Dans quelques jours, la Colombie accueillera la COP 16 de la Convention sur la diversité biologique (CDB), sous la présidence de son gouvernement, à Cali (21 octobre-1er novembre). Il s’agit d’une étape clé pour la mise en œuvre du cadre mondial pour la biodiversité (CMB) de Kunming-Montréal : décrit comme un accord pivot pour la gouvernance internationale de la biodiversité, notamment en raison de l’ambition de ses objectifs et cibles visant à stopper et inverser la perte de biodiversité, il est en effet confronté depuis son adoption en décembre 2022 à de nombreux défis et arbitrages politiques adverses. Dans ce contexte, ce billet de blog présente les priorités identifiées par l’Iddri pour renforcer la dynamique internationale et adopter des mécanismes clés nécessaires à la mise en œuvre du CMB.

Planification et mise en œuvre : les premiers bourgeons sont-ils prometteurs ?

La mise en œuvre du cadre de Kunming-Montréal reste encore en grande partie en phase de planification, avec seulement 20 pays environ ayant soumis leurs stratégies et plans d’action nationaux (SPANB) et environ 60 ayant défini des cibles nationales. Ces chiffres, encore insuffisants pour avoir une vision globale, révèlent déjà des écarts d’alignement entre les cibles nationales et les objectifs mondiaux1 . En outre, il sera crucial d’examiner si les cibles nationales et les SPANB atteignent un niveau satisfaisant d’intégration sectorielle (mainstreaming) (Cardona Santos et al., 2023) ; la COP 16 devrait être l’occasion de lancer un appel à renforcer cet aspect.

Il est en effet essentiel de préserver la crédibilité du CMB, qui repose d’une part sur sa capacité à susciter des actions d’envergure et de nature adéquates pour la biodiversité, et d’autre part sur les résultats concrets de la somme de ces actions pour l’amélioration de l’état de la biodiversité. Bien que les progrès puissent sembler lents dans le déploiement de ces politiques, celles-ci constituent un socle pour bâtir une vision et des actions à long terme. La COP 16 devra soutenir cette dynamique et alimenter les initiatives naissantes, tout en reconnaissant qu’il faudra intensifier les efforts dans les années et décennies à venir. Il sera par ailleurs important d’évaluer les succès et échecs de la mise en œuvre effective, afin de tirer les leçons des deux dernières années. C’est ce qui devra être préparé activement dès maintenant d’ici à la COP17 en 2026 pour la revue à mi-parcours entre 2022 et 2030 qui y sera discutée.

Le casse-tête du financement : un labyrinthe aux multiples sorties

Si l’alignement des stratégies et plans d’action avec le CMB demeure complexe, le financement de la biodiversité n’échappe pas à ses propres défis. Les négociations devront trancher sur la nouvelle stratégie de mobilisation des ressources, un puzzle où certaines pièces semblent manquantes ou se chevauchent, compliquant l’assemblage.

Les besoins, estimés à plusieurs centaines de milliards de dollars par an, contrastent avec les ressources allouées, alors que les subventions néfastes atteignent près de 2 600 milliards de dollars par an. Ce chiffre illustre l’ampleur du défi, exacerbé par des tensions budgétaires nationales2 et internationales, menaçant la mobilisation des fonds. Le risque de baisse de l’aide publique au développement3 aggraverait encore la situation &mdash et la confiance mutuelle entre pays —, ajoutant des obstacles supplémentaires. 

Face à ces réalités, les négociations se trouvent souvent bloquées par des divergences de principe. Cependant, la COP 16 pourrait être le théâtre de solutions innovantes, avec une approche centrée sur les besoins des pays, et particulièrement des pays en développement, fondée sur des plans de financement cohérents avec les SPANBs4 . Pour surmonter les obstacles, il faudra une action collective, à l’image des 10 points portés par le Royaume-Uni offrant un deal complet sur ces enjeux de financement, et non des initiatives isolées. Des initiatives comme la Tropical Forest Forever Facility (TFFF) ou les crédits biodiversité montrent la voie vers des sources supplémentaires, mais ne résoudront pas à elles seules le casse-tête du financement.

Il est essentiel de réfléchir à l’articulation des instruments financiers : comment se complètent-ils, quelles sont leurs limites, et où pourrait-on encore innover ? Les négociations sur la stratégie de mobilisation des ressources et sur les fonds multilatéraux devront viser à maximiser l’impact de chaque outil et à garantir une cohérence d’ensemble. Les discussions sur l’efficacité, l’accessibilité et la complémentarité des fonds multilatéraux, comme le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et le récent Global Biodiversity Framework Fund, créé au sein du FEM, seront centraux à la COP 16. Bien que modestes en volume, ces fonds peuvent être améliorés pour soutenir les pays en développement (Iddri, 2024).

Enfin un accord sur l’information de séquençage numérique ?

Un autre enjeu important qui sera abordé à Cali, et qui pourrait rapporter des bénéfices importants en fonction de la formule choisie, est l’utilisation de l’information de séquençage numérique des ressources génétiques. Malgré les opportunités que cette technologie représente pour la science et la recherche, elle soulève des questions complexes sur la manière de redistribuer efficacement et équitablement les bénéfices dérivés de l’utilisation de ces ressources. Le type de contributions (volontaires ou obligatoires) des entreprises (ou de certains secteurs), qui bénéficient de l’exploitation de ces données, et l’introduction d’un fonds pour cette « biodiversité numérique » seront sans doute fortement débattus. Des questions persistent, notamment sur la manière dont ce mécanisme sera mis en place. Si les contributions volontaires sont choisies comme mécanisme principal, cela sera-t-il suffisant pour redistribuer réellement les bénéfices ? Il faudra veiller à ce que les solutions adoptées ne laissent pas les pays en développement avec des promesses vides, et que les bénéfices contribuent bien au financement de la biodiversité.

Pour une redevabilité renforcée 

Une autre question clé concerne la redevabilité des États, mais aussi de tous les acteurs, face aux engagements pris dans le cadre du CMB. Alors que nous approchons du début de l’examen de mi-parcours (‘global review’), il est essentiel que ces mécanismes de revue soient renforcés. La COP 16 devra poser les bases d’un processus transparent et inclusif, garantissant que les États et les acteurs de la mise en œuvre, en particulier les entreprises (également soumises dans certains pays, comme dans l’Union européenne et en Chine, à des obligations de redevabilité renforcée5 ), soient en mesure d’identifier les blocages et les transformations clés à déployer pour la seconde période de l’accord (Iddri, 2024). Ces mécanismes seront essentiels pour s’assurer que les SPANB ne restent pas de simples promesses, mais qu’ils se traduisent par des actions concrètes. 

Embarquer toute la société pour une transformation des économies

Au-delà des gouvernements, la société civile et le secteur privé ont un rôle fondamental à jouer dans la réussite du CMB. La COP 16 sera donc un moment clé pour mieux intégrer l’ensemble de ces acteurs. L’objectif est de transformer l’économie globale pour qu’elle soit véritablement au service de la nature dont elle dépend. Le momentum ne se limite pas aux salles de négociation : à l’extérieur, des avancées se multiplient, notamment avec le déploiement d’outils pour mesurer les impacts et les dépendances des entreprises vis-à-vis de la nature. La participation accrue attendue à Cali est d’autant plus marquante que la COP 16 n’est pas une COP de signature d’accord comme ce fut le cas pour la COP 15. Ce contexte offre une opportunité de mobiliser les acteurs, et notamment de faire progresser la réflexion des transitions au niveau des secteurs, malgré un report attendu de l’adoption d’une approche stratégique à long-terme pour le ‘mainstreaming’ de la CDB, lancée à la COP 14. Par ailleurs, le thème de la bioéconomie pourrait émerger dans les discussions, notamment en raison des récentes réflexions menées dans le cadre du G20 sous présidence brésilienne, visant à rendre attractifs pour le secteur financier les investissements dans les territoires à haute valeur pour la biodiversité. Bien que ce sujet ne figure pas a priori parmi les priorités, les participants à la COP pourraient s’y intéresser, afin de questionner son potentiel de contribution au CMB et d’aligner les initiatives émergentes avec les objectifs de biodiversité.

Climat et biodiversité : des agendas de plus en plus indissociables sur la route vers la COP 30 climat

Alors que les discussions internationales sur le climat attirent souvent toute l’attention, il est de plus en plus évident que les défis liés à la perte de biodiversité ne peuvent plus être dissociés des défis de la crise climatique, notamment sous le prisme de la justice sociale et de l’atteinte d’une bonne qualité de vie pour tous. La COP 16 devrait offrir l’opportunité de renforcer les synergies entre les deux agendas, et surtout de promouvoir une mise en œuvre conjointe des stratégies climat (CDN) et des SPANB, dans le contexte de la montée en puissance politique en vue de la COP 30, où la protection des forêts et son financement sera portée notamment par la présidence brésilienne. Les efforts de coordination entre Bogota et Brasilia sur les questions climat-biodiversité en Amérique Latine pourraient illustrer cette dynamique, avec la Colombie poussant pour des contributions nationales communes sur ces deux fronts stratégiques, et promouvant le plan d’investissement positif pour le climat et la nature, lié à son accord de paix, comme un exemple de « plateforme pays » permettant de coordonner les interventions des bailleurs publics et des investisseurs privés. L’Océan (Iddri, 2024), qui sera au cœur de la Conférence des Nations unies sur l’Océan à Nice en juin 2025, est également au croisement des enjeux biodiversité et climat.

La Colombie : un rôle clé pour faire avancer le dialogue et les négociations

La Colombie a fait de la biodiversité un axe central de sa politique nationale, en promouvant une approche basée sur l’équité et la co-construction avec les populations autochtones, afro-descendantes et les communautés locales, sous le thème « Faire la paix avec la Nature ». En tant qu’hôte de la COP 16, la Colombie a une responsabilité particulière non seulement pour mettre en avant son propre récit national, mais aussi pour jouer un rôle de facilitateur et de catalyseur des discussions internationales.

Avec la présence annoncée des chefs d’État d’Amérique latine et d’Afrique à Cali, la Colombie dispose d’une position stratégique pour encourager une vision collective des enjeux de biodiversité et de climat, et pour s’assurer que cette COP 16 soit une étape décisive vers des engagements plus ambitieux et coordonnés sur la scène internationale, ainsi que dans la recherche des conditions d’une mise en œuvre effective du CMB.