Après une « Blue COP » dont il conviendra d’évaluer les retombées politiques concrètes, au-delà de la forte mobilisation de la société civile, l’année 2020 est présentée comme une « super année » pour l’Océan, car ponctuée de plusieurs échéances politiques importantes. Mais que peut-on raisonnablement en attendre ? À quelles conditions 2020 peut-elle être un succès ?
Depuis plusieurs mois, la phrase est répétée comme un mantra : 2020 sera une « super année » pour l’Océan. Il est vrai que les opportunités pour renforcer la coopération multilatérale autour des enjeux marins seront cette année nombreuses, et il serait regrettable de ne pas saisir cette occasion pour répondre politiquement aux signaux d’alarme tirés par les récents rapports de l’IPBES1 et du Giec2 . Toutefois, les échéances de 2020 sont de différentes natures et n’appellent pas le même niveau d’attente.
Certains évènements seront tout d’abord de nature stratégico-politique. C’est le cas notamment de la Conférence des Nations unies visant à appuyer la réalisation de l’Objectif de développement durable (ODD) 14, qui aura lieu à Lisbonne du 2 au 6 juin. Après un premier exercice mené en 2017, l’objectif sera à la fois d’évaluer la mise en œuvre de l’ODD 14 et d’identifier de nouveaux moyens pour en promouvoir l’application. Au-delà d’une liste d’« engagements volontaires » – outil de plus en plus utilisé dans les conférences de haut niveau, mais dont l’intérêt réel peine à convaincre –, la conférence devrait se clôturer par une « déclaration brève et concise qui soit orientée vers l’action et qui mette clairement l’accent sur les domaines d’action reposant sur la science et l’innovation qui favorisent la réalisation de l’objectif 14 ». Même si le terme « action » est souligné par deux fois, une telle déclaration, par sa nature même, débouchera nécessairement sur une « vision », qu’il faut espérer suffisamment saillante pour qu’elle ne s’ajoute pas à la longue litanie des promesses sans lendemain. À cet égard, l’accent devrait être mis, non pas tant sur les outils spécifiques de protection de l’environnement marin, déjà bien identifiés et étoffés, mais sur les politiques sectorielles dont les impacts sur l’Océan sont de plus en plus délétères (agriculture, industrie, pêche, etc.). Souhaitons également que le texte final soit endossé au plus haut niveau politique, afin de rendre redevable l’ensemble des acteurs concernés, et pas seulement les ministères de l’Environnement.
Une vision, c’est également ce que devrait proposer le cadre mondial post-2020 sur la biodiversité, dont l’adoption est prévue lors de la 15e Conférence des Parties (COP 15) de la Convention sur la diversité biologique (CDB), qui se tiendra en octobre 2020 à Kunming, en Chine. Il s’agira notamment de renouveler les Objectifs d’Aichi (2010-2020), arrivés à échéance et pour beaucoup non atteints. L’Océan devrait y avoir toute sa place et les négociations en cours portent notamment sur un pourcentage de couverture d’aires marines protégées (30 % d’ici 2030 ?) et la protection d’écosystèmes spécifiques (récifs coralliens, mangroves, etc.). Mais l’histoire montre que la fixation d’objectifs ambitieux ne constitue pas un remède miracle pour sauver la biodiversité, et il faudra donc que les autres piliers de l’Accord de Kumming soient suffisamment robustes pour permettre de ralentir, sinon d’inverser, la tendance actuelle. Et que les causes sous-jacentes de la perte de biodiversité, et les politiques sectorielles y contribuant, soient pleinement intégrées à la future stratégie.
Au-delà de ces grand-messes, on attend aussi, et peut-être surtout, l’aboutissement de deux processus intergouvernementaux initiés il y a plusieurs années. La haute mer pourrait tout d’abord se voir conférer un régime spécifique, à travers un instrument international juridiquement contraignant. Voilà près de quinze ans que les États discutent de la conservation et de l’utilisation durable de la biodiversité dans cette zone représentant près de la moitié de la surface de la planète, et les regards se tournent aujourd’hui vers la prochaine réunion de négociation, prévue fin mars, censée aboutir à la finalisation du traité. Beaucoup présument qu’un ou deux rounds de négociation supplémentaires pourraient être nécessaire, mais 2020 constituera sans nul doute une marche importante vers le futur traité.
L’année pourrait également être marquée par l’aboutissement des négociations sur les subventions à la pêche, lancées à Doha en 2001 dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et aujourd’hui menées dans un climat constructif. Un accord « sur des disciplines globales et effectives qui interdisent certaines formes de subventions à la pêche contribuant à la surcapacité et à la surpêche, et qui éliminent les subventions contribuant à la pêche [illégale] » pourrait ainsi être adopté lors de la conférence ministérielle de l’OMC organisée du 8 au 11 juin à Nur-Sultan, au Kazakhstan. On estime aujourd’hui que 35 milliards de dollars sont accordés chaque année au secteur de la pêche, la moitié contribuant à la surexploitation des ressources et les trois-quarts bénéficiant à des flottes industrielles. C’est donc peu dire qu’un tel accord, mettant en œuvre l’ODD 14-6, soulagerait l’Océan et pourrait permettre de rediriger les flux financiers vers des pratiques plus durables et équitables. Si 2020 ne devait aboutir qu’à une seule décision, celle-ci serait déjà une immense avancée.
On suivra également de près : le Congrès mondial de la nature de l’UICN, où les débats sont souvent riches et les résolutions parfois précurseuses de l’avancée du droit international ; l’élaboration du Règlement relatif à l’exploitation des ressources minérales dans la Zone, ressources dont la possible exploitation inquiète de plus en plus de scientifiques et d’ONG ; les discussions autour d’un possible traité sur le plastique, dont on peine encore à voir la valeur ajoutée ; la traditionnelle Conférence Our Ocean, dont le soufflé semble retomber au fil des éditions ; les velléités toujours plus grandes de développer des routes maritimes en Arctique ; les promesses d’un Green Deal européen pas encore soluble dans la politique des pêches ; et la COP 26 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques à Glasgow, qui constituera « la » véritable « Blue COP » si les États rehaussent effectivement leur ambition de réduction des émissions de gaz à effet de serre – condition essentielle pour limiter les impacts du changement climatique sur l’Océan et les populations qui en dépendent.
Une année riche, donc, incontestablement marquée par de nombreuses opportunités. Retenons néanmoins que l’Océan est indifférent aux conférences et aux déclarations, et que l’année 2020 devra être évaluée à la lumière des accords adoptés et non des promesses faites. À cet égard, un Accord de Nur-Sultan donnant des garanties pour une suppression à brève échéance des subventions contribuant à la surexploitation des stocks de pêche, une COP 26 voyant une augmentation de l’ambition climatique vers un niveau conforme à l’objectif de l’Accord de Paris et l’adoption d’un traité sur la haute mer feraient incontestablement de 2020 une « super année » pour l’Océan.