Ce billet de blog a été rédigé dans le cadre des travaux de l’initiative Deep Decarbonization Pathways sur la préparation du premier Bilan mondial de l'Accord de Paris sur le climat.
La Convention Climat des Nations unies (CCNUCC) souligne la nécessité de mettre la transformation des systèmes au cœur des politiques climatiques, et identifie un ensemble de conditions clés pour les mettre en œuvre, dans le cadre du rapport de synthèse du premier Bilan mondial (GST en anglais). Le rapport, publié la semaine dernière, insiste sur l'importance de la coopération et du soutien internationaux, le rôle des acteurs extérieurs à la Convention et la coopération entre eux, ainsi que sur une approche de l'action climatique fondée sur les pays et leurs besoins. Ces conclusions sont le fruit de la collecte des meilleures données scientifiques disponibles et de la compilation des contributions des pays et des acteurs hors Convention, telles qu'elles ressortent du Dialogue technique mené depuis le début de l'année 2022, dans le but d'orienter le processus politique vers la COP 28.
Le rapport souligne la nécessité d'envisager la transformation des systèmes et fournit des exemples concrets dans tous les secteurs de l'économie. Cela se traduit par un appel à l'adoption « d'approches de l'ensemble de la société et d'un processus d'élaboration des politiques intégré et inclusif », soit un changement radical dans l'approche de la conception des stratégies et des actions. En effet, cela revient à reconnaître que la solution ne viendra pas d'une approche cloisonnée et dispersée où chaque composante de la transformation est traitée séparément, mais qu'il faut au contraire reconnaître la complexité des interactions en jeu.
Par exemple, bien que le déploiement des énergies renouvelables (ENR) soit considéré comme une condition nécessaire à une action climatique ambitieuse, le rapport recommande d'envisager ce déploiement de manière cohérente avec les autres composantes clés de la transition énergétique, telles que l'élimination progressive des énergies fossiles non exploitées, les moteurs de la demande énergétique (électrification, efficacité énergétique et gestion de la demande), certaines solutions techniques (stockage), les aspects économiques (investissements) et les conséquences sociales (en mettant fortement l'accent sur les transitions justes).
Cette conclusion du rapport de la CCNUCC est politiquement pertinente et utile, pour au moins deux raisons : dans chaque pays, il est très difficile d’opter pour un tel ensemble de mesures, comme on peut le voir dans les contextes du Sud comme du Nord, d’autant que cela requiert de dépasser des facteurs de blocage à l'échelle internationale ; en outre, cette recommandation intervient dans le cadre d'un processus de préparation de la COP 28 marqué par le risque de se concentrer uniquement sur le développement des ENR. Ce rapport, fondé sur une analyse technique, est donc politiquement utile dans le contexte actuel, car il constitue également une expression légitime des parties à la Convention et des experts dans le processus du GST.
Pour permettre la transformation de ces systèmes, le rapport identifie des éléments concrets sur lesquels l'environnement politique mondial devrait se concentrer :
Premièrement, le rapport souligne l'importance de la coopération et du soutien internationaux. La coopération internationale est essentielle à la fois pour le partage d'expériences et la promotion de l'apprentissage, mais aussi pour surmonter les obstacles et maximiser les synergies entre l'action climatique et le développement. Plus important encore, il est souligné que, pour que la coopération internationale soit en effet bénéfique, elle doit être abordée avec « créativité et innovation ». En particulier, alors que la portée actuelle de la coopération internationale en matière de changement climatique se concentre souvent sur une action ou un projet spécifique, ou sur un domaine en particulier (atténuation du changement climatique, adaptation, renforcement des capacités, technologies, financement), le renforcement de l'action climatique nécessite une approche plus holistique adaptée pour déclencher des changements systémiques dans les différents secteurs et silos.
Deuxièmement, le rapport souligne le rôle des acteurs extérieurs à la Convention et l'importance de la promotion d'une action coopérative entre eux. Différents acteurs devraient donc avoir en main différents leviers d'action et la mise en œuvre de la transformation des systèmes ne devrait se faire que s'ils travaillent tous ensemble de manière synergique. En effet, des initiatives internationales nombreuses et variées, impliquant à la fois les pays et les acteurs hors Convention, sont en effet en place, mais la plupart ne sont pas mises en œuvre selon une « toute l'économie, toute la société » qui les rendrait alignées sur les exigences des transformations systémiques.
Troisièmement, le rapport préconise une approche de l'action et de la coopération en matière de climat « fondée sur les pays et leurs besoins », soulignant la nécessité de reconnaître les spécificités des situations nationales lors de l'élaboration des processus internationaux. Le manque de capacités humaines et institutionnelles dans les pays en développement est notamment identifié comme un obstacle majeur à une action ambitieuse, et la coopération internationale est essentielle pour renforcer ces capacités et permettre ainsi à chaque pays d'être dans les conditions adéquates pour opérer des transformations systémiques ambitieuses.
Ces composantes constituent les éléments de base de ce qui pourrait être une approche rehaussée de l'ambition et de l'action, cohérente avec le paradigme original de l'Accord de Paris. Le succès de la COP 28 devra donc être évalué en fonction des nouveaux moyens mis en place pour soutenir une coopération internationale créative et innovante, permettant l'émergence d'une coopération qui contribue à répondre aux besoins des pays de mettre en œuvre des transformations systémiques : établir des processus adéquats ou mobiliser les processus existants au sein de la CCNUCC ou, indirectement, envoyer un signal politique clair sur ce que les pays et les autres acteurs pourraient utilement faire après la COP 28 pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris afin de déclencher des initiatives adéquates sur les dimensions susmentionnées.
À cet égard, la continuité du processus de discussions collectives tel que celui mené dans le cadre du GST apparaît comme une nécessité puisqu'il a prouvé sa valeur dans l'obtention de recommandations concrètes émergeant des perspectives des pays. Cependant, pour tenir pleinement sa promesse de soutenir efficacement le paradigme bottom-up de l'Accord de Paris, d'importantes lacunes identifiées dans le premier processus du GST devront également être comblées, notamment le manque de capacités empêchant les pays en développement de participer pleinement au processus, ce qui conduit à une prise en compte insuffisante de leurs perspectives, comme l'a confirmé une récente étude publiée par l’Iddri, l’initiative DDP et la Konrad Adenauer Stiftung.