La biodiversité dans les zones marines situées au-delà de la juridiction nationale (BBNJ) est de plus en plus menacée par les activités humaines et l'accélération des impacts du changement climatique. Pourtant, le cadre juridique international pour sa conservation et son utilisation durable est fragmenté, incomplet et non coordonné. Une pléthore d'organismes régionaux et sectoriels n'offrent qu'une protection limitée et se sont révélés insuffisants pour lutter contre la perte de biodiversité, la surpêche et la pollution. Du 15 au 26 août 2022, les États se sont réunis aux Nations unies pour la cinquième session d'une conférence intergouvernementale visant à négocier un nouveau traité1 . Après 15 ans de discussions, cette session était censée être la dernière et aboutir à l'adoption d'un accord. Si certaines organisations non gouvernementales ont estimé que la réunion était un échec, de nombreux négociateurs et observateurs ont néanmoins quitté New York convaincus qu'un accord se profile à l'horizon.
- 1Les négociations portent sur quatre volets principaux (le Package Deal) : (1) assurer la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité dans les zones marines situées au-delà de la juridiction nationale par l'utilisation d'outils de gestion par zone, y compris des aires marines protégées ; (2) améliorer les études d'impact environnemental des activités humaines en haute mer, notamment par l'élaboration de normes ou de lignes directrices et la prise en compte des impacts cumulatifs ; (3) faire progresser le renforcement des capacités et le transfert des technologies marines pour permettre à tous les États de participer ; et (4) fournir un cadre de gouvernance pour les ressources marines génétiques, notamment en réglementant l'accès et en veillant à ce que les avantages résultant de leur exploitation soient partagés.
Quels ont été les progrès réalisés ?
L'atmosphère était positive et la grande majorité des États ont négocié de bonne foi, les délégations faisant preuve de beaucoup plus de souplesse et peu cherchant à bloquer les progrès. À la suite des appels politiques à finaliser le traité lancés lors de la deuxième conférence des Nations unies sur les océans (Lisbonne, juin 2022), des instructions politiques ont été données et les négociateurs avaient fait leurs « devoirs ». Ils se sont réunis en « informels » et en petits groupes, ont collaboré pour faire des propositions transrégionales et se sont engagés dans des consultations privées avec la présidente de la conférence, Rena Lee (Singapour), dans le but d'élaborer des « compromis globaux de haut niveau ».
Les longues journées de discussion ont permis de réaliser des progrès significatifs vers un consensus et un compromis sur certaines questions clés, mais les délégués ont manqué de temps et n'ont pas été en mesure de fournir le texte propre (clean text) nécessaire pour négocier les compromis finaux. La présidente va maintenant demander à l'AGNU de programmer une reprise de la conférence.
Ressources marines génétiques
Le statut juridique des ressources marines génétiques, qui peuvent être utilisées pour développer des produits pharmaceutiques et autres produits de valeur, a toujours constitué un élément de tension dans les négociations, notamment en ce qui concerne la question de savoir si et comment les avantages découlant de leur exploitation doivent être partagés. Historiquement, les pays développés ayant la capacité de mener des activités de recherche et de développement soutiennent que ces ressources peuvent être librement accessibles et exploitées dans le cadre de la « liberté de la haute mer » inscrite dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Les États en développement soutiennent que ces ressources génétiques font partie du « patrimoine commun de l'humanité » et que les avantages devraient être partagés avec tous.
Les discussions sur le patrimoine commun de l'humanité ont rapidement débouché sur un retour à cette dynamique familière : alors que certains en ont rejeté la pertinence, d'autres ont cité la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et des résolutions de l'ONU datant des années 1970 à l'appui de leur demande. Le projet actuel inclut le patrimoine commun de l'humanité dans la liste des principes fondamentaux devant guider l'accord, mais cette mention reste entre crochets.
Les négociateurs ont néanmoins semblé sur le point de sortir de l'impasse, de nombreux pays développés clés se déclarant désormais disposés à envisager une forme de partage des avantages sous une forme monétaire. Différentes propositions ont été avancées, avec un certain soutien à la fois pour un droit d'accès forfaitaire et pour un système de paiement de type redevance. Une délégation a proposé des paiements obligatoires pour le renforcement des capacités, mais cette proposition n'a pas reçu un grand soutien. Une proposition visant à laisser à la future COP le soin de définir les modalités n'a pas non plus recueilli de consensus.
Malgré les progrès réalisés sur le principe, la patience a commencé à s'émousser vers la fin de la réunion et les États en développement continuent de penser que de nouvelles concessions sont nécessaires.
Études d'impact environnemental
Cette section a fait l'objet d'un débat intense et de nombreux petits groupes ont été formés pour tenter de faire avancer des propositions textuelles spécifiques. Les délégués ont résolu un désaccord de longue date sur la question de savoir si les dispositions devaient s'appliquer aux activités « planifiées » ou « proposées », optant finalement pour « planifiées ». De nombreuses délégations ont soutenu l'inclusion des évaluations environnementales stratégiques, qui fourniraient un processus de collaboration pour comprendre les écosystèmes marins, développer les connaissances scientifiques et gérer les impacts cumulatifs, bien qu'il y ait eu peu d'accord sur la définition ou les modalités.
Le consensus n'a pas été non plus possible sur de nombreuses questions clés : les définitions ; le seuil pour la réalisation d'une évaluation ; si l'étude d'impact devrait être basée sur l'impact ou l'activité ; le rôle d'un futur organe scientifique et technique ; et la prise de décision (y compris les pouvoirs de la COP sur les études d'impact menées par les Parties).
De nombreux États développés, y compris les membres de l'UE, continuent d'insister sur des dispositions légères qui permettraient une surveillance internationale limitée et une contribution de l'organe scientifique et technique, alors que le G77 plaide en faveur d'un processus plus internationalisé. Dans le même ordre d'idées, les négociateurs restent divisés sur la question de savoir si l'accord doit élaborer des normes minimales mondiales ou des lignes directrices non contraignantes pour les études d'impact menées dans le cadre d'organismes existants.
Mesures de gestion et zones protégées
Des progrès significatifs ont été réalisés sur les outils de gestion par zone/aires marines protégées. Les délégués ont « toiletté » la section et se sont approchés d'un consensus sur de nombreuses dispositions clés, y compris la préparation/révision des propositions et la prise de décision. Le projet actuel viserait à « l'établissement d'un système complet » d'outils de gestion par zone, y compris un « réseau écologiquement représentatif et bien connecté » d'aires marines protégées. Il donnerait à la COP un mandat pour : adopter des mesures ; reconnaître officiellement les mesures adoptées dans d'autres cadres (étendant ainsi leur applicabilité aux Parties à l'accord) ; et faire des recommandations aux organes existants (ou à leurs membres).
Il est important de noter que le projet actuel prévoit un mécanisme de vote à la majorité pour l'adoption de mesures lorsqu'un consensus ne peut être atteint, ce qui devrait décourager les parties d'étouffer les progrès. Les négociateurs ont également avancé la section sur les mesures d'urgence, bien que le texte actuel laisse les détails à l'organe scientifique et technique.
La relation avec les organes existants, tels que les organisations régionales de pêche et les programmes pour les mers régionales, reste l'une des questions les plus controversées. Certaines délégations, cherchant une approche positive de l'exigence de « ne pas porter préjudice »2 , ont proposé un langage sur la « complémentarité » ; d'autres ont plaidé pour une interprétation plus étroite qui ne donnerait un mandat à la COP que là où aucune autre organisation n'existe.
Renforcement des capacités
D'une manière générale, la discussion sur le renforcement des capacités et le transfert de technologies marines a été moins polarisée, bien qu'une fois de plus les États en développement souhaitent des engagements plus ambitieux, tandis que les États développés ont eu tendance à éviter les dispositions et les obligations fortes. Les délégués ont semblé s'approcher d'un consensus sur la création d'un comité dédié, ainsi que sur les dispositions relatives au suivi et à l'examen.
Certains groupes régionaux ont appelé à « garantir » ce renforcement et ce transfert pour les États en développement, tandis que d'autres ont préféré utiliser la terminologie de « promotion » de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Les négociateurs ont hésité sur l'opportunité d'inclure une liste d'activités de renforcement et de transfert : de nombreuses délégations sont favorables à l'énumération de certaines activités dans le texte, ainsi qu'à la réintroduction d'une annexe contenant une liste indicative et non exhaustive d'activités (elle ferait ainsi partie de l'accord et pourrait être périodiquement révisée et modifiée) ; d'autres souhaitent toutefois laisser l'élaboration d'une telle liste à la COP et/ou au comité dédié au renforcement des capacités et au transfert de technologies.
Autres éléments
En ce qui concerne les principes et les approches, les négociateurs ont eu du mal à se mettre d'accord sur la question de savoir si le principe de précaution est un principe ou une approche, tandis qu'une autre formulation — « application de la précaution » — n'a pas obtenu de soutien.
Deux options sont sur la table pour la mise en œuvre et la conformité : l'une permet à la COP d'adopter des mécanismes pour promouvoir la conformité, mais laisserait aux Parties le soin d'assurer et de surveiller la mise en œuvre ; l'autre adopte une approche plus globale en établissant un comité dédié à la mise en œuvre et à la conformité (comme cela est courant dans les accords environnementaux multilatéraux).
En ce qui concerne les dispositions institutionnelles, les négociateurs ne sont pas parvenus à un accord sur les dispositions relatives au secrétariat, certains préférant établir un secrétariat dédié et d'autres soutenant que l'accord pourrait être hébergé par les mécanismes existants de l'ONU. Concernant le financement, un grand nombre d'États sont favorables à l'inclusion de dispositions distinctes pour les financements institutionnels et non institutionnels, insistant sur le fait que des ressources financières adéquates pour le renforcement des capacités et le transfert de technologies et d'autres domaines nécessiteront des contributions obligatoires. Il semble qu'il y ait un certain élan en faveur de l'établissement d'un comité financier dédié. L'établissement d'un mécanisme d'échange d'informations, dont les diverses fonctions seraient précisées par la COP, continue de faire l'objet d'un large consensus.
Une autre lutte pour les biens communs mondiaux
Les questions clés dans les négociations et la tension entre la protection de l'environnement (aires marines protégées, études d’impact) et l'équité (ressources génétiques, renforcement des capacités et transfert de technologies) reflètent une dynamique de longue date dans les négociations environnementales multilatérales. Longtemps désavantagés par les inégalités structurelles et secoués par des crises successives, les pays en développement sont de plus en plus nombreux à souligner le besoin de justice et à demander au Nord de respecter ses engagements financiers.
Alors que ces questions se sont souvent révélées insolubles dans les négociations sur le climat et la biodiversité, le traité sur la haute mer semble offrir l'occasion de combler ces fossés. À cet égard, ces négociations représentent un contrepoint positif au pessimisme concernant l'état du multilatéralisme (aux côtés des avancées vers un traité de l'OMS sur les pandémies, des discussions sur les vaccins à l'OMC, des négociations sur une interface science-politique pour la pollution chimique et d'un traité sur les plastiques).
Amener le navire à bon port
Alors que la conférence s'est ouverte par une séance plénière dans une salle comble, la présidente Rena Lee a exhorté les négociateurs à « amener ce navire à bon port ! ». Si les négociateurs ont finalement manqué de temps, les participants de longue date au processus sont néanmoins restés optimistes, notant les progrès substantiels réalisés sur les questions clés et la nécessité de donner la priorité à un traité solide plutôt qu'à une conclusion rapide. Les délégués devront continuer à faire preuve de souplesse afin de trouver un terrain d'entente et un consensus et, comme l'a fait remarquer un délégué, la reprise de la conférence nécessitera « des idées créatives et des compromis considérables » pour finaliser le traité.
- 2La Résolution 72/249 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 24 décembre 2017 et ouvrant officiellement les négociations indique expressément que ni le processus ni son résultat « ne doivent porter préjudice aux instruments et cadres juridiques en vigueur pertinents ou aux organes mondiaux, régionaux et sectoriels pertinents ». Cette disposition a été, et est toujours, l’objet de très nombreux commentaires et interprétations.