L'Organisation maritime internationale (OMI) est en train d'adopter des mesures de moyen terme pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur du transport maritime. Si ces mesures sont essentielles pour lutter contre le changement climatique, elles ont également des conséquences économiques, en particulier pour les pays qui dépendent fortement des importations de denrées alimentaires. L'augmentation des coûts de transport pourrait faire grimper les prix des denrées alimentaires importées à court terme, ce qui pourrait aggraver l'insécurité alimentaire dans les régions vulnérables telles que les Petits États insulaires en développement (PEID) et les pays les moins avancés (PMA). Ce billet de blog explore les aspects clés des mesures de moyen terme de l'OMI, leur impact potentiel sur la sécurité alimentaire, les régions les plus à risque et la possibilité d'utiliser les revenus des mécanismes de tarification du carbone pour atténuer ces impacts.

Contexte et calendrier des mesures de moyen terme de l'OMI

L'OMI s'est fixé des objectifs ambitieux pour réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime international d'ici 2050. Dans le cadre de sa stratégie 2023 sur les GES, elle élabore un ensemble de mesures juridiquement contraignantes visant à réduire les émissions des navires (les « mesures de moyen terme »), qui doivent être adoptées cette année et mises en œuvre d'ici à 2027. 

Si ces mesures sont essentielles pour réduire les émissions des navires, elles entraîneront inévitablement une augmentation des coûts de transport. Cela suscite des inquiétudes quant à leur impact potentiel sur la sécurité alimentaire, inquiétudes qui se sont largement intensifiées au cours de la dernière semaine de négociations de l'OMI à l'automne dernier (Smith et al., 2024). Étant donné que le transport maritime est responsable de l'acheminement d'environ 80 % du commerce mondial, les changements dans les coûts de transport peuvent affecter de manière significative les prix et l'accessibilité des denrées alimentaires. L'OMI a donc organisé un atelier d'experts sur la sécurité alimentaire le 13 février dernier, avant la semaine de négociation sur les mesures de moyen terme, au cours duquel diverses agences des Nations unies et des experts nommés par les membres de l'OMI ont pu présenter leur analyse des impacts.

Impacts des mesures de moyen terme de l'OMI sur la sécurité alimentaire

L'impact des mesures de moyen terme de l'OMI sur la sécurité alimentaire dépend de leur influence sur les prix des importations agricoles, qui à leur tour affectent la disponibilité et l'accessibilité des denrées alimentaires. Plusieurs questions clés ont été mises en évidence lors de l'atelier d'experts :

- de nombreux experts ont souligné que l'OMI doit fournir des orientations claires et prévisibles sur les mesures politiques bien à l'avance. L'insécurité alimentaire est généralement une conséquence de la volatilité des prix. Si la politique de l'OMI n'est pas prévisible, des changements réglementaires soudains pourraient perturber le commerce et les chaînes d'approvisionnement, augmentant ainsi les risques pour la sécurité alimentaire ;

- la distribution des revenus peut atténuer les effets de la politique de l'OMI en matière de GES, ainsi que la volatilité générale des chaînes d'approvisionnement (par exemple, les investissements dans les infrastructures, le stockage, la facilité de financement des importations de denrées alimentaires, la production alimentaire nationale) ;

- l'augmentation des coûts d'expédition entraînera probablement une hausse des prix des denrées alimentaires importées à court terme, ce qui affectera de manière disproportionnée les ménages à faible revenu. Les pays fortement dépendants des importations, en particulier les PEID et les PMA, seront les plus touchés par ces augmentations. À moins que l'atténuation des coûts/effets, par exemple par la répartition des revenus, ne soit intégrée dans la politique de l'OMI en matière de gaz à effet de serre ;

- la hausse des prix des denrées alimentaires pourrait profiter aux agriculteurs locaux dans certaines régions si l'agriculture nationale peut se développer. Toutefois, de nombreux pays vulnérables n'ont pas la capacité de remplacer les importations par une production locale ;

- les experts ont établi un lien entre les risques pour la sécurité alimentaire et les mesures d'incitation en faveur des biocarburants, y compris dans le secteur du transport maritime, en avertissant qu'une demande accrue de biocarburants pourrait détourner les ressources agricoles et entraîner une hausse des prix des denrées alimentaires. De même, à défaut de planification et de prévisibilité, une augmentation soudaine de la demande d'ammoniac en tant que carburant marin pourrait entrer en concurrence avec la consommation d'engrais pour la production alimentaire.

Quels sont les pays les plus exposés ?

Les travaux présentés lors de l'atelier ont également fourni des preuves de l'impact différencié sur les pays. Une évaluation de la vulnérabilité menée par Fricaudet et al. (2024) souligne que les pays les plus à risque comprennent de manière disproportionnée les PEID et les PMA, et que nombre de ces pays sont situés dans le Pacifique et les Caraïbes, en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne, dans certaines parties du Moyen-Orient et en Asie du Sud (voir la figure ci-dessous). Ces pays présentent à la fois une forte dépendance à l'égard des importations alimentaires, une insécurité alimentaire préexistante et une faible résilience économique aux chocs de prix. Certains de ces pays les plus vulnérables sont également plus susceptibles d'être confrontés à des coûts d'importation de denrées alimentaires plus élevés à court terme, en raison des mesures de moyen terme, du fait de leur éloignement des chaînes de valeur mondiales et des navires qui les desservent (évaluation d'impact globale de l'OMI, 2024 ; voir l'accès aux ressources de l'OMI).

Les PEID comptent parmi les pays les plus vulnérables aux effets de l'augmentation des coûts de transport et les plus susceptibles de voir leurs coûts d'importation augmenter. Nombre de ces pays sont déjà confrontés à des problèmes structurels tels qu'une forte dépendance à l'égard des importations, l'éloignement géographique et la vulnérabilité climatique (Wairiu et al., 2025 ; Forgenie et al., 2025 [à paraître]). L'augmentation du coût des importations de denrées alimentaires due aux mesures de moyen terme de l'OMI pourrait aggraver l'insécurité alimentaire dans ces pays. Pour les PEID du Pacifique, le défi est encore plus prononcé (Wairiu et al., 2025). Nombre de ces îles dépendent presque entièrement des importations de denrées de base telles que le riz, le blé et les aliments transformés. L'augmentation des coûts de transport entraînera non seulement une hausse des prix, mais aussi des perturbations potentielles dans les chaînes d'approvisionnement alimentaire. De plus, comme beaucoup de ces pays ont une capacité agricole limitée, ils n'ont pas la possibilité de compenser l'augmentation des coûts d'importation par la production locale (Wairiu et al., 2025).

Figure. Sécurité alimentaire-vulnérabilité aux variations des prix à l'importation - Indice composite (résultat rééchelonné de 0 à 5). Jaune = médiane, 0 = vulnérabilité la plus faible, rouge = vulnérabilité la plus élevée

 

Carte

Moyenne PIED : 3,4 (la plupart ne sont pas couverts en raison du manque de données sur la pauvreté et/ou l'insécurité alimentaire)

Les revenus pourraient-ils être utilisés pour atténuer les effets négatifs ?

En l'absence de mesures spécifiques visant à pallier ces effets négatifs, la charge économique liée à l'augmentation des frais de transport maritime pèsera probablement de manière disproportionnée sur les pays à faible revenu, ce qui risque d'exacerber les inégalités à l'échelle mondiale. L'atelier d'experts a donc recommandé aux décideurs politiques d'envisager des interventions ciblées pour atténuer ces effets négatifs, parmi lesquelles la distribution ou l'exonération des revenus.

La plupart des options de mesures de moyen terme envisagées aujourd'hui génèrent des revenus, bien que certaines en génèrent beaucoup plus que d'autres – en particulier la proposition d'une taxe sur les émissions des navires. L'un des principaux débats au sein des discussions à l'OMI porte sur l'utilisation de ces revenus. Les estimations suggèrent qu'une taxe carbone sur le transport maritime pourrait générer près de 1 900 milliards de dollars de revenus d'ici à 2050. La question demeure : comment ces revenus devraient-ils être distribués et peuvent-ils être utilisés pour compenser les effets négatifs sur la sécurité alimentaire ?

Certains États membres de l'OMI soutiennent que les revenus devraient être réinvestis dans le secteur du transport maritime pour accélérer les efforts de décarbonation, par exemple en soutenant le développement de carburants alternatifs et l'amélioration des infrastructures. Toutefois, cette approche pourrait ne pas profiter directement à tous les pays souffrant d'insécurité alimentaire, dont certains n'ont que peu d'intérêts dans l'industrie du transport maritime (Fricaudet et al., 2024).

Une proposition alternative consiste à allouer une partie des revenus aux pays vulnérables à titre de compensation pour l'augmentation des coûts d'importation des denrées alimentaires. Étant donné que les revenus générés par les mesures de moyen terme, y compris une taxe, disparaîtront au fur et à mesure que la flotte se décarbonera, tandis que l'augmentation des coûts de transport et donc le risque pour la sécurité alimentaire se poursuivront à long terme, il est important que l'utilisation des revenus ait un impact transformationnel à long terme sur les pays. Par exemple, la Grenade a fait valoir au cours de l'atelier que les PEID des Caraïbes pourraient utiliser ces fonds pour développer des systèmes de production alimentaire locaux et réduire la dépendance à l'égard des importations. Une stratégie ciblée de distribution des revenus pourrait inclure (Forgenie et al., à venir) :

- un soutien financier pour compenser la hausse des coûts de transport des produits alimentaires de base ;

- un investissement dans la production agricole, le stockage et les infrastructures de transport afin d'améliorer la résilience de la sécurité alimentaire. Par exemple, la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique a plaidé pour que les revenus soient utilisés pour tirer parti des efforts existants visant à accroître le commerce intra-africain afin d'augmenter la liquidité des marchés alimentaires de la région et réduire ainsi la dépendance à l'égard des importations de longue distance ;

- une aide financière directe aux ménages vulnérables afin d'atténuer l'impact de la hausse des prix des denrées alimentaires.

Si aucun revenu n'est généré, la seule option consiste à mettre en œuvre des exemptions ciblées (certains navires/flux commerciaux/voyages). Toutefois, les pays ou les trajets exemptés devraient finalement adopter des technologies zéro carbone à long terme, tout en ayant un accès limité aux incitations et au soutien financier fournis par les mesures de moyen terme pour opérer leur transition. Cette solution retarde donc l'impact négatif sur la sécurité alimentaire, mais ne permet pas d'y remédier.