Le premier Conseil européen post-élections se réunit aujourd’hui et demain à Bruxelles. Il devrait entériner ses propositions pour les « top jobs » des institutions européennes et l’agenda stratégique de l’Union, c’est-à-dire les lignes directrices de l’action européenne pour la période 2024-2029. La version de travail du 12 juin de cet agenda met en avant trois priorités : la protection des valeurs de liberté et de démocratie, le renforcement de la sécurité et des capacités de défense de l’Union, et la compétitivité de l’Europe sur la scène internationale, fondée sur la double transition verte et digitale. Ces priorités répondent aux chocs de la guerre menée par la Russie en Ukraine, du conflit israélo-palestinien, et de l’escalade de la rivalité commerciale entre la Chine et les Etats-Unis (marquée par l’Inflation Reduction Act de 2022). Si ces priorités ne devraient pas être remises en cause, certaines orientations pourraient l’être dans un contexte où les nouveaux équilibres au Parlement européen ne sont pas encore complètement formés et où les élections législatives anticipées du 30 juin et du 7 juillet en France pourraient avoir un impact sur les futurs équilibres au Conseil. Dans l’attente de ces éléments, ce billet propose une analyse de l’agenda stratégique européen du point de vue de sa capacité à poursuivre et accélérer l’action visant à faire de l’Europe le premier continent à répondre aux enjeux écologiques (climat, biodiversité, pollutions) pour et avec ses citoyens.

L’agenda stratégique est un document court (8 pages), qui donne les lignes directrices de l’action européenne à cinq ans. La stratégie européenne se matérialisera ensuite petit à petit, en commençant par le projet qui sera présenté par le ou la candidate à la présidence de la Commission européenne, a priori Ursula von der Leyen (PPE) pour un second mandat, comme elle le fit lors de son discours devant le Parlement en juillet 2019, posant les bases de ce qui est devenu le Pacte Vert, programme phare du précédent mandat, visant à faire de l’Europe le premier continent à atteindre la neutralité carbone.

De bonnes bases pour la poursuite et l’approfondissement du Pacte Vert

Les priorités de l’agenda stratégique et leur formulation sont compatibles avec la poursuite et l’approfondissement du Pacte vert, dans la mesure où :

  • la « transition verte » n’est plus vue, comme elle a pu l’être, comme une source de surcoûts, mais comme une course mondiale dans laquelle l’Union européenne doit résolument s’insérer pour conquérir les marchés et les technologies de l’économie de demain1 ;
  • l’objectif de compétitivité européenne est décrit comme devant être mis au service des citoyens européens : il faut « renforcer les bases de notre compétitivité […] et répondre aux préoccupations économiques des citoyens », « créer les marchés, les industries et les emplois de haute qualité de demain », poursuivre une transition qui « augmente le revenu réel et le pouvoir d’achat », etc. ;
  • la réduction du « fardeau bureaucratique », nécessaire pour soutenir la capacité des acteurs économiques à relever les défis engendrés par un cycle législatif intense, ne semble pas préfigurer un détricotage d’ampleur du Pacte vert, comme pouvait le laisser augurer une interprétation minimaliste de l’engagement des entreprises tel qu’il ressortait de la Déclaration d’Anvers de janvier 2024.

Des principes à appliquer et à renforcer

Ces principes doivent être effectivement appliqués et, pour certains, renforcés. Cinq points nous semblent importants.

Maintenir le cap

  • Assurer une compétitivité fondée sur la transition verte nécessite de maintenir les directions données aux acteurs économiques lors de la mandature précédente, notamment celles qui comportent une clause de revoyure, comme la réforme du marché des émissions (ETS2), la directive énergies renouvelables, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et le règlement sur la fin de la vente des véhicules thermiques neufs en 2035. Par ailleurs, pour maintenir le cap vers la neutralité carbone, les processus politiques visant à établir les objectifs climat énergie à 2040 et la contribution (CDN) de l’UE en vue de la COP 30 du Brésil en 2025 doivent être rapidement clarifiés.

Développer une stratégie industrielle et sociale pan-européenne et intégrée

  • Pour répondre à ce cap, un chantier prioritaire est d’établir une stratégie industrielle pan-européenne claire et ciblée. La loi pour une industrie « zéro net » (NZIA) demande de fabriquer au moins 40 % des besoins annuels de déploiement des technologies stratégiques en Europe. Comme l’Iddri le souligne à propos de la transition du système électrique européen, répondre à ce double objectif de rapidité de déploiement et de réindustrialisation réclame une approche différenciée selon les filières et le recherche d’un leadership sur des segments de pointe à forte valeur ajoutée. Nous formulons également une série de propositions en ce sens pour le déploiement de la mobilité électrique, se fondant sur le développement en Europe des activités en amont et en aval de la chaîne de valeur des batteries et sur la mise en place d’un score environnemental européen.
     
  • Une telle stratégie devra réussir à intégrer les enjeux sociaux à leur juste place. Cela signifie mettre en place un ensemble de politiques complet et cohérent dans chaque secteur (ex. pour les deux secteurs mentionnés ci-dessus : développement des « communautés d’énergies renouvelables », du leasing social et du marché de l’occasion dans la mobilité électrique), en suivant des principes d’action transversaux visant à (1) anticiper les transformations à venir, (2) accompagner les individus, entreprises et collectivités dans ces évolutions, (3) proposer aux citoyens des produits, services et  leur donnant les moyens d’agir, (4) abonder le Fonds de transition juste et le Fonds social, (5) orienter l’offre industrielle vers des solutions bas-carbone accessibles, etc. 

Compléter la vision des défis et renforcer le dialogue avec les partenaires 

  • Si la transition verte est un enjeu et un levier de compétitivité, elle est aussi une source majeure de sécurité et de résilience pour l’Europe. Alors que les impacts du changement climatique (ex : sécheresses, inondations), de la perte de biodiversité (ex : déclin de services écosystémiques tels que la pollinisation et la fertilité des sols) et des pollutions (ex : accès à un air sain et à une eau propre) sont connus, avec des conséquences majeures pour la sécurité des citoyens européens, il faut faire plus que les « protéger […] vis-à-vis [d]es catastrophes naturelles et [d]es urgences sanitaires ». L’adaptation aux effets du changement climatique, la protection de la biodiversité et la réduction des pollutions devront inévitablement revenir en haut de l’agenda européen. La vision du futur de l’agriculture européenne devra également être débattue, afin de proposer des voies soutenables sur le plan économique, social et environnemental aux acteurs des différentes filières et aux consommateurs.
     
  • Alors que la défiance vis-à-vis des pays occidentaux, et plus particulièrement de l’Europe, est à son comble, que la méthode trop peu consultative de la précédente mandature européenne sur les mesures s’appliquant aux pays tiers lui est vertement reprochée, et que l’Europe a plus que jamais besoin de sécuriser ses approvisionnements pour la transition verte, elle doit développer un effort important de diplomatie avec ses partenaires, fondé sur le dialogue et la proposition de partenariats équitables, permettant aux pays partenaires de développer leur propre économie, et proposant une valeur ajoutée différenciante, par exemple par rapport aux Nouvelles Routes de la soie chinoises. 

L’élargissement et ses conséquences 

Parmi les grands enjeux évoqués dans l’agenda stratégique, la négociation sur l’élargissement de l’Union à l’Ukraine et à la Moldavie s’est ouverte le 25 juin. Si l’horizon temporel de ces éventuelles adhésions est encore incertain, la reconnaissance officielle de ces pays comme candidats à l’adhésion aura des implications rapides, à la fois budgétaires et politiques.

En juillet 2025 au plus tard, la Commission publiera sa proposition pour le cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034, qui devra refléter les priorités de l’agenda stratégique tout en tenant compte des processus d’adhésion. Notamment, envisager l’adhésion d’un grand pays agricole tel que l’Ukraine pourrait nécessiter une réforme de la politique agricole commune (qui représente aujourd’hui un tiers du budget européen).

Par ailleurs, plusieurs pays, dont la France et l’Allemagne, estiment que l’UE a besoin de se réformer avant de s’élargir à de nouveaux pays, et proposent notamment d’étendre le vote par majorité qualifiée en matière de politique étrangère et de fiscalité au sein du Conseil.  

Prochaines étapes

Les élections législatives anticipées en France seront déterminantes à l’échelle nationale et pourraient avoir des répercussions importantes à l’échelle européenne, en fonction de la couleur politique des ministres qui représenteront la France au Conseil et du commissaire européen français.

Au niveau des institutions européennes, la première session plénière du Parlement du 15 au 18 juillet devrait élire son président et approuver la nomination du ou de la présidente de la Commission. Ensuite, les gouvernements proposeront leurs commissaires, qui seront auditionnés par le Parlement avant un vote final attendu à l’automne. La nouvelle mandature pourra alors démarrer de manière effective.

Pendant ce temps, la Hongrie exercera la présidence tournante de l’UE au second semestre 2024. Si Viktor Orban a annoncé un plan « Make Europe Great Again », centré sur la compétitivité et qui dénonce le « wishful thinking » d’une compétitivité européenne fondée sur la transition verte, il est peu probable que des textes importants verront le jour dans les six mois. Un enjeu clé sera de préparer la présidence polonaise du premier semestre 2025, conduite par Donald Tusk, qui devrait voir le démarrage effectif de l’action des institutions européennes renouvelées.