L’objectif de « moins de +2°C, voire +1,5°C » ne peut être qualifié de souhaitable qu’à la condition que les sociétés soient adaptées aux impacts inévitables d’un tel réchauffement.

Il est admis que la COP21 a été un succès, d’abord parce que tous les pays ont joué le jeu des « contributions nationales volontaires » (INDCs en anglais), ensuite parce que les négociateurs se sont entendus autour de l’objectif très ambitieux de limiter le réchauffement moyen de la planète à moins de 2°C d’ici la fin du siècle, voire à 1,5°C (par rapport à la fin du XIXe siècle).   Un autre succès de la COP21 est cependant passé inaperçu, bien qu’il représente une avancée fondamentale pour le devenir de nos sociétés. L’Accord de Paris invite en effet la communauté internationale à développer un « objectif global d’adaptation » (Global Adaptation Goal). C’est un tournant notable dans les négociations climatiques, qui marque la prise de conscience internationale de la nécessité de dépasser la simple question historique du financement de l’adaptation des pays du Sud par les pays du Nord. Le questionnement est plus fondamental : l’objectif de « moins de +2°C, voire +1,5°C », marqueur des discussions sur le volet « atténuation des émissions de gaz à effet de serre », ne peut être qualifié de souhaitable qu’à la condition que les sociétés soient adaptées aux impacts inévitables d’un tel réchauffement, même inférieur aux scénarios à fortes émissions comme le RCP8.5 du Giec, qui mènerait à un réchauffement de l’ordre de +4°C. Autrement dit, l’équation d’un futur durable ne peut se limiter à la mesure des progrès en matière d’atténuation, et il est indispensable d’apporter une réponse à une autre question : « sommes-nous, en tant qu’humanité, sur la voie de l’adaptation ? ». Et c’est ce que propose indirectement l’Accord de Paris lorsqu’il suggère de réaliser un « bilan global » (Global Stocktake) sur les progrès en matière d’adaptation. Ce premier pas ayant été franchi, les enjeux se concentrent désormais sur les modalités d’un tel exercice à l’échelle globale. L’exercice est délicat, en particulier parce qu’il se doit de respecter le principe des « circonstances nationales » selon lequel les spécificités des situations de chaque pays doivent être reconnues. C’est un point majeur pour permettre l’adhésion de chaque Partie au processus global.   Dans un article paru le 10 juin dans la revue Science, l’Iddri identifie trois défis que les négociations climatiques post-2015 vont devoir relever.

  • D’abord, il va falloir construire une vision partagée entre tous les pays de ce que « l’adaptation » signifie. Loin des discussions conceptuelles de la communauté scientifique, il s’agit ici de promouvoir une vision relativement simple dont l’objectif premier sera de servir d’attracteur politique, de ciment aux discussions entre les pays. C’est l’histoire qui a été écrite sur le volet atténuation : l’émergence d’un objectif mondial d’atténuation, sous la forme du +2°C de Copenhague, et désormais du « moins de +2°C » de Paris, a progressivement permis d’impulser des dynamiques d’atténuation dans chaque pays. Les INDCs, mêmes imparfaites, en sont l’un des fruits. L’adaptation a besoin d’une telle « vision », appréhendable (autant politiquement que scientifiquement) et opérationnelle.
     
  • La mesure des progrès des pays en matière d’adaptation constitue un deuxième défi. Une condition préalable ici est de parvenir à définir une batterie d’indicateurs qui permettra à chaque pays, comme il le fait sur l’atténuation, de faire état de ses avancées et difficultés au regard de ses spécificités nationales. Agrégés, ces bilans nationaux autoriseront une évaluation à l’échelle globale qui, elle, permettra de répondre à la question précédente : sommes-nous, en tant qu’humanité, sur la voie de l’adaptation ? La définition de ces indicateurs doit-elle venir de la communauté scientifique ou de celle des négociations ? C’est un point à débattre, mais une chose est certaine : ces indicateurs n’auront de sens que s’ils sont à la fois acceptables politiquement (appropriation par les pays) et robustes scientifiquement (cohérents par rapports aux impacts du changement climatique).
     
  • Le dernier défi consiste à anticiper les barrières politiques qui pourraient d’intervenir dans le processus de cadrage de cet objectif global d’adaptation. Par exemple, des pays en développement pourraient être réticents à faire état de leurs progrès dans la mise en œuvre de l’adaptation, selon la manière dont ces progrès seront entendus et traités par la communauté internationale : faut-il privilégier le soutien financier aux pays qui démontrent les progrès les plus modestes ? Ou plutôt encourager ceux qui montrent des résultats plus prometteurs ? Un autre exemple : un pays développé pourrait être réticent au processus, par peur que les résultats donnent matière aux échelles infranationales pour réclamer davantage d’efforts à leurs gouvernements, voire pour réclamer des compensations.
    Là encore, et l’histoire de l’atténuation dans les négociations climatiques l’a démontré, une approche globale doit être privilégiée, et les barrières politiques levées. Dans cette perspective, la science a un rôle important à jouer, en démontrant la pertinence d’un cadre de coopération internationale sur l’adaptation et au travers de l’analyse approfondie – et encore balbutiante – des impacts de la non adaptation ou de la maladaptation à l’échelle d’un pays et au-delà de ses frontières.
     

Références