Le Sommet pour un nouveau pacte financier qui se tient la semaine prochaine à Paris est un point d’étape important dans un processus de réforme enclenché depuis plusieurs mois, avec de fortes attentes en particulier de la part des pays africains et des économies en développement. Pour le Sénégal par exemple, alors que le pays fait face à une crise politique pointant notamment les défis d’une transition socio-économique durable, il permet d’illustrer pourquoi certains points des réformes sont cruciaux et comment ceux-ci doivent mieux s’ancrer dans les réalités des pays pour appuyer une ambition sur le long terme1 .

  • 1 Ces éléments sont tirés en partie d’entretiens menés à Dakar entre février et mars 2023, dans le cadre d’un travail en cours avec les think tanks européens SEI et IDOS sur le financement du développement durable du point de vue des pays.

Le défi de pérenniser les financements

Comptant parmi les pays moteurs en Afrique de l’Ouest, le Sénégal a bénéficié d’une dynamique économique relativement positive sur les dix dernières années. Cela s’est traduit par une croissance autour de 6 %/an jusqu’en 2020, nourrie en partie par sa capacité à mobiliser des financements internationaux via l’aide internationale pour financer son budget national. 

Figure 1. Montants nets APD pour le Sénégal entre 1960 et 2021, source OCDE


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La mise en place du Plan Sénégal émergent (PSE) à l’horizon 2035, vision et stratégie de développement économique et social de référence pour le gouvernement, a par ailleurs formé la base de plans d’actions prioritaires (PAP) quinquennaux au sein desquels ont été identifiés une vingtaine de projets d’investissement phares (PIP) pour lesquels des financements sont essentiels. Ces efforts d’articulation stratégique, opérationnelle et financière ont permis au pays de mobiliser plus d’une cinquantaine de bailleurs internationaux (pour un volume total d’aide publique au développement net d’environ 1 400 millions de dollars, dont la moitié environ en prêts selon l’OCDE), attirés aussi par la relative stabilité et ouverture politique du Sénégal par rapport à d’autres pays de la région. 

Mais la situation reste encore instable. Au-delà des événements politiques en cours, le pays a également dû faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19 et aux difficultés de maintenir la dynamique positive enclenchée (baisse de croissance à 4 %) et atteindre ses objectifs d’émergence sur l’ensemble du territoire (inflation autour de 10 % et dette publique en hausse). Cet ensemble de facteurs avait amené le gouvernement à revoir son PAP en 2020, indiquant des besoins de financements supplémentaires à hauteur de 22,4 milliards d’euros d’ici 2023.

Face à ces pressions constantes, le Sénégal doit assurer une pérennisation de ses financements afin d’être à la hauteur des besoins à court et moyen terme, tout en permettant de continuer la transition vers plus de durabilité à long terme. 

Plusieurs ministres des Finances africains ont déjà expressément demandé qu’au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial de juin à Paris, des engagements soient pris pour la mise à disposition de financements à bas coût, sur le long terme, par exemple via l’Association internationale du développement (AID) du groupe Banque mondiale qui finance en priorité les pays aux revenus les plus faibles. Le Sénégal est concerné, car le spectre de la graduation qui le verrait quitter la catégorie des pays les moins avancés pour la catégorie supérieure témoigne de la dynamique économique du pays et de ses progrès en développement, mais suscite également des questionnements : le pays n’aurait plus accès aux mêmes types de fonds, comme ceux d’AID, et bénéficierait moins de dons et plus de prêts, accordés eux-mêmes selon des conditions moins avantageuses.

La ministre Sénégalaise des Finances, Oulimata Sarr, déplorait en avril 2023 à Washington le coût élevé du capital pour un pays comme le sien, faisant face à des taux d’intérêts en hausse et des investissements toujours insuffisants. Face à l’urgence du développement pour sa population, les autorités n’ont pas attendu de réponse de la communauté internationale pour explorer d’autres sources de financement : auprès d’autres bailleurs (comme la Chine ou la New Development Bank), ou du secteur privé (dont il est attendu qu’il finance le PAP révisé 2020 à hauteur d’un tiers du budget total), mais aussi en réfléchissant à l’exploitation des ressources minières et gazières récemment découvertes (« gas to power », ou la transformation du gaz en électricité, et « gas to industry », en soutien au développement de l’industrie) ; au-delà du double objectif visé de promouvoir l’accès universel à l’électricité et de contribuer au développement économique du Sénégal, l’exploitation de ces ressources vise aussi la mobilisation de revenus supplémentaires pour le budget national.  

Une telle approche pose question en matière de durabilité et d’objectifs d’économie bas-carbone, mais souligne aussi le besoin de penser de manière systémique les transformations à mener et les outils financiers adéquats afin de ne pas laisser des pans de la transition sans moyens. 

Ancrer les efforts dans les dynamiques nationales existantes 

L’enjeu des réformes aujourd’hui n’est pas seulement d’avoir des institutions mieux outillées, mais surtout de mieux prendre en compte les réalités et dynamiques nationales au sein desquelles elles opèrent. De ce point de vue, le Sénégal est doté de multiples outils de planification et de mise en œuvre sur lesquels il est nécessaire de s’appuyer et qu’il est important de renforcer. 

En janvier 2023, le ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération a ainsi lancé un processus de consultation pour la formulation d’un nouveau plan national de développement (PND) visant à aboutir à la formulation d’un PAP 2024-2028 et d’une stratégie de financement conjointe. Ce processus, organisé en commissions thématiques, doit aboutir au cours de l’été et mobilise l’ensemble des parties prenantes sénégalaises (administration, société civile, secteur privé) et internationales (comme les bailleurs de fonds) pour identifier les besoins, adopter une stratégie et mettre en place des actions prioritaires. Un des enjeux reste d’assurer un ensemble cohérent entre secteurs d’activités, entre acteurs impliqués et entre niveaux de mise en œuvre (national, régional, local). À ces outils de planification s’ajoutent d’autres stratégies sectorielles existantes ou en cours de développement, comme les contributions déterminées au niveau national (NDCs en anglais) ou les stratégies de long terme (LTS en anglais) requises dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. Afin d’éviter un fonctionnement en silo, un enjeu clé de ces exercices est d’ancrer clairement les engagements internationaux dans les stratégies nationales tout en questionnant ces dernières à l’aune des travaux d’analyse qui sont produits pour les établir. Ces questionnements doivent permettre d’identifier plus clairement les trajectoires de transition de secteurs prioritaires tels que l’énergie ou l’alimentation, capables aussi d’entraîner dans leur sillage le développement de secteurs connexes (tels que l’industrie ou l’agriculture). Ces stratégies sectorielles pourront ensuite s’appuyer sur des stratégies de financement mettant en avant les types de financements internationaux adéquats en fonction des transformations à mener (par exemple en matière de dons sur les secteurs sociaux ou en matière de prêts ou garanties sur les renouvelables). Ces dynamiques nationales gagneraient à être mieux utilisées lors des discussions de 2023 (sommet de juin, G20 en septembre, assemblées de Marrakech, etc.) pour illustrer les besoins et anticiper les changements institutionnels et structurels internationaux en mesure d’y répondre. 

Au -delà des échelles nationale et internationale, la territorialisation de ces thématiques au niveau municipal et des collectivités territoriales par exemple reste un enjeu fort afin d’assurer une équité sociale et environnementale sur l’ensemble du territoire. Des plans territoriaux existent au Sénégal, mais ils sont parfois élaborés sans les autorités concernées qui n’ont par ailleurs souvent pas les moyens financiers et humains pour assurer une mise en œuvre à la hauteur de ces ambitions. Des relais existent grâce à la société civile, qui met par exemple en place des activités d’appropriation des enjeux liés au développement et à la lutte contre le changement climatique (voir ENDA et Gaïa), mais sont encore trop anecdotiques pour constituer un véritable moteur de transformation. 

Ces efforts posent en outre des questions de gouvernance et de capacité de suivi de la mise en œuvre de ces objectifs nationaux et globaux. Avec un niveau de réalisation moyen des ODD estimé autour de 37 % pour 2023, la marge de progrès reste importante. Les nombreux bailleurs internationaux présents au Sénégal disposent de leurs propres instances de coordination (avec des groupes thématiques mais aussi le G50 qui représente le groupe élargi des partenaires techniques et financiers internationaux, le G15 restreint aux 15 bailleurs internationaux les plus importants pour coordonner leurs interventions, et le G5 ou comité exécutif actuellement présidé par l’Allemagne qui facilite un dialogue stratégique avec le Premier Ministre et la Présidence). Mais ils continuent à maintenir des liens privilégiés parallèles avec les autorités (ce qui peut peser parfois sur la capacité de ces dernières à répondre aux multiples sollicitations) ou à opérer à la marge des outils de stratégie existants, posant ainsi des problèmes de planification. Les autorités sénégalaises font elles-mêmes face à des défis de coordination, en l’absence d’une institution unique en charge du pilotage et du suivi, et de manque de clarté quant à la répartition claire des rôles : le ministre du Plan est en charge du PND, coordonné par la direction générale de la planification et des politiques économiques, mais ce processus implique nécessairement d’autres ministères sectoriels, et le pouvoir décisionnaire reste, en période pré-électorale, principalement articulé autour de l’équipe présidentielle. Le concept de « plateforme-pays » (country platform), mis en avant dans le cadre des discussions sur les réformes, pourrait apporter des éléments de réponse, en pérennisant le processus lancé dans le cadre de la PND, pour favoriser à plus long terme la collaboration et les synergies entre les acteurs internationaux et locaux impliqués. 

Le cas du Sénégal permet d’illustrer un des objectifs ultimes de la réforme de l’architecture financière internationale, à savoir des transformations au niveau des pays, répondant à leurs besoins. Les discussions internationales ne peuvent ainsi faire l’économie d’un appui clair et renforcé aux dynamiques nationales existantes permettant à la fois de mieux identifier les besoins multiples, de réfléchir collectivement à une approche cohérente permettant de trouver des solutions nationales, tout en alimentant les discussions internationales sur les adaptations nécessaires pour y correspondre.