En 2019, les gouvernements de la Nouvelle-Zélande, du Costa Rica, de Fidji, de l'Islande et de la Norvège, rapidement rejoints par la Suisse, ont lancé une nouvelle initiative en vue d'un accord sur le changement climatique, le commerce et la durabilité (ACCTS)1 . L'ACCTS se concentre sur les questions liées au commerce qui peuvent contribuer à lutter contre le changement climatique, en commençant par la libéralisation des droits de douane sur les biens et services environnementaux, la définition de règles encadrant l'élimination des subventions néfastes aux combustibles fossiles et le développement d'écolabels à haute intégrité. Les négociations entre ce premier groupe de pays devraient se terminer en 2024. Dans ce billet2 , nous soulignons la singularité de ce tout premier accord hybride sur le commerce et l'environnement, et soutenons que l'UE a plus d'avantages que d'inconvénients à y adhérer.

Qu'est-ce qui distingue l'ACCTS des accords commerciaux plus « traditionnels » ?

Initié par la Nouvelle-Zélande, l'ACCTS incarne la priorité donnée par ce pays à l'action climatique. Organisé autour des subventions aux combustibles fossiles (Fossil Fuel Subsidies, FFS, en anglais) en raison de leur contribution significative au réchauffement climatique, il repose sur le diagnostic que les progrès en matière de suppression des FFS ne sont pas assez rapides, malgré les engagements pris par les principaux pays qui les pratiquent au sein du G20. Il était urgent « d'essayer quelque chose de nouveau ». La nouveauté de l'ACCTS réside dans la combinaison des trois caractéristiques suivantes :

  1. Il s'agit d'une initiative de « petits pays dépendant du commerce » en termes économiques, jouissant d'une bonne réputation en matière d'action climatique, ayant un niveau élevé d'ambition climatique, qui souhaitent agir rapidement et s'attaquer à un facteur déterminant des émissions de GES (les FFS). L'idée était d'entamer les négociations avec un nombre limité de pays ambitieux prêts à négocier et à conclure un accord, puis d'élargir le cercle des membres. Nous ne connaîtrons pas l'impact de l'accord avant au moins 5 ans. L'important n'est pas la négociation elle-même, mais ce qui se passera après l'accord et qui y adhérera. Il s'agit d'un accord dynamique.
     
  2. Il s'agit d'un accord ouvert et plurilatéral. Les accords plurilatéraux ouverts ont un dénominateur commun et l'ACCTS ne fait pas exception : les résultats doivent être étendus sur la base de la nation la plus favorisée (Most Favoured Nation, MFN, en anglais) à tous les membres de l'OMC — c'est-à-dire aux pays qui ne sont pas parties à l'accord plurilatéral — et d'autres membres de l'OMC peuvent y adhérer et/ou assumer des obligations similaires à un stade ultérieur. En ce sens, l'ACCTS n'est pas un accord régional ou un accord de libre-échange (ALE), qui sont exclusifs et dans lesquels les parties s'accordent des avantages commerciaux sur une base autre que celle de la MFN.
     
  3. Il s'agit d'un accord hybride sans précédent sur le commerce et l'environnement qui donne la priorité aux objectifs climatiques. Les principaux domaines de négociation se situent à l'intersection du commerce et du changement climatique et incluent des mesures à l'intérieur des frontières (subventions) qui ne sont pas traitées dans les accords de libre-échange.

Pourquoi l'UE devrait adhérer à l'ACCTS

L'incitation des tiers à adhérer à l'ACCTS ne repose pas sur la promesse d'un meilleur accès au marché, en raison de la clause MFN. Pourquoi donc adhérer à un accord si l'on peut bénéficier de ses avantages sans y adhérer ? Un argument essentiel est que l'ACCTS incite les pays à mener des réformes qu'ils ne feraient pas aussi rapidement, aussi profondément, voire pas du tout. L'ACCTS démontre qu'il est possible de supprimer les FFS, et propose aux pays de montrer l'exemple. Dans une logique de prophétie auto-réalisatrice similaire à celle qui a prévalu lors de la négociation de l'Accord de Paris sur le changement climatique, ses rendements sont maximisés lorsque les pays parient sur l'adhésion d'autres pays.

Examinons les trois caractéristiques susmentionnées et évaluons s'il serait judicieux que l'UE adhère à l'ACCTS, en procédant à une estimation approximative.

  1. L'UE est-elle un « petit pays » qui jouit d'une bonne réputation en matière de climat, fait preuve d'une grande ambition, est désireux d'agir rapidement et de s'attaquer au FFS ? L'UE semble cocher toutes les cases, sauf qu'elle n'est pas un « petit pays ». Sur le papier, l'UE peut exercer un effet de levier sur l'accès à son marché et, d'un point de vue strictement commercial, les États membres de l'UE auraient plus intérêt à signer des accords de libre-échange que l'ACCTS. Une première objection que nous avons soulevée dans un précédent billet de blog est que l'UE n'est plus le « grand pays » qu'elle était. En d'autres termes, les marchés de l'UE qui sont protégés à un niveau significatif ont vu leur nombre diminuer de manière drastique au cours des 30 dernières années dans le cadre de divers processus de libéralisation. Ils concernent une poignée de produits manufacturés (textile et habillement) et agricoles (viande, sucre, maïs et riz), ce qui réduit les perspectives d'accès préférentiel au marché pour les pays partenaires commerciaux.
     
  2. L'UE pourrait-elle se permettre d'adhérer à un accord commercial qui prévoit d'étendre l'accès supplémentaire au marché aux membres de l'OMC sur une base MFN ? La libéralisation totale des biens environnementaux entre les parties à l'ACCTS, par exemple, signifierait que ces pays libéraliseraient les importations de ces biens en provenance de tous les autres membres de l'OMC. L'UE pourrait craindre que des biens environnementaux vendus à des prix déloyaux, par exemple des panneaux solaires, n'envahissent son marché. En outre, elle pourrait faire valoir qu'en période de ralentissement de la mondialisation, lorsque l'UE a l'intention de relocaliser des tâches ou des processus stratégiques de la chaîne d'approvisionnement sur son territoire, il ne serait pas opportun de rejoindre un club appliquant des droits de douane moins élevés sur les produits énergétiques sur une base MFN. Nous pourrions toutefois contre-argumenter en rappelant que l'ensemble des mesures de défense (antidumping, sauvegardes) autorisées par l'OMC le sont également, dans les mêmes conditions, par l'ACCTS. Les pratiques déloyales ne sont favorisées par aucune faille de l'accord en la matière. Dans le cadre de ce système de défense, les avantages classiques de la libéralisation du commerce s'appliquent, ce qui rend les biens environnementaux moins chers pour les consommateurs de l'UE et le Pacte vert plus rentable. L'argumentaire économique en faveur de l'ACCTS est similaire à l'argumentaire unilatéral en faveur du libre échange (et d'un échange plus libre).
     
  3. Les pays de l'UE ont dépensé 56 milliards d'euros en subventions aux combustibles fossiles en 2019, 15 États dépensant plus pour les combustibles fossiles que pour les énergies vertes, selon la Cour des comptes européenne. Entre 2015 et 2019, le montant total des subventions aux combustibles fossiles a augmenté de 4 % dans l'UE. La Commission a reconnu qu'il fallait mettre fin à ces subventions, car elles compromettent les politiques de lutte contre le changement climatique, notamment l'objectif de l'UE de réduire ses émissions nettes de 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. De toute évidence, « il faut essayer quelque chose de nouveau », et l'ACCTS peut être un tel essai — il n'y a en fait pas d'autre solution que les réductions unilatérales, qui n'ont pas encore eu lieu. Il existe une autre raison pour laquelle l'UE devrait adhérer à un tel accord hybride. L'UE devrait être reconnue pour ses efforts visant à réviser sa doctrine et ses pratiques commerciales afin de rendre ses accords de libre-échange plus verts. Dans ce processus d'apprentissage, il semble qu'il soit temps de regarder non pas au-delà de la pratique actuelle, mais à côté des processus qui se déroulent en parallèle. Le verdissement des accords de libre-échange semble être une tâche sans fin, car ils ne sont pas principalement conçus pour atteindre des objectifs en matière de climat et de développement durable. L'ACCTS part de l'objectif climatique et utilise le commerce comme moyen. Il s'agit d'un véritable accord sur le commerce et l'environnement. Il offre à l'UE l'opportunité d'enlever un caillou de ses chaussures sur le chemin de zéro subvention nette.

Le climatologue Will Steffen le dit souvent : lorsque nous cherchons des solutions pour le climat, nous nous tournons trop souvent vers les « grands gorilles » et attendons qu'ils agissent : tous les regards sont tournés vers l'Union européenne, la Chine et les États-Unis. Cette approche est erronée, car la nouveauté et les percées se produisent en fait dans les petits pays, dans les pays les plus agiles. L'ACCTS en est un exemple frappant.

En prenant au sérieux le plurilatéralisme ouvert et en rejoignant l'ACCTS, l'UE pourrait faire le lien entre ses politiques unilatérales et multilatérales, donner à son programme commercial un profil climatique plus incontestable. Et joindre le geste à la parole en ce qui concerne le Pacte vert.