Pour la première fois depuis la création de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), il ne devrait pas y avoir de Conférence des Parties (COP) cette année, la présidence chilienne ayant souhaité décaler la tenue de la COP 25 à janvier 2020. Pourtant, 2019 est affichée comme l’année de l’ambition climatique, à travers plusieurs évènements marquants, dont le point d’orgue sera le Sommet climat organisé par le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres le 23 septembre prochain à New York.
2020 : une échéance incontournable pour remettre l’ambition sur les rails
Selon l’Accord de Paris sur le climat, les pays doivent renouveler ou réviser à la hausse, d’ici à la fin 2020, leurs engagements climat (appelés « contributions déterminées au niveau national », NDCs en anglais) soumis en 2015. Ceux-ci doivent représenter une progression par rapport à leur précédente copie, et correspondre au « niveau d'ambition le plus élevé possible » (Article 4.3). Afin que chaque pays soit en mesure de présenter de nouveaux engagements dans les dix-huit prochains mois, ils devront consacrer l’année 2019 à s’y préparer, en particulier à travers des processus nationaux de dialogue et de concertation visant à élaborer des stratégies de transition bas-carbone à long terme qui donnent leur cohérence à ces étapes successives. D’où partons-nous réellement aujourd’hui pour donner corps à ce mécanisme de l’ambition ?
La dernière conférence climat – la COP 24, qui s’est tenue à Katowice en Pologne en décembre 2018 – a manqué le coche en termes d’ambition : elle n’a su répondre ni à l’urgence scientifique ni à l’inquiétude des populations, ni créer une réelle impulsion politique vers un approfondissement et une accélération de l’action climatique. Trop peu a été fait pour mettre cette question de « l’ambition » et de son relèvement au cœur des débats l’an dernier, puisqu’elle ne figurait pas au rang des priorités affichées par la présidence polonaise. Rien de plus qu’un appel conjoint des présidences fidjienne et polonaise à faire davantage, à l’issue du « Dialogue de Talanoa », exercice formel visant à faire le point sur les efforts globaux. Seules les Îles Marshall, un des plus faibles émetteurs du globe, ont soumis leur deuxième NDC en amont de la COP 24, alors que seule une poignée d’autres pays ont à ce stade indiqué leur intention de revoir leur copie, comme la Nouvelle Zélande et quatorze pays européens à travers la déclaration de Luxembourg.
Des événements dédiés à l’ambition
Le sommet convoqué par Antonio Guterres vise à pallier cette situation en mettant les chefs d’État et de gouvernement devant leurs responsabilités. En offrant une plateforme de haut niveau à des initiatives concrètes visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre et à renforcer la résilience, et en rassemblant les gouvernements, le monde de la finance et de l’entreprise ainsi que la société civile, le secrétaire général espère générer un élan international, lequel se traduirait par des politiques nationales plus ambitieuses et des engagements de long terme cohérents avec une limitation de la hausse des températures à 1.5°C. Si le nombre de pays qui arriveront avec de nouveaux engagements fermes reste encore incertain, ce sommet vise à démontrer, une fois de plus, les nombreuses actions possibles dans des secteurs clés à fort potentiel afin d’atteindre les objectifs globaux. Des couples de pays « champions » et des institutions ont ainsi été désignés volontaires afin de conduire cette dynamique sur des thèmes tels que la transition énergétique (Danemark/SE4All), la transition industrielle (Inde) ou la finance climat (France/Jamaïque).
L’un des enjeux de ce sommet sera d’éviter une redite de celui qui s’était tenu il y a cinq ans à l’invitation du précédent secrétaire général, Ban Ki-moon : un an avant la COP 21, l’enjeu était de convaincre les gouvernants que non seulement les solutions techniques pour lutter contre le changement climatique existaient et étaient viables économiquement, mais aussi que les entreprises et les citoyens étaient prêts à s’engager dans cette transition bas-carbone, afin qu’ils scellent notre destin collectif dans un traité international. Cinq ans plus tard, l’enjeu n’est plus celui-là, puisque les opportunités de faire cette démonstration sont nombreuses et fréquentes, à l’instar du Sommet global pour l’action climatique (Global Climate Action Summit ou GCAS) s’est tenu en septembre 2018 en Californie. L’objectif est désormais de démontrer une cohérence entre les paroles et les actes, entre l’objectif collectif que s’est fixé la communauté internationale et le déploiement des politiques nationales.
Le One Planet Summit, porté par la France depuis 2017, s’inscrit dans cette dynamique – dépasser les ajustements marginaux et enclencher une véritable transformation systémique –, qui se déclinera en 2019 lors de deux événements qui pourront nourrir le sommet onusien : le premier en mars à Nairobi (Kenya) en marge de l’Assemblée des Nations unies pour l’Environnement, le second à Biarritz (France) en août en marge du G7. Une nouveauté cette année : la constitution d’un groupe consultatif de haut niveau, appelé One Planet Lab1 , réunissant des personnalités influentes du monde des affaires, des institutions financières internationales et du monde universitaire, afin d’enrichir les futurs One Planet Summits de propositions novatrices pour la coopération internationale, non seulement en matière de finance durable mais également en termes d’action pour relever simultanément trois défis liés : la lutte contre le changement climatique, et la préservation de la biodiversité et des océans.
Concrétiser l’ambition
Ces échéances marquantes se dérouleront parallèlement à la sortie de deux nouveaux rapports spéciaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) : l’un sur les interactions du climat avec les terres, leurs changements d’usage et la foresterie, en août ; l’autre sur les océans et la cryosphère (c’est-à-dire les zones où l’eau est présente à l’état solide), en septembre. Ces rapports traiteront à la fois des impacts majeurs du climat sur ces écosystèmes et de la contribution qu’ils ont et pourraient avoir pour atténuer ses effets, ou favoriser l’adaptation. En outre, c’est dans la perspective d’une véritable neutralité à l’échelle globale qu’il faudra également suivre avec attention cette année les travaux du SBSTA (organe de conseil scientifique et technologique de la CCNUCC), qui devront notamment déboucher sur l’adoption des règles sur les nouveaux mécanismes de crédit carbone internationaux à la COP25, introduits dans l’article 6 de l’Accord de Paris. On peut espérer que ces contributions importantes de la science pour relier les menaces environnementales entre elles, combinées aux mobilisations citoyennes qui sont déjà à l’œuvre, constitueront un électrochoc pour pousser l’ensemble des acteurs, gouvernements et entreprises, vers plus d’ambition.
Pour que cette ambition se concrétise, la nécessité d’intégrer pleinement les questions de solidarité et de justice sociale au cœur des politiques climatiques s’est imposée en 2018, consacrée à la COP 24 par la Déclaration de Silésie sur la « transition juste », mais aussi plus largement à travers des mobilisations sociales et citoyennes comme celle du mouvement des gilets jaunes en France. Il est désormais clair que la prise en compte de ces inquiétudes et de ces revendications est nécessaire si l’on veut éviter que la transition ne déraille avant même d’avoir débuté. La réponse politique nationale à cette lame de fond devra être suivie cette année, dans l’accompagnement des politiques de transition énergétique en Allemagne ou en Afrique du Sud, lors du grand débat national en France qui pose notamment la question du rôle de la fiscalité, ou dans l’émergence d’une nouvelle plateforme politique chez les démocrates américains autour d’un Green New Deal alliant État-providence, croissance et écologie. En clair, les échéances internationales importantes ne manquent pas cette année. Reste maintenant à faire émerger des propositions et engagements à la fois concrets et crédibles, mais aussi et surtout ambitieux, c’est-à-dire cohérents avec l’atteinte de la neutralité carbone au milieu du siècle, et acceptables par une large majorité de citoyens, sans quoi les recommandations de la communauté scientifique demeureront un mirage hors d’atteinte.
- 1L’Iddri et I4CE ont été mandatés par le ministère de la Transition écologique et solidaire français pour assurer le secrétariat scientifique du One Planet Lab.