L'urgence climatique, démontrée sans ambiguïté par les scientifiques, commence à prendre une part importante dans les débats publics et les décisions politiques ou économiques. Pour parvenir à décarboner l'économie, les États, comme les entreprises, doivent avoir une vision claire de la trajectoire de long terme de leur territoire ou de leur secteur et des changements que cela implique, vision qu'il convient de construire en passant par un dialogue au sein de la société. Cette projection vers l'avenir permet d'éclairer les mesures et actions nécessaires à court terme. Le réseau de recherche mondial Deep Decarbonization Pathways, coordonné par l'Iddri, publie dans Nature Climate Change un article scientifique proposant une méthodologie que ces acteurs peuvent adopter.
L'horizon commun de tous ceux qui ont conscience de l'urgence consiste à limiter le réchauffement en deçà de 2 °C, et même de 1,5 °C, comme le préconise le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). Pour ce faire, l’objectif fixé dans l’Accord de Paris sur le climat d’atteindre la neutralité carbone en 2050 impose de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, étant donné que les puits de carbone sont pour l’essentiel limités, que leur capacité de stockage futur pourrait elle-même être obérée par le réchauffement et que les technologies de capture et stockage du carbone sont encore hypothétiques car loin d’être opérationnelles à l’échelle nécessaire, il n’y a d’autre choix que de commencer à réduire les émissions de carbone, le plus vite possible, partout où cela est possible, et de viser à terme de cesser d’en émettre.
Cette évidence ne doit pas être paralysante au motif que les objectifs seraient en rupture complète avec le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui. Décarboner l’économie est possible, à condition de commencer, dès aujourd’hui, à l’échelle de chaque pays et de chaque entreprise, dans tous les secteurs (bâtiment, transports, énergie, production industrielle, alimentation, distribution, etc.). Cette perspective ne doit pas non plus être démobilisante au motif que les objectifs seraient lointains, car les décisions prises aujourd’hui vont conditionner largement notre capacité à atteindre l’objectif de long terme tout en préservant les perspectives de développement socio-économique.
Des chercheurs du monde entier, réunis au sein du réseau Deep Decarbonization Pathways, ont travaillé depuis 2014, sous la coordination de l’Iddri, à définir des « trajectoires de décarbonation profonde de long terme ». Ces chercheurs, actifs dans une quarantaine de pays, publient aujourd’hui un article scientifique dans Nature Climate Change afin de partager leur méthodologie et d’inviter les décideurs à s’en saisir. Chaque État, chaque entreprise peut s’adosser à la démarche proposée pour se doter d’une stratégie adaptée à chaque territoire – en fonction de ses spécificités démographiques, de ses ressources, défis et opportunités, de ses besoins de développement et de sa réalité socio-économique – qui permette d’éclairer de manière efficace les décisions à prendre aujourd’hui afin de se projeter dans un monde décarboné à l’horizon 2050.
Il s’agit de déterminer, à l’échelle adéquate (nationale, filière industrielle, etc.), plusieurs scénarios possibles permettant d’atteindre l’objectif global. Ces scénarios ne doivent pas être seulement un outil d’experts mais doivent parler le langage des décideurs et de la société afin d’alimenter un large débat. Comme un fil à tirer entre le court terme et l’effet à long terme, comme une articulation pertinente entre l’échelle nationale et l'objectif mondial de l’Accord de Paris, il faut que les transformations nécessaires soient clairement énoncées, afin que la société dans son ensemble comprenne où elle va et par quels moyens elle peut y parvenir.
C’est à travers ce débat, sociétal par essence, que peuvent être proposées et décidées des mesures de court terme, s’appuyant par exemple sur des modèles climatiques, compatibles avec les stratégies de long terme. Notamment, les États signataires de l’Accord de Paris se sont engagés à soumettre de nouvelles « contributions » à l’action internationale d’ici à la fin 2020. Pour ce faire, ils doivent pouvoir définir des plans d’action, qui consistent à profiler les outils, instiller les changements, favoriser les bonnes pratiques, développer les innovations, flécher les investissements et mettre en place la fiscalité qui permettront d’envisager le temps long non pas comme une chimère, rêve ou cauchemar inatteignable, mais comme des escaliers dont il est nécessaire de commencer, dès maintenant, à gravir les échelons, en évitant toute décision qui obèrerait les chances d’atteindre l’objectif.
Dessiner des chemins possibles, les partager et les mettre en débat permet également d’évaluer l’effet des premières décisions engagées et de corriger le tir si nécessaire, ce qui constitue une condition importante de la réussite. Chacun doit pouvoir participer à l’évaluation des résultats obtenus, en gardant en tête une représentation du but de l’action que chacun, pour sa part individuelle ou par sa place dans le collectif, entreprend.
Ces stratégies de long terme pour une décarbonation profonde sont un instrument au service de la construction d’un projet de société partagé qui réconcilie protection de l’environnement et justice sociale.