En ce début de campagne pour les élections européennes, l’intérêt se porte surtout sur la composition des listes et le statut de l’environnement et de la transition écologique dans les préoccupations de l’électorat et dans les programmes. L’attention devrait néanmoins également se porter sur l’action diplomatique que l’Europe doit adopter à l’échelle internationale pour faire face aux enjeux écologiques planétaires, dans toutes leurs composantes.
Une Europe vertueuse, à l’international et en interne…
Selon le Global Energy and CO2 Status Report publié par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) la semaine dernière, la consommation globale d’énergie primaire a augmenté de 2,6 % en 2018, soit à un rythme double de la moyenne des huit années précédentes, une augmentation satisfaite pour l’essentiel par la consommation d’énergies fossiles, notamment le gaz. Pour sa part, l’Europe n’a accru sa consommation que de 0,2 %. Les émissions globales de CO2 ont encore progressé de 1,7 % en 2018, attribuables à 85 % à la Chine (+3,1 %), l’Inde (+4,8 %) et les États-Unis (+3,1 %), alors que dans le même temps elles ont baissé de 1,7 % en Europe (-21,6 depuis 1990 ; stabilisation aux États-Unis sur la même période).
Ainsi, même si l’Europe n’est pas aussi vertueuse qu’on le souhaiterait, elle demeure en tête des efforts menés dans le cadre des grandes entités géopolitiques de la planète pour mettre en œuvre l’Accord de Paris sur le climat.
Ce faisant, l’Europe est bien dans le rôle qu’elle s’est donnée lors de l’adoption du Traité de Lisbonne (2007), à savoir « contribuer à la paix, à la sécurité et au développement durable de la planète ainsi qu’au strict respect du droit international et de la Charte des Nations unies » (article 3) et « contribuer à l'élaboration de mesures internationales pour préserver et améliorer la qualité de l'environnement et la gestion durable des ressources naturelles mondiales, afin d'assurer un développement durable » (article 21-2-f).
C’est dans cet esprit que l’Union européenne a soutenu l’adoption des grandes conventions globales relatives à l’environnement planétaire et de l’Agenda 2030 pour le développement durable incluant les Objectifs de développement durable. Elle a également été active dans nombre de conventions régionales relatives aux mers et océans, fleuves, massifs montagneux, espèces migratrices et d’organisations régionales de pêche. Elle a en outre apporté une contribution substantielle à l’aide publique au développement (APD) : en 2017, l’APD fournie par l’UE et ses États membres s’est élevée à 75,7 milliards d’euros, contre 31,3 milliards pour les États-Unis ; la même année, le ratio APD/RNB de l’UE représentait 0,50 %, contre 0,21 % pour les pays de l’OCDE/Comité d’aide au développement (CAD) non membres de l’UE et 0,18 % pour les États-Unis.
Parallèlement, en interne, un ensemble de directives, dont certaines destinées à transposer des accords internationaux, ont été adoptées qui forment un ensemble impressionnant : la législation européenne de l’environnement. Les directives ne touchent pas seulement les diverses composantes de l’environnement : eau, air, biodiversité ou facteurs de pollution tels que les produits chimiques ; elles visent aussi à promouvoir en Europe, en conformité avec la Convention d’Aarhus (1998), une démocratie de type participatif quant à la prise des décisions affectant l’environnement, avec le renforcement des droits des citoyens et de la société civile à l’information, la participation et l’accès à la justice. L’extension des évaluations environnementales aux plans et programmes et la diffusion de l’information sur l’environnement qu’elles favorisent, la création de l’Agence européenne de l’environnement (AEE), qui met à disposition une information indépendante, l’adoption en cours, de la Directive sur la protection des lanceurs d’alerte : autant d’éléments qui contribuent à l’émergence d’une citoyenneté écologique européenne.
C’est avec une certaine timidité, et bien après la Conférence de Rio de 1992, que l’Europe s’est engagée dans un début de stratégie de développement durable. En son sein, c’est dans les domaines de la politique agricole et de la pêche, qui relèvent des politiques communes, qu’elle a testé de premières approches avec notamment la création des mesures agro-environnementales, le plafonnement des aides à la surface ainsi que le soutien aux secteurs en difficulté comme l’élevage et aux régions défavorisées. Ainsi la politique agricole commune (PAC) a-t-elle connu un début d’approche de durabilité, ce qui ne la met pas à l’abri de critiques sur ce terrain tant les résultats en termes d’environnement sont, selon la Cour des comptes européenne, encore peu tangibles. Dans le contexte de la mise en œuvre en Europe de la Convention climat, l’UE s’est montrée également active en matière de politique énergétique, principalement au bénéfice des énergies renouvelables ; elle a également infléchi sa politique régionale dans le sens de la durabilité.
…mais des résultats insuffisants
Les commissions Barroso (2004-2014) puis Juncker (2014-2019) se sont affirmées soucieuses de « digérer » cet acquis, de renforcer d’abord le principe de subsidiarité et la mise en œuvre de l’acquis ; la capacité d’initiative de l’Europe a décliné. Cette évolution n’est pas anormale en période de maturation d’une politique publique qui ne pouvait en rester à l’esprit pionnier des années 1980-1990. Pourtant, dans le contexte d’inquiétude créé, chez les scientifiques comme dans l’opinion, par les faibles résultats effectifs des grandes conventions et les risques qui s’ensuivent, et considérant les tendances « éco-sceptiques » qui se manifestent chez nombre de ses grands partenaires, il est vital que l’Europe, et d’abord la Commission, porte haut le souci du développement durable, en Europe comme dans le monde.
En effet, au sein même de l’UE, les évaluations fournies par l’AEE en matière de qualité de l’environnement ne sont pas satisfaisantes, qu’il s’agisse de la santé des cours d’eau et des nappes souterraines, de la production des déchets, de la diffusion des substances chimiques, de la pollution de l’air dans les grandes villes et de la biodiversité et de l’impact des infrastructures et de l’étalement urbain dans ce continent fortement anthropisé. Les directives environnementales, inégalement appliquées, ne suffisent pas. C’est en cela que l’approche de durabilité incluant l’économie, l’environnement et le social s’avère essentielle en Europe comme ailleurs. On ne peut progresser qu’en infléchissant les règles du marché intérieur et la politique commerciale, en réorientant les politiques sectorielles de transports, d’énergie, d’agriculture, de contrôle des produits chimiques et de leur usage, et en s’intéressant à la pression touristique sur les espaces naturels ; et on ne peut le faire que dans la recherche de l’équité.
Une nécessaire stratégie intégrée de développement durable
C’est pourquoi l’Europe se doit de construire une véritable stratégie intégrée de développement durable, qui inclura aussi l’action extérieure et la politique de développement. Ce ne sera pas une tâche aisée en raison de la diversité des situations sur le continent ; mais le défi doit être relevé, ne serait-ce que pour favoriser l’appropriation par chacun des enjeux politiques et socio-économiques du développement durable.
Au niveau international, l’Europe, parfois affaiblie par ses divisions internes, s’est faite plus discrète. Devant le manque de résultats probants en matière de climat, de biodiversité et de pollution des océans, un certain découragement a pu se manifester. De plus, on note une tendance à l’autocritique, un doute sur la pertinence de ce qui a fait la réputation de l’Europe dans les années 1990-2000, à savoir son attachement au droit international, au multilatéralisme et aux principes des Nations Unies, des approches aujourd’hui qualifiées d’irénisme exprimant un idéalisme trop confiant ; l’Europe n’aurait pas vu venir les dangers et les ambitions rivales et aurait fait preuve de naïveté. Dans ce contexte, certains remettent en cause un engagement multilatéral trop marqué, y compris sur le plan de la protection de la planète ; l’Europe est ainsi invitée à se durcir, à se fermer, et à réexaminer ses priorités internationales, notamment en augmentant ses dépenses militaires.
Nous pensons, à l’inverse que, conformément au Traité de Lisbonne, l’Europe doit reprendre l’initiative au niveau international en matière de développement durable tout en se gardant de tout angélisme, notamment en matière de sécurité et de commerce. On ne peut imaginer que dans la durée, l’Europe s’emploie à respecter ses engagements en matière climatique cependant que d’autres ne s’en soucieraient guère. L’Europe devrait donc reprendre l’idée défendue par la France selon laquelle les accords commerciaux devraient être compatibles avec l’Accord de Paris et que des mesures de sauvegarde puissent être adoptées vis-à-vis de pays non respectueux des accords internationaux environnementaux ou sociaux. Sur le plan intérieur, une nouvelle stratégie européenne de développement durable devrait être préparée qui couvrirait tant les questions de marché intérieur, de politique commerciale que les différents secteurs. La Commission devrait se réorganiser pour porter cette question. Le développement de politiques sociales et les progrès de l’harmonisation fiscale seraient des composantes de cette politique.
Au niveau international, la redynamisation de la politique européenne devrait concerner :
- le domaine climatique, avec le rehaussement des engagements et l’adoption d’un objectif ambitieux de l’ordre de 50 à 60 % de réduction des émissions de GES à l’horizon 2030 et en réorientant celles des politiques sectorielles qui pourraient y contribuer ;
- la politique extérieure : l’Union devrait également mener des actions cohérentes avec son engagement climatique ; c’est en particulier le cas à l’OMI (transport maritime) et à l’OACI (transport aérien), où elle doit militer pour la limitation des émissions de GES ;
- le domaine de la biodiversité : les évaluations se succèdent et mettent l’accent sur une érosion galopante ; l’échec de la Stratégie d’Aichi est déjà annoncé. Sortir la Convention sur la diversité biologique de son inefficacité est un enjeu dont la nouvelle Commission, le Conseil Européen et le Parlement devront se saisir à l’approche de la COP 15 en Chine en 2020 ;
- les substances chimiques et les déchets, en s’efforçant de dynamiser les conventions internationales qui les régulent. Utiliser le cadre de la Convention de Bâle pour traiter des déchets dans le milieu marin peut être une option ; mieux réguler la production, la circulation et l’emploi des substances chimiques dans le cadre des conventions de Rotterdam et de Stockholm en est une autre1 ;
- la dynamisation des nombreux cadres régionaux où l’UE est présente comme Partie ou comme observateur ;
- la gouvernance internationale, avec la diffusion des principes d’Aarhus, le développement d’une interface droits de l’homme/droit de l’environnement, la protection des droits de la société civile menacés dans de nombreux pays et la justice environnementale, le développement d’une législation internationale sur la responsabilité environnementale ;
- la mise en œuvre active de l’Agenda 2030, notamment en matière de financement du développement, mais aussi plus largement comme guide de son action extérieure, ainsi que la concrétisation des engagements financiers pris dans le cadre de la Convention climat.
- 1Pour les conventions de Bâle, Rotterdam et Stockholm, voir http://www.pic.int/Accueil/tabid/1731/language/fr-CH/Default.aspx