Le premier Bilan mondial aboutira à la COP 28 après deux années de processus techniques et politiques. Il s'agit d'une étape cruciale pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. C'est l'occasion pour les pays de faire le point sur les progrès et les lacunes qui subsistent en matière d'action climatique et d'ouvrir la voie à un relèvement de leur ambition climatique. C'est aussi une opportunité importante de renforcer la coopération internationale entre les pays et, plus largement, entre la diversité des acteurs qui doivent coordonner leurs actions. Les priorités retenues à l'issue de ce vaste processus collectif lors de la COP 28 définiront l'orientation que prendront les discussions internationales au cours des deux prochaines années, dans la perspective de la révision des contributions déterminées au niveau national en 2025. Sur la base d'une analyse détaillée des résultats techniques du Bilan mondial et du travail du réseau Deep Decarbonization Pathways, ce billet de blog affirme que les résultats du Bilan mondial et la décision associée de la COP 28 devraient reconnaître le besoin de changement des systèmes et la nécessité d'innovation et de créativité dans la coopération internationale pour les soutenir.
Cette année, la COP 28 se concentre sur le Bilan mondial (GST en anglais), un mécanisme de l'Accord de Paris qui examine et évalue les engagements climatiques pour s'assurer que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs. Le GST ne se contente pas d'examiner ce que le monde a fait jusqu'à présent – et, dans ce cadre, son objectif n'est pas d’accuser –, il entend constituer un « accélérateur mondial », qui incite les gouvernements, les villes, les entreprises et autres acteurs à prendre des mesures transformatrices pour réduire les émissions mondiales, stimuler le financement de la lutte contre le changement climatique et accroître la résilience. C'est l'occasion pour les pays de s'engager dans un esprit de solidarité et de soutien mutuel en faveur d'une action climatique ambitieuse et d'une coopération internationale renforcée. Le GST est un moment critique qui déterminera la dynamique de l'action climatique au cours de la prochaine décennie.
Le processus du GST : diagnostic
Le GST a permis d'apporter au monde politique des preuves qui ont été largement reconnues dans les évaluations scientifiques. Il a servi d'outil de redevabilité, permettant d'établir un diagnostic partagé sur notre situation actuelle. Mais le GST n'est pas seulement un instrument rétrospectif. Il a également servi à orienter les pays sur la meilleure façon d'intensifier leurs efforts et d'accélérer la transition tout en ne laissant personne de côté. À ce titre, il a rassemblé des éléments utiles aux solutions climatiques, secteur par secteur.
Un message essentiel qui ressort de ce processus est la reconnaissance du fait que le problème du climat ne peut être traité par une simple juxtaposition de solutions issues d'une approche cloisonnée axée sur l'atténuation ou par l'adoption de solutions technologiques guidées uniquement par le rapport coût-efficacité. Il faut plutôt transformer les systèmes, c'est-à-dire combiner des changements technologiques et organisationnels qui affectent structurellement le fonctionnement de l'économie. Ces transformations doivent se produire dans tous les secteurs et entre eux, et dans tous les pays.
Mais le processus a souffert d'un certain nombre de limitations.
Tout d'abord, nous avons constaté un nombre très limité de soumissions au processus de la part des pays, et en particulier des pays en développement, ce qui pourrait être dû à un manque de temps, de capacités ou de priorisation de la question. En conséquence, les pays comprennent moins bien les obstacles qui les empêchent de mettre en œuvre les transformations nécessaires et ne rendent pas suffisamment compte des défis spécifiques auxquels ils sont confrontés.
Deuxièmement, la division en domaines thématiques « atténuation, adaptation et moyens de mise en œuvre » pourrait rendre plus difficile l'identification de solutions réalisables. Dans la plupart des cas, l'élimination des obstacles à l'action dans les pays nécessiterait en effet une approche holistique, qui mobilise tous les outils disponibles.
Enfin, la coopération internationale, bien qu'elle soit un élément central du mandat du GST et de l'Accord de Paris, et qu'elle soit largement reconnue comme un catalyseur essentiel, a été moins abordée dans les soumissions et les discussions. Cela peut encore changer à la COP 28 lors de la préparation de la décision.
Vers une approche innovante de la coopération internationale
La bonne nouvelle, c'est que la COP 28 peut encore remédier à ces limites en accordant une reconnaissance politique de haut niveau aux caractéristiques fondamentales que le processus devrait endosser. En particulier, le résultat du GST pourrait promouvoir une approche de la coopération internationale fondée sur les besoins, axée sur les secteurs, orientée vers les solutions et prospective.
La coopération « fondée sur les besoins » garantit que les solutions sont conçues pour répondre aux exigences prioritaires des pays, en tenant compte des spécificités des différentes situations nationales. Elle reconnaît également la nécessité de privilégier les solutions de coopération qui procurent des avantages au niveau local, en soutenant efficacement le développement des activités économiques dans le pays et en répondant aux besoins des populations locales.
L'approche « sectorielle » reconnaît la nécessité de points d'entrée sectoriels, afin d'ajuster les solutions et de les concevoir pour répondre aux défis et aux opportunités spécifiques liés à la transformation de chaque système sectoriel.
L’expression « orientée vers les solutions » souligne la nécessité d'organiser la coopération internationale autour de décisions concrètes susceptibles de permettre des transformations systémiques.
Enfin, le terme « prospectif » souligne la nécessité de concevoir des solutions coopératives dans une perspective claire des changements qui doivent se produire à différents horizons temporels pour déclencher des changements systémiques au sein de chaque système sectoriel et dans l'ensemble de celui-ci.
Exemples illustrant les avantages de l'approche innovante
Dans le domaine du financement de la lutte contre le changement climatique, la collaboration entre les acteurs nationaux et internationaux est nécessaire pour surmonter les obstacles financiers. Au niveau national, les pays doivent disposer de politiques et de stratégies claires et stables pour inspirer confiance aux investisseurs. Au niveau international, les acteurs financiers doivent développer des mécanismes pour financer les transformations qui ne trouvent pas de soutien dans les structures existantes.
Les recherches menées par le réseau DDP dans les grands pays émergents montrent que la qualité du financement – coût, accessibilité et durée de la coopération financière et des crédits – est cruciale pour la transformation de leurs économies. Elle montre également que le soutien financier international n'arrive pas nécessairement là où il est le plus nécessaire. Par exemple, les transformations qui reposent sur de petits acteurs comme les agriculteurs et les PME ont une capacité financière limitée et les acteurs sont considérés comme peu solvables. Un autre exemple est celui des technologies nécessaires à la transformation à long terme des différents secteurs, dont certaines en sont encore aux premiers stades de maturité et peuvent être considérées comme risquées, bien qu'il soit nécessaire d'investir dans ces technologies sans tarder afin de garantir leur disponibilité en temps voulu dans la transition à un coût abordable.
Un autre exemple de coopération internationale innovante est l'émergence des partenariats pour une transition énergétique juste (JETPs en anglais), qui établissent un accord entre un groupe de donateurs fournissant des ressources financières et un pays en développement s'engageant à atteindre des objectifs concrets et mesurables dans le cadre de sa transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Le premier accord de ce type a été annoncé lors de la COP 26 avec l'Afrique du Sud et, depuis, des accords similaires ont été signés avec l'Indonésie, le Viêtnam et le Sénégal. Ces JETPs marquent une étape importante dans la mise en place d’accords financiers conçus pour répondre aux besoins des pays. Mais les enseignements tirés de ces premiers exemples ont également mis en évidence les améliorations à apporter à leur contenu, à leur processus de conception, à leur gouvernance et à leur mise en œuvre concrète pour en faire un soutien efficace à la transition des pays ; en outre, ces accords bilatéraux, même s'ils sont répliqués et améliorés dans leur conception, devraient être considérés comme faisant partie d'un ensemble innovant plus large pour le financement du climat, notamment avec des approches multilatérales.
En matière d'adaptation également, une approche de type bottom-up est nécessaire, les pays ayant souligné qu'elle permettra aux communautés de transmettre au niveau national les connaissances locales et autochtones, les informations sur la vulnérabilité, les besoins et les lacunes en matière de capacités, de sorte que les politiques et les plans nationaux reflètent véritablement les priorités et les besoins locaux et contribuent à développer les capacités des acteurs à tous les niveaux.
La décision sur le GST lors de la COP 28, un tournant décisif pour l'Accord de Paris
La CCNUCC n'est pas le lieu où se développeraient tous les processus opérationnalisant l'approche innovante de la coopération internationale, mais elle a toujours un rôle clé à jouer pour initier et organiser cette approche. Elle peut en particulier donner le signal politique qui déclenche les processus et donne la direction, construire des ponts avec les diverses initiatives et processus où des conversations approfondies peuvent avoir lieu, et aider à organiser la redevabilité collective et la continuité dans le contexte des processus nouveaux ou existants en son sein.
Que le bilan mondial de la COP 28 produise ou non des résultats politiquement pertinents selon ces critères sera un test clé pour savoir si les pays respecteront l'Accord de Paris. Le succès implique que les pays intensifient leur action et leur soutien en matière de climat, présentent des plans climatiques nationaux plus ambitieux en 2025 et adoptent de nouveaux engagements lors de la COP 28 qui accélèrent les actions clés au cours de la prochaine décennie. En outre, la COP 28 devrait établir des processus clairs pour assurer la continuité du type de discussion que nous avons vu dans le cadre du GST.