Ces dernières années, les appels en faveur d’une gouvernance internationale plus inclusive se sont intensifiés – marqués par une vive contestation des institutions de Bretton Woods et une critique de certaines organisations considérées comme insuffisamment inclusives. Le besoin d’une plus grande justice en matière d’expression et de représentation au niveau international a trouvé un écho lors du récent Sommet de l’avenir ; le mot « inclusivité » est mentionné 72 fois dans le Pacte pour l’avenir. Alors que les Nations unies se positionnent de plus en plus fortement sur leurs valeurs fondamentales d’universalisme et d’inclusion (Iddri, 2024) et que le vaste réseau d’organisations internationales au sein et en dehors des Nations unies s’ouvre progressivement mais sûrement à de nouveaux groupes, la perception de l’injustice et de la partialité dans la représentation demeure. Dix ans après l’Accord de Paris sur le climat et les Objectifs du développement durable, l’Iddri examine de près les avancées de la gouvernance mondiale et de ses institutions clés pour le développement durable. La question de l’équité en termes de voix et de représentation constitue un facteur central de leur capacité à agir.

Voix et représentation dans les organisations multilatérales 

Quelle que soit leur forme, les organisations internationales (OI) qui sous-tendent le système commun fondé sur des règles ont été soumises à des pressions croissantes pour devenir plus transparentes et plus inclusives. Les forums traditionnels ont ouvert leurs portes à de nouveaux membres, qu’il s’agisse de pays ou de nouvelles catégories de membres telles que les différents niveaux de gouvernement, la société civile ou le secteur privé. Parallèlement, de nouveaux forums, plus ouverts, intégrant dès le départ de nouveaux groupes d’intérêt sur un pied d’égalité, ont vu le jour. De manière générale, les pratiques de consultation et d'engagement des parties prenantes se sont intensifiées. Des efforts croissants sont également déployés pour aller au-delà des règles formelles de participation et soutenir une contribution active en améliorant les ressources et les capacités. 

Dès sa création en 1919, l’Organisation internationale du travail (OIT) s’est distinguée comme la seule agence tripartite des Nations unies réunissant les gouvernements, les employeurs et les travailleurs. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a été créée en 1948 en tant qu’union de membres composée de gouvernements et d’organisations de la société civile. Si l’OIT et l’UICN étaient plutôt l’exception à l’époque, une série de nouveaux acteurs multipartites est apparue depuis les années 1980 à côté des organisations intergouvernementales (OIG) traditionnelles. Il s’agit notamment de ce que l’on appelle les réseaux trans-gouvernementaux (RTG), qui servent de forums aux unités spécialisées des gouvernements nationaux – plutôt qu’aux États eux-mêmes – pour concevoir des approches et des règles communes, partager des informations et se soutenir mutuellement dans la mise en œuvre (Abbott & Kauffmann, 2018). Ces organisations ont élargi la notion de membres en incluant des acteurs non-étatiques, issus de l’industrie, de la société civile et d’autres OI, qui peuvent participer au processus décisionnel. Il peut s’agir d’organisations de l’industrie ou du secteur privé, d’acteurs non gouvernementaux, de fonctionnaires infranationaux, d’autres OI ou de toutes les parties prenantes intéressées dans le domaine concerné.

Au-delà de cette évolution, les OI ont cherché à élargir leur composition – y compris géographiquement lorsqu’elle n’était pas encore universelle – et à inclure de nouveaux types de membres, notamment par le biais d’une adhésion partielle. Il s’agit d’une tendance quasi-universelle (OCDE, 2016), mais pour ne citer que quelques exemples :

  • Depuis 1961, l’OCDE a élargi le nombre de ses membres (de 20 à 38 à ce jour) et a créé différents moyens pour que les non-membres, et en particulier un certain nombre d’économies en développement et émergentes, puissent participer à ses comités techniques.
  • Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale, créé sous l’égide de la FAO, a été réformé en 2008 pour devenir « la principale plateforme internationale et intergouvernementale, ouverte à tous, qui permet à l’ensemble des parties prenantes de travailler ensemble de manière coordonnée pour soutenir les processus nationaux visant à éradiquer la faim et garantir la sécurité alimentaire et la nutrition pour tous ». L’adhésion est ouverte aux membres de la FAO, du Fonds international de développement agricole (FIDA) et du Programme alimentaire mondial (PAM), ainsi qu’aux membres des Nations unies qui sont membres de la FAO (Iddri, 2014).
  • En 2016, les membres de l’UICN ont voté en faveur de la création d’une nouvelle catégorie d’adhésion pour les organisations de peuples autochtones. En 2021, une nouvelle catégorie a été introduite pour les gouvernements locaux. À ce jour, l’UICN compte 14 000 membres.
  • En 2023, l’OIT a lancé la coalition mondiale pour la justice sociale, hébergée par le Secrétariat de l’OIT mais dotée d’une gouvernance distincte, qui permet à un nouvel ensemble de partenaires de se réunir, notamment : les gouvernements (84), les employeurs (33), les travailleurs (98), les OI (22 + 21 organes régionaux), les entreprises (7), les ONG (35) et les institutions académiques (21).
     

Pour permettre des contributions plus ponctuelles, la plupart des OI ont également renforcé leurs pratiques de consultation – à quelques exceptions près dans les secteurs les plus sensibles tels que la sécurité et l’énergie nucléaire. Elles l’ont fait en mettant en place des politiques spécifiques et des organes ou processus permanents pour impliquer les parties prenantes à des moments clés de l’élaboration de leurs instruments. En voici quelques exemples :
 

  • L’OMS a élaboré le « Cadre de collaboration avec les acteurs non étatiques », une politique globale sur l’engagement des parties prenantes qui s’applique à l’ensemble de l’Organisation et régit les relations de l’OMS avec les ONG, le secteur privé, les fondations philanthropiques et les institutions universitaires. Quatre types d’interactions sont envisagés : la participation aux réunions et aux auditions de l’OMS, l’apport de contributions financières ou en nature, le partage d’informations et de connaissances actualisées sur des questions techniques, le plaidoyer et la collaboration technique.
  • En 1992, le Sommet de la Terre a désigné officiellement neuf secteurs de la société comme principaux canaux pour faciliter une large participation aux activités des Nations unies liées au développement durable. Ces secteurs incluent : les femmes, les enfants et les jeunes, les populations autochtones, les ONG, les autorités locales, les travailleurs et les syndicats, les entreprises et l’industrie, la communauté scientifique et technologique et les agriculteurs. Les modalités de participation de ces groupes sont toutefois déterminées en dernier ressort par les États membres et varient en fonction du thème spécifique du développement durable abordé1.
  • En 2024, l’un des principaux résultats de la COP 16 qui s’est tenue à Cali a été la création par la Convention sur la diversité biologique d’un nouvel organe subsidiaire visant à garantir la participation pleine et effective des peuples autochtones et des communautés locales, avec pour mandat de fournir des conseils à la Conférence des Parties et aux autres organes subsidiaires (Iddri, 2024). 
     

La participation des parties prenantes s'effectue principalement au sein des comités techniques et des groupes de travail plutôt qu’au sein des organes directeurs. Dans la plupart des cas, ce sont des groupes de parties prenantes spécifiques (plutôt que le grand public, ce qui est décourageant au niveau international) qui font part de leurs commentaires, et ces groupes sont habilités à apporter leur contribution sur la base d'un statut officiel au sein de l'organisation et/ou par l'intermédiaire de comités consultatifs spécifiques. 

  • L’Organisation maritime internationale (OMI) accorde un statut consultatif spécial aux parties prenantes avant de les consulter. Toute organisation souhaitant obtenir le statut consultatif doit démontrer son expertise et sa capacité à contribuer aux travaux de l’OMI dans son domaine de compétence. Elle doit également démontrer que sa composition est internationale et que ses membres sont géographiquement diversifiés et proviennent généralement de plus d’une région. Ce statut donne aux parties prenantes sélectionnées le droit de recevoir les ordres du jour des réunions des organes de l’OMI et de soumettre des documents sur les points de ces ordres du jour. À ce jour, l’OMI a accordé le statut consultatif à 89 ONG internationales (contre 77 il y a dix ans). 

Un certain nombre d’organisations internationales se sont engagées à faire en sorte que l’égalité de participation de jure soit suivie d’une capacité de participation de facto, grâce à un financement adéquat et au renforcement des capacités.

  • En 2012, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a créé un fonds d’affectation spéciale pour soutenir la participation des pays les moins avancés (PMA) et des petits États insulaires en développement (PEID), en particulier ceux qui n’ont pas de représentation permanente à Genève, aux travaux du Conseil. Le fonds d’affectation spéciale fonctionne grâce aux contributions volontaires des États membres des Nations unies2.

Au-delà des efforts et progrès, quels résultats ?

Malgré ces avancées, la perception d’une participation inégale et d’une représentation biaisée reste forte et s’est même accentuée ces dernières années, notamment avec la montée en puissance de la voix du « Sud global ». Elle est également alimentée par des débats spécifiques autour de la réforme des institutions de Bretton Woods et de la fiscalité internationale. Et à certains égards, la promesse d’universalité de l’Accord de Paris sur le climat semble également ne pas avoir été tenue, ce qui suscite colère et frustration (Iddri, 2025). Comment résoudre le paradoxe et combler le fossé grandissant entre, d’une part, les progrès procéduraux de l’OI en matière d’ouverture et, d’autre part, la frustration croissante et la perception omniprésente d’un déséquilibre ? Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Si une évaluation approfondie de l’efficacité des mécanismes et des procédures adoptés par certaines OI pour s’ouvrir à de nouveaux groupes d’acteurs est nécessaire pour en mesurer la portée réelle, deux aspects transversaux pourraient contribuer à creuser le fossé. 

Tout d’abord, comme l’illustrent les tendances mentionnées précédemment, l’inclusivité de la gouvernance internationale est complexe et multiforme – elle se décline sous plusieurs formes : une participation plus équitable des pays à l’élaboration des règles internationales par rapport à une plus grande diversité d’intérêts représentés dans les forums internationaux (au-delà des États) ; une représentation procédurale, par opposition à une influence effective. Au-delà des nombreuses complexités de l’inclusivité de la gouvernance internationale, l’absence d’impacts tangibles ou clairement identifiables pourrait être à l’origine de cette perception négative. Dans les forums spécialisés où elles sont invitées, les nouvelles voix présentes à la table peuvent ne pas encore se sentir capables d’influencer les résultats ou avoir le sentiment d’être ignorées dans la cacophonie des voix que sont parfois les OI. Et de l’extérieur, certaines des tendances aggravantes qui touchent de manière disproportionnée les pays les plus vulnérables – en termes de conflits, de santé ou de dette après la pandémie de Covid-19 – peuvent également donner le sentiment que le multilatéralisme ne tient pas ses promesses, annulant ainsi les améliorations procédurales qui pourraient avoir lieu dans la gouvernance internationale.

Deuxièmement, les OI « normatives » mentionnées précédemment partagent plusieurs dispositions importantes en matière de gouvernance, notamment le fait que la prise de décision repose sur la formule « un membre, une voix », et que la plupart d’entre elles appliquent la règle du consensus pour les questions de fond (c’est-à-dire que la décision est adoptée sauf si un membre s’y oppose activement). Elles diffèrent d’autres types de forums internationaux tels que les institutions financières internationales (IFI), où les contributeurs financiers détiennent le pouvoir de décision. Ces dernières années, la finance est devenue à la fois un thème très structurant dans les discussions sur le développement durable et un thème controversé – comme en témoignent les blocages dans les négociations climatiques lors de la COP 29 à Bakou (Iddri, 2024) et l’attention croissante portée dans divers forums, notamment le G20, à la réforme de l’architecture financière internationale. À bien des égards, les discussions controversées sur la finance s’étendent à tous les forums internationaux et affectent toutes les négociations sur le développement durable, comme l’illustrent, entre autres, les résultats mitigés de la COP 16 sur la biodiversité (Iddri, 2025). La quête d’inclusivité dans la gouvernance internationale peut-elle être résolue tant que la réforme des IFI et des institutions de Bretton Woods n’est pas abordée de front ?

À l’avenir, une chose est claire : avec le développement rapide de l’écosystème international nécessaire pour gérer les interactions complexes entre les enjeux et les zones géographiques, la plupart des pays risquent de rencontrer encore plus de difficultés à mobiliser les ressources (y compris l’expertise technique) nécessaires pour suivre les discussions qui se déroulent dans les multiples forums pertinents pour l’élaboration de leur politique nationale, ce qui rend la promesse d’inclusivité de plus en plus difficile à tenir. Si les nouvelles pratiques introduites à la suite de la pandémie de Covid-19, comme la participation à distance, peuvent en partie répondre aux problèmes de ressources (notamment en ce qui concerne les déplacements), les pays doivent reconsidérer leur participation à la gouvernance multilatérale afin d’en renforcer l’efficacité, entre autres en répartissant les rôles entre les pays et en alignant mieux les positions au sein des gouvernements. Il est également nécessaire d’engager une discussion plus structurelle sur la question de savoir s’il est raisonnable de continuer à voir le droit international aborder la complexité à travers les mêmes instruments et par l’élargissement des mandats.