À la suite de la première réunion du groupe de travail spécial à composition non limitée sur l'élaboration d’un Pacte mondial pour l’environnement, à Nairobi (Kenya) du 14 au 18 janvier, l'Iddri a organisé le 29 janvier un séminaire pour débattre de ce projet, en présence de Michel Prieur (président du Centre international de droit comparé de l'environnement), Lucien Chabason et Elisabeth Hege (Iddri), et Marta Torre-Schaub (directrice de recherche CNRS, ISJPS Université Paris 1, directrice du Réseau ClimaLex). Dans ce billet, Marta Torre-Schaub résume son intervention*.

* les propos sont sous la responsabilité de l'auteur.


Le projet de Pacte peut constituer une opportunité de renouveler et moderniser le droit international de l'environnement, notamment en tirant des enseignements des mouvements associés à la justice climatique, tout en servant de moteur à une meilleure efficacité des instruments déjà existants.

L'une des questions essentielles que pose le projet de Pacte mondial pour l'environnement, actuellement en pourparlers dans le cadre des Nations unies, est celle de son utilité opérationnelle, au-delà de sa valeur symbolique. Apporte-il du nouveau sur la question environnementale ? S'articule-t-il de manière adéquate à l'actualité de la crise écologique planétaire actuelle ? Introduit-il des nouveautés à la panoplie de textes sur l'environnement qui existent déjà en droit international ?

Nous proposons ici de porter l'attention sur une problématique très actuelle, qui revêt un caractère global et planétaire, celle de la justice climatique, qui nous semble être un bon exemple pour passer en revue certains principes et droits du Pacte qui pourraient être améliorés, voire mieux adaptés à la réalité sociale et environnementale. En effet, la justice climatique propose une nouvelle manière de faire le droit de l'environnement, au carrefour des revendications à la fois écologiques et socio-économiques qu'elle porte.

Une approche holistique de l'environnement

Tout d'abord, le Pacte pourrait inclure dans son processus d'élaboration les méthodes adoptées par le mouvement de la justice climatique. On pense ici à un processus « inclusif » qui accepterait des acteurs diversifiés (société civile au sens large, incluant le monde de la finance, mais également les populations autochtones, les villes et les populations minoritaires). Sur le fond, il serait souhaitable d'y inclure des concepts comme « la nature sujet de droits » ou le concept de buen vivir (« vivre bien » ou « bien-être »), qui prend de plus en plus d'importance dans la constitution de certains pays d'Amérique latine et propose de concilier la protection de l'environnement et un modèle de développement alternatif, plus solidaire et inclusif.

En deuxième lieu et sur l'approche même des questions environnementales, le Pacte pourrait se voir amélioré s'il adoptait la conception « holistique » de l'environnement prônée par la justice climatique : l'environnement est une question qui ne saurait être traitée de manière sectorisée et qui doit connecter tous ses éléments (la biodiversité, l'usage de terres, l'exploitation des sols, la protection des mers et océans, mais également la question agricole et alimentaire), comme le fait la justice climatique. Le Pacte serait ainsi une opportunité à saisir pour adopter en droit international une approche de protection totale du « système Terre » en y incluant la question des « limites » (cf. Planetary Boundaries).

Également, il conviendrait d'articuler le Pacte aux droits de l'homme. Si le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme a déjà amorcé ce rapprochement dans son dernier rapport de 2018, beaucoup reste encore à faire. La justice climatique, dans son volet « judiciaire », par certaines décisions de justice innovantes, comme la décision Urgenda du 9 octobre 2018 aux Pays Bas, inclut désormais les droits de l'homme à la vie et à la vie privée et familiale comme faisant partie indissociable de la protection intégrale du système climatique et de l'environnement.

Droits procéduraux et obligations

Concernant les droits procéduraux, le Pacte pourrait les renforcer en tirant des enseignements de la pratique désormais rodée de la justice climatique, notamment en Amérique latine où les droits de participation et d'accès à la justice incluent de plus en plus des populations minoritaires et autochtones porteuses de leurs propres cultures et de leurs liens avec la nature et la Terre mère (Pacha Mama)1 . Le projet de Pacte mentionne de façon globale et ouverte certains droits procéduraux, mais le droit à l'information en matière environnementale, par exemple, reste aujourd'hui trop dépendant de la manière dont les États vont le réglementer au niveau national. S'agissant d'autres droits procéduraux, il serait indispensable que le Pacte les intègre comme une obligation au niveau international, en suivant par exemple le modèle de l'Accord de Paris sur le climat, qui prévoit des mécanismes de transparence et de révision ainsi que d’information, de manière précise et détaillée2 .

Sur le contenu même des droits développés, la question de l'équité pourrait également se voir améliorée en adoptant les deux volets de la justice climatique : la justice intergénérationnelle et la justice intra-générationnelle, en insistant sur la question de la lutte contre les inégalités environnementales et climatiques. Là encore, la justice climatique peut servir d'exemple à partir de certaines décisions de justice comme celle du 5 avril 2018 du Tribunal Supremo de Colombie, qui acte un « usage pour tous équitable des ressources » (y compris les forêts et leur rôle essentiel dans la régulation du système climatique mondial) dans le respect des intérêts « communs et partagés »3 .

De même, l'obligation de due diligence4 , qui apparaît actuellement dans le projet de Pacte, pourrait tirer des enseignements de certaines décisions de justice climatique qui développent le concept de duty of care comme une obligation des États en matière climatique (et environnementale) dans le but de déployer « tous les moyens à leur disposition » afin de « protéger » les citoyens contre les risques et dommages conséquence du changement climatique (et des dégradations environnementales)5 .

Certains principes nouveaux en droit de l'environnement, comme celui de non-régression6 , apparaissent également dans le projet de Pacte. Ce principe suppose de consacrer l'obligation de progression pour le droit de l'environnement7 . Acté en droit international de l'environnement depuis le 4 mars 2018 par l'Accord de Esacazu8 et déjà esquissé dans l'Accord de Paris (article 4.3), il est la continuité logique du principe de protection des générations futures, déjà énoncé dans la Convention de Stockholm de 1972 et dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de Rio en 1992. C'est également la concrétisation du principe d'équité sociale et environnementale, également présent dans la convention de 1992 et dans l'Accord de Paris sur le climat de 2015. Le principe de non-régression, s'il apparaît encore peu en tant que tel sur l'arène internationale9 , a cependant connu, par l'intermédiaire des droits des générations futures, des applications pratiques dans le cadre de contentieux climatiques (cf. Urgenda et Colombie, en 2018). Le Pacte mondial devrait pouvoir l'inclure dans sa version finale en s'inspirant notamment du sens donné par l'Accord de Paris10 .

Enfin, le principe de coopération en matière environnementale a fait l'objet d'un avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l'homme du 15 novembre 2017 à propos de l'interprétation par la Colombie des obligations portant sur la protection de l'environnement et des éventuels dommages à l'environnement entre États. La Cour a donné une interprétation très large des obligations des États en matière de « prévention et coopération » afin d'éviter les dommages transfrontaliers (en y incluant dans la notion de pollution celle causée par les émissions de gaz à effet de serre). La Cour a également inclus le changement climatique comme l'un des facteurs de dégradation maritime dont les États doivent tenir compte afin de mener une meilleure coopération11 . Le principe de coopération tiré de cette décision fait également le lien avec la question des capacités (et donc de financement), centrale dans le cadre de la justice climatique, et qui devrait être portée par le Pacte.

L'apport de l'Accord de Paris sur le climat

D'une manière générale, le régime climatique tel que proposé dans l'Accord de Paris – qui sert en grande partie de base au développement actuel de la justice climatique – contient des éléments intéressants qui pourraient permettre de renouveler le droit international de l'environnement12 . Symétriquement, le Pacte pourrait être l'occasion d'améliorer les aspects les plus faibles du régime climatique, comme la nécessité d'harmoniser les trois instruments : la Convention-cadre, le Protocole de Kyoto et l'Accord de Paris. En effet, la Convention a été dessinée comme un texte à texture ouverte et très générale même si elle véhicule des principes fondateurs du « régime climat » ; le Protocole a, quant à lui, un caractère obligatoire mais peu efficace dans sa période finale (2013-2020) en raison du nombre trop réduit de pays engagés ; et l'Accord de Paris, s'il jouit d'une adhésion massive des États, est construit sur un modèle normatif pour l'heure peu obligatoire – à l'exception des parties procédurales – et très flexible, voire évolutif, ce qui peut véhiculer une certaine insécurité juridique. Également, et en l'absence de véritables sanctions, le système de name and shame pourrait être amélioré par une clarification de ce que pourrait être un régime de sanctions en cas de non-respect.

Enfin, et sur un plan plus global, la fragmentation institutionnelle dont souffre actuellement le droit international de l'environnement pourrait se voir améliorée par le Pacte en y incluant des questions qui apparaissent aujourd'hui éparpillées dans des textes de nature diverse : commerce international, droit des investissements et finances, à la manière dont l'Accord de Paris a déjà entamé cette articulation.