2024 s’annonce comme une année de préparation d’échéances clés attendues en 2025. Dans un contexte géopolitique tendu et dynamique, avec un agenda électoral sans précédent à l’échelle mondiale, les opportunités devront donc être saisies, au niveau de la communauté internationale comme celui des pays. Ce billet de blog recense et analyse les principaux enjeux d’une année de transition cruciale pour l’avancée du développement durable.
De 2024 à 2025, des opportunités à saisir
2024 marquera le début de la mise en œuvre et de l’approfondissement des efforts décidés pour le développement durable ces dernières années, qu’ils aient émergé des décisions de la conférence d’Addis Abeba sur le financement du développement, de l’adoption de l’Agenda 2030 pour le développement durable ou de l’Accord de Paris sur le climat en 2015 ou, plus récemment, de l’accord de Kunming-Montréal sur la biodiversité (2022) et du traité international de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité en haute mer (2023). Cela pourra être observé en de nombreuses occasions, comme lors du Sommet de l’avenir convoqué par Antonio Guterres en marge de l’Assemblée générale des Nations unies pour renforcer le système multilatéral et accélérer la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD), et lors de la COP 16 sur la biodiversité, première COP de mise en œuvre de l’accord de Kunming-Montréal, prévue fin octobre en Colombie.
2024 est aussi une année de préparation d’échéances clés attendues en 2025. C’est le cas de la conférence « Addis +10 » sur le financement du développement durable, qui aura lieu en Espagne ; comme en 2015, elle sera essentielle pour déclencher la confiance et l’action, et bénéficiera d’un effort soutenu sur la réforme de l’architecture financière internationale enclenché depuis 2023 ainsi que d’une présidence brésilienne du G20 en 2024 très engagée à ce sujet. En 2025 également, les nouvelles contributions nationales des Parties (NDCs) doivent être soumises en vue de la COP 30 sur le climat, aussi présidée par le Brésil ; elles devraient faire l’objet d’annonces politiques dès début 2025, lors d’un Sommet dédié convoqué par le Secrétaire général des Nations unies. En juin 2025, Nice accueillera la Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC). Enfin, les processus lancés en 2022 pour négocier un traité sur les plastiques et l’établissement d’un équivalent du GIEC pour les produits chimiques doivent arriver à échéance en 2025.
Il y a donc un enjeu particulier à ce que 2024 joue pleinement son rôle de charnière et que les opportunités qu’elle offre soient saisies, alors même que les questions de mise en œuvre, d’approfondissement et de préparation d’échéances futures sont rarement aussi attractives que le lancement de nouvelles initiatives. C’est un enjeu de taille dans un contexte géopolitique pour le moins dynamique, avec un agenda électoral sans précédent. En Europe notamment, l’environnement, parfois relégué à un facteur exogène, voire utilisé comme un repoussoir, devra trouver sa place au cœur de débats structurés autour de questions socio-économiques (pouvoir d’achat, migration, etc.), importantes mais qui sont souvent abordées en opposition aux questions environnementales et mériteraient une mise en perspective prenant en compte la durabilité (ex : comment renforcer l’accessibilité à tous d’une alimentation durable et sain ? Iddri, 2023).
Poursuivre l’avancée de l’agenda environnemental
Ceci étant dit, les pays ont commencé à se saisir de la décarbonation comme enjeu de compétitivité économique, l’épisode de la pandémie mondiale de la Covid-19 ayant à bien des égards ouvert une fenêtre d’opportunité et déverrouillé un certain nombre d’options, notamment l’utilisation à grande échelle des aides d’État. Ainsi, l’Europe et les États-Unis finissent l’année 2023 en s’étant dotés de larges programmes visant à soutenir les efforts de transition verte avec le vote de l’Inflation Reduction Act (IRA) fin 2022 aux États-Unis et l’approbation par le Parlement européen du Net-Zero Industry Act (NZIA) en novembre 2023. La Chine a par ailleurs mis à jour son catalogue guidant la restructuration de l’industrie, avec un accent plus fort sur les technologies vertes. Le Brésil a aussi présenté à la COP 28 son plan de transformation écologique, indiquant que d’autres pays émergents s’engagent aussi dans cette voie. Si la poussée de cet agenda économique constitue une opportunité, elle soulève le double défi de conduire effectivement à une transformation des systèmes productifs et sociaux à la hauteur des enjeux environnementaux, et de trouver un équilibre international des chaînes de valeurs, notamment dans l’inclusion des pays tiers, pour lesquels cette transformation doit également représenter une opportunité de développement.
À l’échelle multilatérale, le cadre international sur la biodiversité a été renforcé, avec notamment l’adoption d’objectifs chiffrés et mesurables à la COP 15 de décembre 20221 (Iddri, 2023). L’enjeu d’ici à la COP 16 est la soumission par les pays de stratégies et plans d’action nationaux pour la diversité biologique (SPANB) avec des objectifs alignés avec les cibles de Kunming-Montréal, s’accompagnant de plans de financement de la biodiversité précis.
Sur le plan climatique, le premier Bilan mondial (Global Stocktake), prévu par l’Accord de Paris, a abouti fin 2023 à la COP 28, portant l’ambition de former une base commune de compréhension des enjeux clés en matière d’atténuation, d’adaptation et de financement. Si ces résultats ont été commentés dans un sens et son contraire (Iddri, 2023), la COP 28 a permis d’envoyer des signaux non négligeables sur les objectifs en matière de développement des énergies renouvelables (triplement des capacités), d’efficacité énergétique (doublement du taux annuel moyen mondial) et d’une transition hors des énergies fossiles. Il s’agit à présent pour les pays d’intégrer ces directions dans le renouvellement de leurs contributions nationales (NDCs en anglais), qui devront être les plus précises possibles quant aux transformations sectorielles mises en œuvre.
Si en 2024 les pays doivent donc retourner à leurs feuilles de route pour intégrer les résultats des accords internationaux (et ainsi contribuer au dynamisme de la coopération internationale), cette année offre aussi des opportunités pour que l’agenda environnemental infuse dans les sphères économiques connexes. Axé sur le thème « Reconstruire la confiance », le Forum de Davos de cette semaine s’est donné comme l’un de ses quatre thèmes principaux la stratégie de long terme pour le climat, la nature et l’énergie. En février, la 13e conférence ministérielle de l’OMC, présidée par les Émirats arabes unis, devrait être nourrie par la réforme en cours de l’institution et notamment par les réflexions sur commerce et soutenabilité environnementale.
Les opportunités sont tangibles, mais peuvent aussi se heurter à un contexte macro-économique et géopolitique adverse.
Un contexte macroéconomique difficile
La sortie de la pandémie de Covid-19 s’est trouvée gravement entachée par une crise énergétique profonde, conséquence de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, créant par ricochets les conditions d’un ralentissement économique mondial généralisé, via l’augmentation de l’inflation et des taux d’intérêt. Cette toile de fond économique et géopolitique n’a fait que se complexifier depuis, les rapports entre blocs se tendant, à la suite notamment du déclenchement de la guerre entre le Hamas et Israël, et débordant entre autres dans le cadre des négociations internationales en cours, notamment sur celles liées au financement du développement et de la lutte contre le changement climatique.
Cette dynamique internationale a des impacts d’ordre structurel, notamment via la pérennisation d’un scénario au fil duquel la succession rapide de crises devient la norme, et via une reconfiguration de l’ordre économique mondial allant avec la remise en cause du multilatéralisme tel qu’on le connaît depuis quasiment un siècle. Elle a aussi des effets conjoncturels importants – notamment quand elle génère des ruptures de chaînes de valeur à répétition, de l’inflation et une hausse des taux d’intérêt – qui « forcent » les politiques à des interventions de court terme (pour protéger consommateurs et PME de la hausse des prix de l’énergie par exemple).
Ainsi, 2024 et les années à venir présentent des défis importants pour les politiques publiques, quel que soit l’échelon considéré – national, européen ou international. Dans un contexte où les risques géopolitiques pèsent sur les anticipations économiques et ne permettent pas de prévoir une baisse rapide des taux d’intérêt2 , les pouvoirs publics vont être sous pression pour gérer l’accroissement des dettes publiques tout en œuvrant à des plans budgétaires de moyen terme qui répondent aux enjeux simultanés que représentent les évolutions structurelles de fond telles que le vieillissement démographique ou la révolution numérique, les besoins de défense, la transition climatique et plus généralement les besoins de développement durable et de solidarité internationale. Face à cette pression sur les dépenses publiques, l’accroissement des taux d’intérêt a renchéri le coût des investissements nécessaires pour la transition des entreprises existantes et des ménages, ne permettant pas d’espérer une substitution majeure des financements publics par des financements privés.
Ces enjeux nationaux nourrissent les tensions internationales qui nuisent à la coopération – notamment en renforçant la concurrence pour l’investissement et les financements qui vont aller là où les risques sont moindres et les rendements plus élevés, très certainement au détriment des pays les plus vulnérables qui en auraient le plus besoin. Ces enjeux de financement seront d’autant plus au centre de l’attention que l’année 2024 devrait être celle de la négociation du New Collective Quantified Goal on Climate Finance, dont l’enjeu est le suivi et la montée en ambition de l’objectif des 100 milliards de dollars par an, qui devraient finalement être mobilisés en 2023.
Dans ce contexte volatile et de renouvellement des engagements sur une multitude de fronts du développement durable, l’évolution de l’environnement politique est un point d’attention particulier, de nature lui aussi à renforcer ou compromettre les bases de la coopération internationale. Des élections présidentielles ou parlementaires sont attendues en 2024 dans une cinquantaine de juridictions (y compris en Europe et aux États-Unis), pour ce que The Economist a appelé “the biggest election year in history”.
Une vague de fond de recomposition géopolitique
En plus de ce contexte macroéconomique qui rogne les marges de manœuvre des pays et des acteurs pour la transition, l’évolution des rapports de force et donc du contexte de coopération entre pays affecte l’ambiance géopolitique.
Cette évolution entérine des tendances démographiques et économiques de long terme. De fait, le poids démographique, économique et politique des pays à haut revenu recule au profit de l’Asie et des pays émergents, changeant les rapports de force internationaux. L’Europe, en particulier, est inéluctablement poussée à assumer l’affaiblissement de son pouvoir tant économique que démographique et politique, même si son marché commun reste l’un des plus importants du monde, et à chercher à renouveler ses formes d’influence par d’autres moyens, notamment par des alliances stratégiques.
L’évolution des rapports de force est importante et rapide. Elle se manifeste autant par des phénomènes tels que les nouveaux « non alignés » depuis le début de la guerre de la Russie en Ukraine que par de nouvelles propositions en matière de gouvernance internationale, comme la création de la New Development Bank en 2014, présentée comme une alternative à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international.
Mais les recompositions ne se jouent pas uniquement entre un « bloc Ouest » et un « bloc Sud ». On observe en réalité des mouvements contrastés au sein d’un monde de plus en plus multipolaire. Les nouvelles alliances, nombreuses, sont parfois des alliances d’opportunité, comme on l’a vu avec l’entrée dans le groupe des BRICS de 6 nouveaux pays (Argentine, Égypte, Iran, Éthiopie, Arabie saoudite, Émirats arabes unis) aux visions pour le moins contrastées, dont certains sont même en conflit ouvert. Par ailleurs, les enjeux et préoccupations des pays émergents diffèrent de ceux des pays les moins avancés et/ou vulnérables et si ceux-ci s’unissent parfois pour mieux peser, par exemple dans les négociations multilatérales sur le climat ou la biodiversité, cela cache souvent des volontés politiques très différentes.
En tous cas, en assumant successivement la présidence du G20 (Inde en 2023, Brésil en 2024, puis Afrique du Sud en 2025), les grands pays émergents ont une opportunité unique d’influer sur l’agenda international.
Mais en effet, dans ce contexte, le risque est que les grands perdants soient surtout les pays à bas revenu, qui ont été particulièrement touchés par la pandémie et qui expriment ce qu’ils ressentent comme un « double standard » de la part des pays occidentaux. C’est le cas, par exemple, lorsqu’ils observent l’écart entre l’ampleur des plans de relance post-pandémie aux États-Unis et en Europe et la faiblesse des flux financiers vers les pays à bas revenu, notamment dans le cadre de l’aide publique au développement (CNUCED, 2023).
Dans ce contexte, une vague de fond est à l'œuvre pour réclamer davantage d’équilibre dans les relations Nord/Sud ; en témoigne l’appel à une réforme du système financier international, voire, de la part des anciens pays colonisés, à des réparations. Ces demandes doivent être entendues, ce qui ne veut pas dire qu’elles doivent être acceptées telles quelles.
D’autant que l’Europe risque de nouveau de se retrouver sur la sellette, sous pression interne et externe de fournir des financements en direction de multiples priorités tout en répondant aux critiques des pays tiers sur son « activisme » réglementaire vert (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières adopté en mars 2023, règlement de lutte contre la déforestation importée adopté en mai 2023, directive sur le devoir de vigilance des entreprises en cours d’adoption, etc.) présenté, parfois hâtivement ou tactiquement, comme un nouveau protectionnisme. Un nouvel équilibre doit donc être recherché, fait d’écoute et de changements clairs d’attitude, tout en cherchant à faire en sorte que chacun coopère à la hauteur de ses capacités dans la transformation de l’économie mondiale. C’est le projet auquel l’Iddri s’attelle et continuera de s’atteler dans les années à venir.
- 1 Réduction par 10 d’ici à 2050 du taux et du risque d’extinction de toutes les espèces ; restauration effective, d’ici 2030, d'au moins 30 % des écosystèmes terrestres, d'eaux intérieures, côtiers et marins dégradés ; établissement de réseaux d’aires protégées couvrant 30 % des terres et 30 % des mers.
- 2 OECD Economic Outlook https://www.oecd.org/economic-outlook/november-2023/