En réintégrant l’Accord de Paris sur le climat, les États-Unis sous administration Biden ont reconnu la gravité du défi climatique et l’ambition nécessaire pour y répondre. Les premières actions de l’équipe Biden ont mis en avant la dimension liée aux infrastructures et la dimension sociétale du problème, et ont mobilisé des organismes et des experts au sein de toute l’administration fédérale pour s’attaquer à ces questions. Cette ambition doit s’accompagner des moyens de la concrétiser. Les études les plus récentes identifient des balises concrètes pour atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle. Les États-Unis devraient présenter une nouvelle stratégie de décarbonation à l’horizon du milieu du siècle afin de coordonner les efforts à tous les niveaux de l’administration et du secteur privé.
Jim Williams, professeur à l’Université de San Francisco et membre du Deep Decarbonization Pathways Network, expose les actions que nécessite une telle stratégie et les raisons pour lesquelles il est crucial de disposer d’un tel outil.
La réintégration des États-Unis dans l’Accord de Paris annonce à la communauté internationale le spectaculaire changement de cap opéré par l’administration Biden concernant le climat et la politique énergétique. Le gouvernement fédéral américain reconnaît de nouveau la gravité du problème climatique et la nécessité pour la coopération internationale de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1.5°C. Les États-Unis acceptent les responsabilités réciproques découlant d’un pacte mondial, ainsi que la condition implicite que tous les pays joignent le geste à la parole en termes de financement. Les premières mesures prises au niveau national par l’équipe Biden concernant le climat témoignent de la compréhension à la fois de l’ampleur du défi et du niveau d’ambition requis pour relever ce dernier. Dans les grandes lignes, ces mesures en ont identifié les dimensions technologiques, économiques et sociales : le fait qu’atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle requiert une transformation des infrastructures énergétiques ; que cela crée une opportunité de renaissance industrielle aux États-Unis, les produits manufacturés remplaçant les combustibles fossiles ; qu’une transition juste pour les communautés et les travailleurs dépendants de l’extraction des combustibles fossiles est indispensable. Reconnaissant que le défi climatique touche toutes les portions de l’économie et de la société, l’administration a assigné des responsabilités en matière de décarbonation au sein de toutes les agences fédérales, de l’Énergie aux Transports, du Trésor au Commerce, de l’Intérieur à l’Agriculture.
Il s’agit d’avancées majeures, en particulier si l’on considère le climato-scepticisme de l’administration précédente. Cependant, pour porter ses fruits, l’ambition doit aller de pair avec une stratégie concrète. Notre récente étude “Carbon-Neutral Pathways for the United States”, parue dans la revue AGU Advances, fournit des balises pour une telle stratégie. En nous fondant sur une modélisation détaillée des systèmes énergétique et industriel, nous déterminons de multiples trajectoires envisageables grâce auxquelles les États-Unis peuvent atteindre zéro émission nette de CO2, en ayant recours aux technologies existantes, sans abandon précoce d’infrastructures, tout en conservant une économie robuste, une mobilité élevée et un réseau électrique fiable. Ceci peut être atteint pour un coût net s’élevant à seulement 0.2–1.2% du PIB, sans compter les bénéfices pour le climat, la qualité de l’air et la santé. Selon nos résultats, atteindre des émissions négatives compatibles avec un retour à 1°C du réchauffement climatique d’ici la fin du siècle est moins onéreux que les estimations liées à un scenario bien moins ambitieux de + 2°C établi il y a seulement cinq ans, ceci en raison de la baisse rapide et constante des coûts des panneaux solaires, des éoliennes et des batteries pour véhicules électriques. Ces résultats découlent d’une combinaison d’efficacité énergétique, d’électricité propre, d’électrification des utilisations actuelles des combustibles, et d’une faible part de technologie de capture du carbone, et ce dans le cadre de différentes hypothèses concernant le coût de la technologie, les prix des carburants fossiles, les comportements des consommateurs, les limites environnementales et les préférences sociétales.
Notre travail, ainsi que celui d’autres chercheurs, à l’image de la récente étude de l’Université de Princeton, Net Zero America, montre que les principales actions nécessaires dans les dix prochaines années sont assez semblables dans toutes les trajectoires visant zéro émission nette. Les repères pour 2030 comprennent les points suivants : augmenter de trois à quatre fois la capacité solaire et éolienne, parallèlement à celle du réseau de transmission nécessaire ; éliminer la production de charbon ; mettre un terme au déploiement de nouveaux sites d’exploitation pétroliers et gaziers ; atteindre une proportion de 50 % des ventes pour les véhicules zéro émission et les pompes à chaleur électriques ; et mettre en place des normes strictes en matière d’efficacité énergétique pour les équipements et les bâtiments. Le parc actuel de centrales thermiques au gaz devrait être conservé pour sa fiabilité dans un système électrique faisant la part belle aux énergies renouvelables, mais ces centrales seront de moins en moins utilisées au fil du temps, et peuvent remplacer le gaz naturel fossile par des énergies renouvelables. Les trajectoires technologiques pour atteindre zéro émission nette divergent dans les années 2030 et 2040, mais il n’est pas besoin de résoudre dès maintenant les questions relatives au rôle à long terme de la biomasse, de l’énergie nucléaire, de la séquestration du carbone, et d’autres solutions controversées ; il y a du temps pour la R&D, l’expérimentation et le développement des marchés si les États-Unis prennent dans les années 2020 les autres mesures à haut degré de certitude.
Un schéma directeur, auquel chacun pourra se référer, est nécessaire à une action concertée entre le gouvernement fédéral, le gouvernement des États, le gouvernement local et le secteur privé, afin d’envoyer des signaux cohérents aux entreprises et au public concernant les visées des politiques et la vitesse à laquelle elles vont progresser. Durant sa dernière année de mandat, l’administration Obama a produit une stratégie américaine de décarbonation profonde pour le milieu du siècle (United States Mid-Century Strategy for Deep Decarbonization), un des premiers exemples de ce type de feuille de route. Il est important que le gouvernement américain renoue prochainement avec la mise au point de stratégies pour le milieu du siècle, et qu’il les mette ensuite à jour à un rythme annuel à mesure que de nouvelles informations et de nouveaux outils analytiques deviennent disponibles.
La première stratégie américaine pour le milieu du siècle a été créée conformément à l’Article 4.19 de l’Accord de Paris, qui exhorte toutes les parties à formuler des « stratégies à long terme de développement à faible émission de gaz à effet de serre ». Cette disposition a été inspirée par le travail du Deep Decarbonization Pathways Project, un groupement d’équipes de recherche venant des 16 pays les plus émetteurs, qui ont développé leurs propres schémas directeurs nationaux pour la décarbonation. Ce projet a démontré à la communauté internationale l’importance capitale d’une planification à long terme en matière de décarbonation. S’il n’est pas possible de prédire avec précision toutes les évolutions qui interviendront dans les décennies à venir, il est néanmoins indispensable de tracer les trajectoires telles que nous les voyons aujourd’hui. Comme une lampe torche dans une vaste pièce obscure, un projet de décarbonation à long terme nous permet d’au moins apercevoir la porte de sortie vers laquelle il nous faut nous diriger ; si les choses sont bien faites, nos prochains pas s’en trouvent éclairés avec éclat. À mesure que nous avancerons, dans quelques années, nous serons en mesure de distinguer les étapes suivantes avec clarté. Élaborer des politiques sans feuilles de route à long terme revient à essayer de se déplacer une pièce obscure sans lampe torche.