Six ans avant l'échéance de l’Agenda 2030 pour le développement durable, la Quatrième Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4, juin-juillet 2025) constitue une opportunité importante de procéder aux ajustements nécessaires pour accélérer la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), dont seules 16 % des cibles sont en voie d’être atteintes1 . Pour autant, le processus intervient dans un contexte international marqué par de nombreuses crises, nécessitant une profonde remise en question de la part des différentes parties prenantes.

Un contexte défavorable à la réalisation des ODD

La Quatrième Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4) se tiendra à Séville (Espagne), du 30 juin au 3 juillet 2025. Elle s’inscrit dans la continuité des conférences précédentes (Monterrey en 2002, Doha en 2008, Addis-Abeba en 2015), qui visaient à aligner les financements internationaux sur les priorités socio-économiques et environnementales mondiales. Ces conférences permettent notamment de trouver un consensus international sur des normes qui peuvent guider les actions des gouvernements, des organisations internationales, des entreprises, de la société civile et de la philanthropie. En 2015, la FfD3 avait pour ambition de mobiliser plusieurs sources de financement pour mettre en œuvre l’agenda du développement durable. Le Programme d’Action d’Addis Abeba (PAAA) constituait un des éléments du deal passé par les pays du Sud pour participer à l’Accord de Paris sur le climat2 : la montée de la défiance du Sud envers les promesses financières du Nord (finance climat et adaptation, financement de la biodiversité, accès aux vaccins, etc.). 

Dix ans plus tard, la FfD4 intervient dans un contexte marqué par des défis majeurs, tels que la guerre en Ukraine et dans d’autres régions, les chocs climatiques, la hausse de la dette et les crises amplifiées par la pandémie de Covid-19. Le déficit de financement pour les ODD et l’action climatique dans les pays en développement est estimé à 4 000 milliards de dollars par an, soit presque le double des estimations de 2015.

La nécessité d’une meilleure coordination internationale

Dix ans après l’adoption du PAAA, la FfD4 doit, pour le Secrétaire général des Nations unies, « contribuer à ce que les dirigeants mondiaux adoptent des réformes ambitieuses afin d'assurer un financement à long terme abordable à grande échelle et stimuler la réalisation des ODD »3 . Cependant, un des principaux défis réside dans le fait que peu de questions de financement sont véritablement traitées directement sous l’égide des Nations unies, mais plutôt dans d’autres foras, telles que le G20 ou le Fonds monétaire international (FMI). Il est donc important de clarifier le périmètre d’action de la FfD4, qui pourrait se limiter à un cadre déclaratoire de coordination ou, au contraire, ambitionner de poser les bases d'engagements crédibles, tout en précisant ce qui relèvera des autres espaces de décisions.

Elle sera précédée par quatre sessions préparatoires, dont la première s’est tenue du 22 au 26 juillet 2024 à Addis Abeba : rassemblant près de 1 000 délégués de gouvernements, d’organisations internationales et d’organisations de la société civile, elle avait pour objectif d’examiner les progrès réalisés dans le cadre du PAAA et de mettre en évidence les domaines dans lesquels des mesures supplémentaires devaient être prises dans le cadre de la FfD4. Les discussions ont mis au jour de nombreux défis, des lacunes de l’architecture financière internationale aux niveaux d’endettement élevés, en passant par les déficits de financement (public et privé) des investissements climat, particulièrement dans les économies en développement. S’ajoute à cela l’érosion de la confiance entre les différents partenaires, présentant des risques pour la coopération internationale au développement.

La FfD4 arrive donc à un moment crucial, et doit s’atteler à résoudre la question du manque de coordination entre les pays. Aucun pays ne peut à lui seul relever les défis globaux actuels. Une meilleure coordination internationale est nécessaire, notamment pour renforcer à la fois la transparence et le respect des engagements pris, et pas uniquement sur le plan financier. 

Fiscalité, dette, APD, INFF : de nombreux sujets à l’agenda

Les domaines dont la FfD4 peut se saisir sont clairement identifiés – fiscalité, dette, mobilisation des ressources domestiques –, mais les solutions concrètes pour relever ces défis restent floues, rendant incertain le potentiel de transformation. Il est donc essentiel que la FfD4 contribue à faire émerger des avancées concrètes sur des sujets qui avaient déjà été peu, voire mal, traités lors de la FfD3, comme la question de la fiscalité. En effet, les évolutions et nouveaux défis auxquels les pays sont confrontés obligent à repenser les méthodologies d’allocation des financements, comme l'allocation de l'aide, l'analyse des risques souverains, la redevabilité de la dette et la fiscalité. 

Les discussions sur la dette publique pourraient occuper une place importante lors de la FfD4 ;  des changements d'approche à la fois des bailleurs de fonds du Club de Paris, de la Chine, mais aussi des pays débiteurs, sont en effet nécessaires pour mieux soutenir la réalisation des ODD. L’aide publique au développement (APD), une source majeure de capitaux extérieurs pour de nombreux pays du Sud, sera également au cœur des discussions. Les tensions actuelles sur la capacité des pays donateurs à honorer leurs engagements, notamment celui de consacrer 0,7 % de leur revenu national brut (RNB) à l’APD4 , ne devraient pas diminuer d’ici 2025. D’autre part, la tendance croissante des pays développés à consacrer une part importante de leurs ressources au financement d’initiatives thématiques telles que la santé et le climat, en réduisant leurs contributions aux banques multilatérales de développement (BMD), pourrait affecter la trésorerie de ces institutions ainsi que leur capacité à fournir des prêts concessionnels dont les économies les moins développées ont le plus besoin.5

Les économies en développement doivent par conséquent accroître leur capacité à mobiliser leurs ressources domestiques (Domestic Resource Mobilization) qui, au-delà de leur rôle dans le financement du développement, peuvent renforcer l’appropriation des politiques publiques et contribuer à réduire la dépendance à l’aide extérieure et à améliorer la solvabilité d’un pays. Cependant, en matière de recettes fiscales par exemple, s’il est largement admis que les pays en développement doivent mobiliser des recettes représentant au moins 20 % de leur produit intérieur brut (PIB) pour financer les ODD, ces pays mobilisent en réalité bien en deçà de ce seuil. La FfD4 pourrait aider à identifier les axes d’intervention sur ce point, aux niveaux national et international. 

À l’échelle internationale, une réflexion approfondie notamment sur les meilleures stratégies (y compris l’assistance technique et le financement du renforcement des capacités) pour que l’APD contribue efficacement au renforcement de la collecte des ressources nationales est nécessaire. La coopération fiscale doit également progresser, ainsi que la lutte contre l’évasion fiscale et les flux financiers illicites. Cela soulève la question de la forme institutionnelle la plus appropriée pour combiner efficacité et inclusivité dans la définition des règles fiscales, par exemple par l'établissement d’un organisme mondial inclusif pour la définition des règles fiscales sous les auspices de l’ONU ou par l'élargissement du rôle des institutions internationales existantes, tel que le FMI ou l’OCDE. 

Au niveau national, parmi les questions à soulever figurent les meilleures pratiques en matière de transparence dans la collecte des recettes fiscales et non fiscales, la lutte contre la corruption, l'amélioration des administrations et politiques fiscales, la formalisation du secteur informel, ainsi que le rôle des changements technologiques. Il faudra également réfléchir au changement des rapports de force entre l'État et les firmes multinationales opérant dans les économies en développement.

Bien que certains progrès aient été réalisés dans le cadre du PAAA, notamment le recours croissant à des mécanismes de financement innovants, certains pays ont connu de nouveaux reculs. Pour revigorer véritablement l’agenda des ODD, qui demeure au cœur du mandat des Nations unies, il est essentiel de proposer des initiatives pragmatiques et de revitaliser les engagements globaux avec des mécanismes de suivi plus rigoureux. La FfD4 devrait ainsi contribuer à mieux prendre en compte la diversité des contextes nationaux, des besoins et des priorités de chaque pays. Le cadre de financement national intégré (INFF), mentionné dans le PAAA et dans l'Agenda 20306 , pourrait constituer un outil pour atteindre cet objectif : il garantit en effet une mobilisation et une utilisation efficace des ressources financières (publiques ou privées et domestiques ou internationales), et permet une meilleure coordination entre les acteurs nationaux et internationaux, facilitant ainsi une meilleure gestion des risques et renforçant la transparence dans la gestion des flux financiers. Pour que l’INFF soit véritablement efficace, il est crucial qu'il soit pleinement approprié par les pays eux-mêmes et qu'il s'appuie sur des mécanismes existants, adaptés aux réalités nationales, afin d'assurer une mise en œuvre durable et cohérente avec les priorités locales La FfD4 devrait donc miser sur la promotion de cet outil pour mieux aligner les financements disponibles aux ODD au niveau des pays. Cela nécessitera d’identifier les « bons élèves » en termes d’adoption et d’accompagnement de l’INFF, et de partager les bonnes pratiques en la matière.7  

Une FfD4 utile à quelles conditions ?

L’impact de la FfD4 dépendra essentiellement de la responsabilité et de la capacité des parties prenantes à dépasser les clivages et les postures. Des discussions franches et constructives devront se tenir sur la nécessité de repenser la solidarité internationale, l’APD, les synergies et les effets leviers sur les ressources domestiques, et la mobilisation du secteur privé dans les stratégies de financement du développement.

Le FfD4 est une opportunité pour les Nations unies d’envoyer un message fort sur l’utilité et la pertinence de la coopération internationale pour atteindre les ODD. Il ne s'agit pas seulement de déclarations, mais de mettre en avant des exemples concrets de coopération bilatérale et multilatérale, dépourvue de logiques de concurrence.