
Dans d’autres forums, la discussion sur le déclin du charbon reprend également. Ainsi, la semaine dernière, une table ronde internationale sur l’avenir du charbon s’est tenue en Afrique du Sud (l’un des quatre principaux exportateurs de charbon dans le monde), suivie d’un colloque sur une transition charbon juste pour l’Afrique du Sud.
Que faut-il faire maintenant ?
Il reste néanmoins beaucoup à faire. Alors que le monde dans son ensemble s’éloigne du charbon, certains pays, comme le Japon, l’Inde, le Vietnam, l’Indonésie, la Mongolie, la Turquie, le Bangladesh, le Pakistan, la Corée du Sud et certaines régions d’Afrique construisent encore de nouvelles centrales à charbon. Les décideurs de nombreux pays en développement sont déterminés à soutenir l’industrialisation. Dans ce contexte, ils se voient souvent offrir des paquets d’investissement dans le charbon – souvent proposées par des entreprises d’État chinoises – comprenant financement bon marché, technologie, construction, transfert de compétences et promesse de services accompagnant toute la durée de vie des projets. Ces solutions tendent à supplanter les énergies renouvelables sur le marché actuel, même si les alternatives au charbon pourraient être tout aussi économiques, rapides à construire et fiables dans les bonnes conditions politiques (qui font défaut). Cependant, jusqu’à présent, les pays ayant une ambition climatique élevée et les banques de développement multilatérales n’ont pas encore été en mesure de travailler avec les pays bénéficiaires pour fournir une alternative suffisamment attrayante, à l’échelle requise, pour tenir à l’écart les nouvelles centrales à charbon.
Dans le même temps, les grands utilisateurs de charbon doivent redoubler d’efforts pour éliminer le charbon. La Chine a limité son utilisation de charbon, mais doit désormais commencer à planifier une réduction progressive de ses actifs de charbon dans les dix prochaines années. L’Inde doit se fixer une date de pic d’utilisation du charbon, comme l’a fait la Chine, et faire davantage pour améliorer l’environnement des investissements et les politiques d’intégration des marchés pour les énergies renouvelables et l’utilisation de combustibles de substitution au charbon dans l’industrie. L’Afrique du Sud doit trouver le moyen de tirer le meilleur parti de la crise actuelle de production d’électricité : elle doit éviter le débat controversé sur la privatisation, mais plutôt s’attacher à utiliser le sauvetage du producteur d’électricité public en situation de monopole Eskom, en faillite, pour l’éloigner du charbon au profit d’alternatives d’énergie renouvelable moins chère. D’autres grands pays exportateurs, notamment l’Australie, l’Afrique du Sud ou la Colombie, ainsi que les principaux États houillers des États-Unis, sont toujours aux prises avec une réalité en constante évolution. Globalement, les décideurs de ces pays n’ont pas encore pleinement compris qu’il était très risqué économiquement et socialement de croire que l’avenir ressemblera au passé.
Au final, les travailleurs, les citoyens et les autres parties prenantes ainsi que leurs gouvernements doivent avant tout se mettre d’accord pour adopter une stratégie de sortie du charbon, du pétrole et du gaz qui soit conforme aux objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Faute de quoi ils risquent de se retrouver confrontés à une transition qui s’accélère et pourrait rapidement les devancer, sans qu’ils aient le temps de la rattraper.
(1) Pour plus d’informations liées au marché mondial du charbon et plus précisément sur les principaux pays consommateurs, lire le rapport « Mise en œuvre des transitions charbon dans les principaux pays consommateurs » (en anglais) publié en septembre 2018 par l’Iddri et ses partenaires dans le cadre du projet Transitions charbon : recherche et dialogue sur l’avenir du charbon.
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