L'Inde a publié sa contribution nationale (Intended Nationally Determined Contributions, INDC) au processus de négociation internationale le 2 Octobre, jour de fête nationale de célébration de l'anniversaire de naissance de Mahatma Ghandi. Le choix de cette date pour la publication de ce rapport n'est pas anodin : elle montre la volonté du gouvernement indien de construire politiquement sur cette annonce au niveau domestique et démontre que le débat sur le changement climatique a évolué en Inde ces dernières années. Premières analyses.
Cet INDC renforce-t-il l’ambition de l’action climatique du pays ?
L’INDC de l’Inde comprend un certain nombre d’objectifs qualitatifs ainsi que trois cibles quantitatives :
- Réduire l’intensité des émissions de gaz à effet de serre (GES) par point de PIB de -33 à -35 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005.
- Atteindre d’ici 2030 environ 40 % de puissance éléctrique installée cumulée issue d’énergies non fossiles grâce au transfert de technologie et au financement international à faible coût, notamment le Fonds vert pour le climat (FVC).
- Créer un puits de carbone additionnel de 2,5 à 3 milliards de tonnes d’équivalent CO2 grâce aux forêts et couverts forestiers supplémentaires d’ici 2030.
De façon générale, les tendances actuelles devront être poursuivies pour atteindre l’objectif de réduction de l’intensité carbone du PIB. A Copenhague, l’Inde s’était engagée à la réduire de 20-25 % d’ici 2020 par rapport au niveau de 2005. En 2012, l’intensité carbone du PIB a été réduite de 13 %, soit un taux de -2,03 % par an (données CAIT, excluant l’utilisation des terres). Poursuivre ce taux annuel jusqu’en 2020 permettrait de réduire de 26 % l’intensité carbone. Ainsi, l’Inde semble être sur la bonne voie pour respecter son engagement de Copenhague. Une simple projection de ce taux d’amélioration de l’intensité des GES à l’horizon 2030 permet d’envisager une amélioration de 40 % par rapport aux niveaux de 2005.
Il faut cependant noter que l’Inde n’a pas réduit au même rythme son intensité de CO2liée à l’énergie par unité de PIB au cours des dernières années (-2,14 % au total entre 2005 et 2014). A mesure que l’Inde s’industrialise et s’urbanise, le pays s’éloigne en effet de la biomasse traditionnelle pour s’orienter vers des sources d’énergie industrielles, notamment le charbon. Le graphique ci-dessous décrit les évolutions des émissions de CO2 liées à l’énergie en Inde sur la période 2005-2014. Pour continuer à réduire l’intensité des émissions de GES de son économie conformément à son INDC, l’Inde devra donc agir sur son mix énergétique.
C’est dans cet esprit que l’INDC indien propose également un objectif pour la part de combustibles non fossiles dans le mix électrique (40 % d’ici 2030). Il convient de noter qu’il s’agit de la capacité installée, et non pas de la production – un facteur de capacité des énergies renouvelables plus faible engendrerait une part des combustibles non fossiles dans la production d’électricité plus faible en 2030. La capacité actuelle des combustibles non fossiles est de 24 %, un effort conséquent serait donc nécessaire pour l’augmenter à 40 %. En prenant le niveau de demande d’électricité prévu dans l’INDC indien, et en évaluant les déperditions sur le réseau (15 %) et le facteur de capacité totale (45 %), nous pouvons estimer que la capacité totale non fossile devrait atteindre environ 290 GW en 2030 pour représenter 40 % de la capacité totale installée. Compte tenu du programme d’énergies renouvelables de 175 GW (d’ici 2022) et du programme nucléaire de 63 GW (d’ici 2032), il faudrait développer progressivement une capacité non fossile d’environ 53 GW d’ici 2030. Une partie viendra probablement de l’hydroélectricité (environ 40 GW aujourd’hui, et un potentiel estimé dans l’INDC à 100 GW).
Les principaux éléments permettant d’atteindre cette capacité non-fossile de 40 % sont donc deux programmes récemment annoncés, mais pas encore mis en œuvre : le programme à court terme sur les énergies renouvelables à l’horizon 2022 et le programme nucléaire à plus long terme d’ici 2032. L’INDC s’appuie sur ces programmes, mais n’exige pas nécessairement d’aller plus loin.
L’INDC contient-il des informations claires et crédibles sur la façon de réaliser cette contribution, et les transformations qu’elle exige ?
Il ressort de l’analyse des éléments constitutifs de l’INDC indien que celui-ci est globalement très transparent : des informations essentielles telles que le taux de croissance prévu, les secteurs couverts, la demande d’électricité ciblée, etc. permettent de bien visualiser les répercussions de l’INDC sur l’ensemble des émissions de l’Inde et ses conséquences plus précises sur le secteur de l’énergie, par exemple.
Comment se situe l’INDC par rapport aux autres priorités nationales de développement du pays ?
Des informations complémentaires à l’INDC indiquent clairement la vision de développement de l’Inde : une augmentation de dix points de pourcentage de l’urbanisation ; un triplement du PIB/hab. avec un taux de croissance de 7 % ; et une demande en électricité multipliée par 3,2. Ces informations expliquent clairement la vulnérabilité de l’Inde au changement climatique. Il est rappelé qu’en Inde, les émissions par habitant sont extrêmement faibles (1,56 tonnes) et le PIB/hab. de seulement 1 408 USD. L’INDC affirme à juste titre que malgré la faiblesse de ce PIB par habitant, l’Inde a pu atteindre un niveau élevé de développement humain (mesuré par l’indice de développement humain). L’accent mis sur le secteur de l’électricité dans l’INDC souligne l’importance de la fourniture d’énergie dans un pays où 300 millions de citoyens n’ont pas accès à l’électricité.
L’INDC de l’Inde accorde une grande importance au défi financier que représente la mise en œuvre de politiques climatiques rigoureuses et la réalisation des objectifs de développement. La part de l’investissement en Inde est relativement faible en pourcentage de PIB (31,5 %) compte tenu du stade de développement du pays ; son déficit courant est de 1,4 % du PIB, ce qui signifie qu’il ne dispose pas d’excédent commercial pouvant être investi stratégiquement dans l’économie. Selon la Banque mondiale, environ 1,7 billions d’USD auraient besoin d’être investis dans les infrastructures indiennes dans les dix prochaines années. Comme l’a souligné le Financial Times dans une récente édition spéciale sur l’investissement en Inde : « ... l’investissement du secteur privé est pratiquement au point mort. Le coût du capital est élevé, et les banques sont réticentes à accorder des crédits car de nombreux prêts sont irrécouvrables. » La communauté internationale a certainement un rôle à jouer pour aider l’Inde à financer ses aspirations de développement ; et les rendements pourraient être très élevés. Mais une augmentation des investissements publics et privés internationaux exigera beaucoup d’efforts pour améliorer l’environnement réglementaire. Ce défi de l’investissement intérieur et international pourrait à l’avenir devenir une priorité de la coopération politique.
Dans une large mesure, l’Inde de 2030 reste à construire entièrement. De formidables transitions démographiques, industrielles, urbaines et technologiques sont en cours. Dans ce contexte, les moteurs indispensables pour parvenir à une société indienne plus sobre en carbone sont liés au modèle de développement même de l’Inde, pas nécessairement à ses choix énergétiques, mêmes si ceux-ci sont tout aussi cruciaux. Cela a été étudié concrètement dans le rapport du projet Deep Decarbonization Pathways de l’Inde, qui compare deux scénarios de développement : « Décarbonisation conventionnelle » et « Durable ». Le scénario Durable se base sur des politiques structurelles telles que l’urbanisation intelligente, l’efficacité des ressources ou encore les investissements dans le capital humain. Il en résulte une transition plus rentable pour l’Inde. Il est peut-être trop ambitieux d’espérer retrouver des choix de développement si profonds pour l’Inde dans un INDC – le niveau de détail fourni sur la stratégie de développement est déjà impressionnant. Mais plutôt que de se pencher sur les chiffres précis de l’INDC, il est très positif de noter qu’il commence au moins à esquisser une vision plus large pour un nouveau modèle de développement à faible intensité de carbone.
Quels sont les blocages et les opportunités pour aller plus loin ?
Ainsi, globalement, les aspirations de l’Inde sont déjà ambitieuses pour une transition vers une économie sobre en carbone, notamment à travers ses programmes sur les énergies renouvelables dans le secteur de l’électricité. Son INDC se base sur cette ambition, mais ne va pas nécessairement plus loin. L’Inde est un pays en développement aux faibles émissions et PIB par habitant. Néanmoins, étant donné l’importance de la croissance et des investissements en infrastructures à venir, les choix d’aujourd’hui seront déterminants pour la trajectoire d’émissions à long terme de l’Inde et celle du monde. À cet égard, si l’INDC constitue une base importante, il existe encore des risques d’enfermement dans une trajectoire d’émissions plus élevées. Des choix essentiels pour le pays en termes d’aménagement urbain, d’infrastructure, d’approches des objectifs de développement, notamment en matière de pollution locale de l’air et d’inclusion sociale, devront se faire en parallèle de la coopération internationale sur le financement et la diffusion des technologies.