Les projets d’énergies renouvelables à gouvernance locale (également appelés projets « citoyens »1 ) se fondent sur une implication forte des citoyens et des collectivités locales dans la gouvernance et le financement des projets sur leur territoire. Ils constituent à ce titre un véritable levier d’appropriation locale de la transition énergétique. En se fondant sur les travaux d’un groupe de travail coordonné par le ministère de la Transition écologique, l’Ademe et l’Iddri en 2021, la ministre a présenté en novembre 2021 dix mesures en faveur des énergies renouvelables citoyennes. Le gouvernement souhaite notamment développer 1 000 nouveaux projets d’ici 2028, ce qui reviendrait à multiplier par au moins 5 leur développement dès cette année, tout en maintenant le niveau d’aides publiques dédiées a priori inchangé. Comment atteindre cet objectif ? Et quels défis pour la suite ?
- 1 Le besoin de clarification de la terminologie a été souligné dans de précédents travaux de l’Iddri, en 2016 et 2019 notamment. Le groupe de travail national avait majoritairement employé le terme de projets « à gouvernance locale », qui permet d’insister sur l’implication des citoyens et des collectivités locales, tandis qu’au niveau politique et médiatique, la notion de « projets citoyens » reste prépondérante. Plus récemment, l’émergence des « communautés d’énergies renouvelables » en tant que nouvel objet réglementaire a pu encore ajouter à cette confusion.
Une reconnaissance politique inédite
Tout en représentant une « niche » au regard de l’ensemble des projets d’énergies renouvelables développés, les projets à gouvernance locale font l’objet d’une attention politique croissante, au regard de leur effets sur l’appropriation locale et l’acceptation des projets, mais également de la maximisation des retombées économiques locales. Autant d’enjeux essentiels dans un contexte politique français marqué par l’émergence de mouvements d’opposition locale et d’une forte polarisation politique de la question des énergies renouvelables.
Cette reconnaissance de l’énergie citoyenne s’est tout d’abord matérialisée au travers de la directive européenne pour les énergies renouvelables de 2018, qui appelait les États membres à promouvoir les « communautés d’énergies renouvelables » et à se doter d’un cadre réglementaire favorable en la matière.
Reconnaissance désormais également confirmée au niveau national, au travers de ce premier plan d’action, avec un premier fait notable : les projets d’énergies renouvelables à gouvernance locale n’avaient jamais fait l’objet d’un objectif national jusque-là2 . L’objectif proposé par le groupe de travail et repris par le gouvernement constitue à ce titre un signal politique fort et novateur. Et ce d’autant qu’il devrait également se matérialiser par une feuille de route stratégique dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), conformément à l’article 23 de la loi Climat et Résilience de 2021.
Cet objectif surprend également par son ambition : selon le réseau des projets citoyens Énergie partagée, environ 260 projets ont été initiés au cours des 10 dernières années, pour une puissance électrique installée de 540 MW (soit moins de 1 % du total). Afin d’atteindre l’objectif fixé, il faudrait désormais développer 140 projets par an, une trajectoire de massification sans précédent, et qui n’est pas sans soulever des interrogations quant aux moyens déployés pour y arriver3 .
Jugé trop ambitieux au regard de la dynamique historique par certains, cet objectif reste pourtant bien inférieur à ce qui peut être observé en Allemagne, où 40 % des capacités d’électricité renouvelable sont en possession des citoyens et agriculteurs.
Un plan d’action à la focale large
Partant de l’analyse des freins élaborée par le groupe de travail national, les 10 mesures en faveur des énergies renouvelables citoyennes ciblent des leviers d’action diversifiés, qui vont de la définition de l’objectif national et sa déclinaison dans la future PPE à l’amélioration des dispositifs de soutien aux projets, en passant par l’accompagnement local et la sensibilisation du grand public.
Les orientations retenues n’ont cependant pas permis de définir de façon précise l’ensemble des outils et mesures qui devraient être mis en place à l’avenir, en mesurant pleinement les implications du changement d’échelle requis pour atteindre l’objectif de 1 000 nouveaux projets en 2028. Trois enjeux peuvent être soulignés.
Les dispositifs de soutien, nerf de la guerre
Sans grande surprise, l’adéquation des dispositifs de soutien reste l’enjeu principal pour atteindre cette massification. Le plan d’action énonce la volonté générale « d’encourager les projets à gouvernance locale dans les dispositifs nationaux de soutien public ». Plusieurs points de vigilance demandent à cet égard une attention particulière dans le contexte actuel:
- Il faudra être particulièrement attentif au retour d’expérience de la réforme du « bonus participatif » dans les appels d’offres nationaux d’énergies renouvelables électriques, qui connaît désormais des critères nettement plus exigeants, sans pour autant lever les obstacles qui limitent la participation des projets locaux aux appels d’offres.
- L’interdiction du cumul entre aides nationales (tarifs d’achats notamment) et régionales : il s’agit d’un coup dur pour de nombreux projets locaux en émergence, mais également pour les régions, pionnières de longue date dans le soutien aux projets à gouvernance locale. Cette règle de non-cumul ne représente pas une fatalité, et il conviendrait de définir de nouvelles solutions de compromis avec les parties prenantes concernées.4
- Un enjeu spécifique autour de la définition de dispositifs de soutien pour les projets à gouvernance locale de gaz et de chaleur renouvelable, qui devraient faire l’objet d’un travail d’approfondissement dans l’année 2022.
De façon générale, on peut ainsi s’interroger sur la volonté de multiplier par au moins 5 le développement des projets à gouvernance locale dès cette année, tout en maintenant le niveau d’aides publiques dédiées a priori inchangé (voire en baisse en considérant les deux premiers enjeux identifiés).
Une définition opérationnelle des communautés d’énergies renouvelables
La précision des critères réglementaires permettant d’accéder au statut de « communauté d’énergie renouvelable » (CER) constitue un deuxième enjeu important, étant donné que de futurs dispositifs d’aide pourraient être directement dédiés à ces CER.
Les travaux du groupe de travail national ont permis de préciser de nombreux points de vigilance. Avec un enjeu fort : se doter d’une définition suffisamment exigeante et restrictive pour garantir que seuls les projets à gouvernance locale y sont éligibles, tout en évitant de produire une « usine à gaz » qui finit par être bien trop complexe pour être utile aux porteurs de projets. C’est tout l’enjeu de la finalisation du décret d’application correspondant, actuellement en consultation au Conseil supérieur de l’énergie.
Inscrire la dynamique collective dans la durée
Si les 10 mesures annoncées par la ministre fournissent un signal clair en ce qui concerne l’ambition politique, beaucoup reste à faire pour matérialiser cette volonté sur le terrain. Ce sera donc tout l’enjeu de la poursuite des travaux en 2022, visant à définir une feuille de route stratégique et à préciser la portée opérationnelle des différentes mesures.
- 2On peut toutefois signaler que la région Occitanie a été la première à se doter dès la fin 2019 d’un objectif quantifié, visant à développer 500 projets ENR citoyens d’ici 2030, impliquant au moins 100 000 citoyens.
- 3 Selon les chiffres clés d’Energie partagée, les 267 projets labellisés (en cours de réalisation ou en exploitation) cumulent 544 MW de puissance électrique et 21 MW de puissance chaleur. Selon de premières estimations, atteindre l’objectif de développer 1 000 projets d’ici 2028 supposerait qu’environ 5 % des nouvelles capacités éoliennes et solaires soient développés dans le cadre de projets à gouvernance locale.
- 4Ce principe de non-cumul a été intégré dans l’arrêté tarifaire sur le photovoltaïque de 2021, initialement justifié par la conformité avec le droit européen. Or, les lignes directrices aux aides d’État à l’énergie et à l’environnement ne prévoient nullement l’impossibilité de cumul d’aides, à condition que celui-ci puisse être justifié, que les seuils d’aide maximaux ne soient pas dépassés et que ces aides ne conduisent pas à une rentabilité excessive pour les projets considérés.