Considérées comme l’une des questions les plus sujettes à controverses lors des négociations de la 15e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique qui s’est tenue en décembre 2022 à Montréal, les informations de séquençage numérique (ISN) constituaient pour certains États la condition sine qua none à l’adoption d’un cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020. De fait, un compromis sur ce sujet technique a finalement été adopté, mais il pose simplement des principes généraux, dont la mise en œuvre devra être négociée dans les prochaines années. D’ici la COP 16 en 2024, les Parties devront mettre en place un mécanisme multilatéral et déterminer à quelles fins les bénéfices issus de l’ISN seront distribués pour répondre à la fois aux enjeux globaux de biodiversité et d’équité, et aux besoins nationaux de développement durable.
L’information de séquençage numérique (ISN, DSI en anglais), autrement dit les séquences génétiques de la biodiversité stockées dans des bases de données, est en enjeu majeur des négociations internationales. En quête d’équité et de sécurité juridique, la majorité des États souhaitent un partage équitable des bénéfices, monétaires et non monétaires, découlant de l’utilisation de l’ISN sur les ressources génétiques issues de la biodiversité (par exemple, dans le cas de vaccins, médicaments, semences hybrides, cosmétiques, etc.). Loin d’être en accord quant à la manière dont ce partage doit être fait, les États parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB) débattent depuis plusieurs années des différentes options politiques d’avenir de l’ISN. Très attendue, la décision de la COP 15 aura des répercussions sur le traitement de l’ISN dans d’autres arènes internationales, notamment à la FAO et dans le cadre des négociations pour un traité sur la biodiversité en haute mer.
Une mise en péril du protocole de Nagoya ?
Le protocole de Nagoya, adopté en 2010 et entré en vigueur en 2014, complète la CDB quant à son troisième objectif : le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. Afin de parvenir à des relations équitables entre pays utilisateurs (majoritairement au Nord) et pays fournisseurs de ressources génétiques (majoritairement au Sud), le protocole a créé le mécanisme d’accès et de partage des avantages (APA). Selon ce dernier, l’accès aux ressources génétiques et connaissances traditionnelles associées est soumis à l’obtention du consentement préalable donné en connaissance de cause du fournisseur et à la conclusion d’un contrat de partage des avantages entre fournisseurs et utilisateurs. L’idée qui sous-tend le mécanisme d’APA est que l’exploitation des ressources génétiques par la recherche, privée ou publique, doit permettre de dégager des avantages, monétaires ou non monétaires, pour l’ensemble des parties ainsi que des bénéfices pour la conservation de la biodiversité. Douze années après l’adoption du protocole de Nagoya, le mécanisme d’APA n’a toutefois pas connu le succès escompté1 . L’adoption de législations nationales en la matière est encore relativement faible et les contrats d’APA conclus sont majoritairement à visée non commerciale, ce qui ne permet pas de générer d’importants bénéfices monétaires à allouer à la conservation de la biodiversité.
Dans ce contexte, le développement des technologies de séquençage génétique ou biologique et du big data vient ajouter de nouvelles difficultés à un mécanisme fragile. Les ressources génétiques sont désormais séquencées et stockées dans des bases de données, publiques ou privées, très souvent en libre accès (la plus importante est l’International Nucleotide Sequence Database Collaboration). Grâce à la recherche in silico, l’accès aux ressources génétiques physiques est donc de moins en moins nécessaire pour exploiter ces ressources. En ne se rendant plus sur les lieux d’origine de la biodiversité, les utilisateurs des ressources génétiques échappent ainsi à l’application du protocole de Nagoya et du mécanisme d’APA en utilisant l’ISN en libre accès sans contrepartie. Face à cette situation, les États parties à la CDB se penchent sur le bien-fondé de l’élargissement du mécanisme d’APA aux ressources génétiques dématérialisées, appelées informations de séquençage numérique (ISN, ou DSI en anglais, pour Digital Sequence Information).
Un mécanisme multilatéral pour encadrer les ISN
Depuis la COP 14 en 2018, la question du partage des avantages découlant de l’utilisation de l’ISN sur les ressources génétiques est au cœur des négociations internationales. Les points de vue sur ce sujet divergent et opposent schématiquement les pays du Sud disposant d’une riche biodiversité, mais d’une faible capacité technologique, qui plaident pour l’application de l’APA à l’ISN, aux pays du Nord dont la situation est tout à fait inverse et qui se montrent réticents à un tel élargissement. La communauté scientifique est quant à elle mobilisée pour défendre le principe de l’accès libre et gratuit aux données numériques.
Plusieurs options politiques étaient en discussion à Montréal, du maintien du système d’APA bilatéral à la mise en place d’un mécanisme multilatéral ou hybride. La solution retenue devait notamment répondre aux critères suivants :
a) être efficace, réalisable et pratique ;
b) créer plus d’avantages, y compris monétaires et non monétaires, que de coûts ;
c) être effective ;
d) garantir aux fournisseurs et utilisateurs d’ISN sur les ressources génétiques une sécurité et une transparence juridique ;
e) ne pas entraver la recherche et l’innovation ;
f) être compatible avec le libre accès aux données ;
g) ne pas être contraire aux obligations juridiques internationales ;
h) se renforcer mutuellement avec d’autres instruments relatifs à l’accès et au partage des avantages ;
i) tenir compte des droits des peuples autochtones et des communautés locales, notamment en ce qui concerne les connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques qu’ils détiennent.
Dans la décision finale adoptée lors de la COP 15, les États ont in extremis trouvé un terrain d’entente sur l’établissement d’un mécanisme multilatéral et d’un fonds mondial pour le partage des avantages découlant de l’utilisation de l’ISN. Si cette décision a évité un blocage de l’adoption du cadre mondial, la discussion sur le sujet est pourtant loin d’être réglée et ne marque que le point de départ de nouvelles négociations internationales, planifiées dès la COP 16, pour mettre en œuvre ce mécanisme.
Deux sous-options sont actuellement à l’étude.
- Un paiement ou une contribution au fonds multilatéral pour accéder aux séquences génétiques elles-mêmes. Cela pourrait prendre la forme d’une cotisation pour accéder aux bases de données ou d’un paiement minimal pour chaque ISN. Il pourrait également s’agir d’un accès gratuit aux séquences en échange d’une redevance pour accéder aux données associées comme la fonction des protéines ou l’association des gènes. Ces options risquent toutefois d’entrer en contradiction avec le principe du libre accès aux données pour la recherche.
- Une contribution au fonds multilatéral indépendant de l’ISN. Dans ce cas, les services liés à l’ISN (stockage, traitement, expertise, analyse des séquences) pourraient être facturés. Il est également proposé d’imposer une micro-taxe sur les équipements de laboratoire ou sur l’espace informatique loué dans le cloud pour stocker et traiter les séquences. Le fonds pourrait également être financé par des financements obligataires ou des labels reliés à des contributions volontaires.
Il convient de préciser que l’instauration d’un système bilatéral d’APA en complément du mécanisme multilatéral n’est pas écartée à ce stade des négociations. En effet, la décision adoptée prévoit que des exceptions à l’approche multilatérale pourraient être identifiées. Dans ce cas, un mécanisme hybride tel que celui proposé par le Groupe africain est envisageable. Selon cette proposition, le mécanisme multilatéral ne fonctionnerait que dans les cas où le système d’APA ne serait pas réalisable, par exemple lorsque l’ISN n’a pas de pays d’origine identifié ou provient de plusieurs pays connus. Le fonds multilatéral pourrait alors être financé par un prélèvement d’une taxe de 1 % sur toutes les ventes au détail de produits résultant de l’utilisation de ressources génétiques. Cette approche, bien qu’encore vague, peut sembler prometteuse pour alimenter le fonds multilatéral. Toutefois, au regard de la faible part de l’utilisation des ressources génétiques à des fins commerciales, se pose la question de la capacité d’un tel mécanisme à produire des bénéfices monétaires conséquents. Par ailleurs, la combinaison avec un système bilatéral conduirait à devoir tracer l’origine et l’utilisation de l’ISN, ce qui est aujourd’hui reconnu comme financièrement et techniquement très difficile.
La variété des solutions proposées montre la complexité du travail à accomplir avant qu’un tel instrument multilatéral puisse être véritablement effectif. Cela dépend in fine d’enjeux de financement. Par ailleurs, le succès d'une solution ouverte et multilatérale nécessite une gestion responsable des données afin de garantir la justice et l'équité.
Le fonctionnement du fonds mondial à approfondir
Les États parties à la CDB reconnaissent que la mise en place d'un mécanisme de partage des avantages liés à l'utilisation de l’ISN est un outil important pour la mobilisation de ressources financières en faveur de la conservation et de l'utilisation durable de la biodiversité. Cependant, outre la création d'un mécanisme multilatéral pour alimenter ce fonds, de nombreux aspects liés au fonctionnement de ce fonds mondial restent à clarifier. Il faut notamment se poser la question de savoir si le fonds dédié à la mise en œuvre du cadre mondial pour la biodiversité sous l'égide du Fonds mondial pour l'environnement est l'entité appropriée pour gérer les revenus provenant de l'ISN. De plus, les avantages liés à l'utilisation de l'ISN doivent-ils être partagés entre les pays ou selon une approche basée sur les projets de conservation et d'utilisation durable de la biodiversité ? Si cette dernière option semble avoir la faveur de nombreux pays, dont ceux du Groupe africain, elle soulève notamment la question des besoins financiers et humains, mais également le risque de créer des situations où les pays du Nord vendent leur expertise aux pays au Sud pour monter des projets de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité. De nombreuses réponses sont ainsi très attendues à la COP 16 pour clarifier l’avenir de l’ISN.