Paris/Berlin, 16 mars 2018 - La France et l’Allemagne devraient définir ensemble et rapidement leurs stratégies de réduction des parcs charbon et nucléaire, afin d’engager des actions communes permettant de mettre en œuvre la transition énergétique dans les deux pays et en Europe, d’après une étude publiée aujourd’hui par Agora Energiewende et l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
- Un défi commun : redimensionner le parc de centrales conventionnelles et augmenter la production renouvelable
Les systèmes électriques français et allemand étant étroitement liés, les décisions de politique énergétique prises par l’un des deux pays ont des conséquences importantes sur l’autre, ainsi que sur l’ensemble du système électrique européen. La France et l’Allemagne devraient donc renforcer leur coopération lors de la définition de leur future politique énergétique afin d’assurer, des deux côtés du Rhin, un approvisionnement électrique fiable, durable et le plus abordable possible pour le consommateur.
Pour cela, il s’agira d’articuler un développement important des énergies éolienne et photovoltaïque d’ici 2030 avec une réduction significative de la production d’électricité des centrales conventionnelles – charbon en Allemagne, nucléaire en France. Des stratégies claires concernant ces technologies conventionnelles sont nécessaires pour que l’Allemagne atteigne ses objectifs climatiques, mais aussi pour que la France ne se retrouve pas en situation d’excédent d’électricité important, alors que les deux pays prévoient d’augmenter leur production d’électricité d’origine renouvelable : 40 % de l’électricité produite en France et 65 % de la consommation en Allemagne d’ici 2030, selon l’accord de coalition du nouveau gouvernement allemand.
Une coopération renforcée permettrait de parvenir au consensus politique nécessaire à la construction de nouvelles interconnexions électriques et au relèvement du prix du CO2 en Europe. En tenant compte de la récente baisse des coûts de production des énergies renouvelables, un prix du CO2 compris entre 30 et 50 euros par tonne permettrait de financer largement les énergies éolienne et solaire photovoltaïque par les revenus tirés du marché de l’électricité. En revanche, des mesures unilatérales pourraient entraîner de forts déséquilibres.
- En France, les coûts échoués augmentent lorsque la capacité nucléaire est supérieure à 50 GW en 2030
Avec une capacité nucléaire maintenue supérieure à 40 GW en 2030, le bilan exportateur français augmenterait par rapport à aujourd’hui et la réduction de la part de la production d’origine nucléaire à 50 % se trouverait repoussée au-delà de 2030. Au-delà de 50 GW, le risque de coûts échoués pour les acteurs du secteur électrique augmente significativement. Si la France maintient son niveau de capacité nucléaire actuel de 63 GW en prolongeant la durée de vie de l’ensemble des centrales existantes, tout en développant parallèlement les énergies renouvelables, le pays risque de se retrouver en situation d’excédent d’électricité important. Cette stratégie entraînerait une baisse des prix sur les marchés de l’électricité en France et dans l’UE et des exportations d’électricité plus importantes vers l’Allemagne et les autres pays européens. Toutefois, une telle stratégie d’exportation ne génèrerait pas, selon l’étude, des revenus suffisants pour couvrir le coût de réinvestissement dans les centrales nucléaires et occasionnerait des pertes économiques pour les acteurs du secteur.
Selon l’étude, la France pourrait éviter cet impact négatif en réduisant sa capacité de production nucléaire de 63 GW à 50 GW.
La rentabilité des centrales nucléaires françaises dépendra beaucoup de l’évolution des prix du CO2 et du développement des capacités d’interconnexions électriques entre la France et ses voisins. Toutefois, ces facteurs ne peuvent pas être décidés au niveau purement national, mais résultent d’une coordination étroite entre la France et ses voisins, en particulier l’Allemagne
- En Allemagne, l’atteinte des objectifs climatiques nécessite une division par deux de la production des centrales à charbon et un rehaussement de l’objectif national de consommation d’électricité renouvelable à au moins 60 %
Pour atteindre ses objectifs climatiques, l’Allemagne devrait réduire sa production d’électricité à charbon de moitié. Accélérer la croissance de sa production d’énergies renouvelables lui permettrait de le faire sans dépendre d’importations d’électricité non désirées, en particulier en provenance de la France. Des prix du CO2 compris entre 30 et 50 euros par tonne contribueraient à améliorer le bilan des émissions de CO2 de la production d’électricité allemande sans pour autant être suffisants pour atteindre les objectifs climatiques du pays.
Elle améliorerait néanmoins considérablement le refinancement de l’électricité renouvelable sur le marché d’ici 2030.
Des prix du CO2 plus élevés, par exemple, grâce à un prix plancher du CO2 sur le marché européen d’échange de quotas d’émission, sont essentiels du point de vue de la protection du climat. Ils entraîneraient une hausse modérée des prix de l’électricité dans les deux pays. Côté production, les effets seraient variables : si les exploitants français de centrales nucléaires bénéficient économiquement de prix plus élevés du CO2, les exploitants de centrales électriques au gaz devraient également en bénéficier en raison de la baisse de la production des centrales à charbon. Ceci serait bénéfique pour l’environnement. Pour que cela n’entraîne pas une hausse des exportations d’énergie nucléaire de la France vers l’Allemagne, un accord politique entre les deux pays ferait sens : la France pourrait s’engager à réduire la surcapacité de ses centrales nucléaires et, en échange, l’Allemagne soutiendrait activement une initiative franco-allemande en faveur d’un prix minimum du CO2
Cette étude compare les résultats de la modélisation de huit scénarios d’évolution des capacités de production d’électricité en Allemagne et en France à l’horizon 2030. Les travaux de recherche ont été coordonnés par Agora Energiewende et l’Iddri, et la modélisation a été réalisée par le cabinet de conseil Artelys.