En janvier 2025, la Commission européenne a initié un Dialogue stratégique sur l’avenir de l’industrie automobile européenne afin de répondre aux défis urgents du secteur et de renforcer sa compétitivité dans un contexte de marché mondial en pleine mutation. Cette initiative vise à élaborer un plan d’action complet d’ici le 5 mars et intervient à un moment clé. En effet, la décarbonation des transports routiers, essentielle pour atteindre les objectifs du Pacte vert européen, nécessite d’exploiter tous les leviers disponibles : électrification des voitures et camions, sobriété, report modal, réduction de l’empreinte carbone de la production automobile, renforcement de la circularité des matériaux et amélioration de la gestion de fin de vie des véhicules. L'un des leviers majeurs de cette transition repose sur l'adoption d'une économie circulaire, qui ne doit plus être perçue comme une contrainte, mais bien comme un véritable moteur de compétitivité industrielle.

Faire de la circularité un pilier de la compétitivité industrielle

Le Pacte pour une industrie verte (Clean Industrial Deal - CID), adopté récemment par l'Union européenne, place la circularité des matériaux au cœur de la compétitivité industrielle. En réduisant l’empreinte carbone et matière des nouveaux véhicules, la circularité réduit la pression sur les ressources (en limitant l’extraction de matières premières vierges) et renforce ainsi l’autonomie stratégique de l’UE dans le secteur des matériaux critiques. Le développement d’une filière de recyclage en boucle fermée et de haute qualité doit être une priorité, avec un cadre réglementaire incitatif encourageant l’investissement dans des infrastructures de recyclage efficaces. L’objectif est de transformer une industrie du recyclage historiquement orientée vers l’élimination des déchets en une véritable industrie de valorisation des ressources, capable d’approvisionner l’industrie manufacturière européenne et ainsi de renforcer sa compétitivité et son autonomie.

Le Plan d’action pour l’économie circulaire (2020) a établi des principes de circularité qui ont ensuite été intégrés dans des réglementations sectorielles. Le Règlement batteries, par exemple, impose que les nouvelles batteries contiennent au moins 6 % de lithium et de nickel recyclés, et 16 % de cobalt recyclé d’ici 2031.

S’appuyant sur cette dynamique, le CID fixe un objectif clair : faire de l’UE un leader de l’économie circulaire d’ici 2030. Il définit l’accès aux matériaux recyclés comme un levier clé de compétitivité industrielle. Pour y parvenir, la future loi sur l’économie circulaire (trimestre 4, 2026) devrait créer un marché unique des déchets et des matières premières secondaires. Par ailleurs, le Règlement sur la circularité des véhicules et la gestion de leur fin de vie vise à améliorer l’efficacité du recyclage grâce à des exigences d’éco-conception, des quotas obligatoires de matières recyclées et des incitations renforcées à l’étape de la fin de vie.

Dans cette perspective, l’acte législatif annoncé dans le CID visant à accélérer la décarbonation de l'industrie (Industrial Decarbonization Accelerator Act ; trimestre 4, 2025) devrait introduire des quotas minimaux de contenu local et un label indiquant l’intensité carbone de produits industriels, en commençant par l’acier en 2025. Les États membres seront appelés à intégrer ces mesures dans leur fiscalité, leurs stratégies sur les marchés publics et dans des incitations aux produits bas-carbone, comme l’acier décarboné ou les batteries durables.

Dans cette perspective, la circularité constitue un enjeu clé de la réglementation européenne. Cependant, bien que le CID représente une avancée, sa mise en œuvre doit être conçue en anticipant de potentiels effets rebonds ou contournements.

Aligner circularité et compétitivité

La mise en place d’une industrie du recyclage compétitive et en boucle fermée en Europe nécessite des objectifs ambitieux d’incorporation de matières recyclées, reposant sur trois piliers/leviers principaux : des exigences de contenu local, des incitations réglementaires et une stimulation de la demande par l’investissement. Deux leviers complémentaires doivent également être envisagés : une meilleure réparabilité des produits et des limitations aux exportations de déchets pour sécuriser les opportunités industrielles en Europe.

1. Intégrer un principe de contenu local pour les matériaux recyclés

Pour que l’Europe conserve la valeur de ses matériaux recyclés, de nouveaux outils réglementaires doivent être intégrés aux réglementations existantes et futures, en particulier des labels « Fabriqué en Europe » et des quotas de contenu local.

À titre d'exemple, la filière du recyclage de l’acier doit mieux gérer la contamination au cuivre lors du recyclage des véhicules en fin de vie, car celle-ci limite la production d’acier plat de haute qualité. En effet, les fours à arc électrique (EAF), indispensables à une filière de l’acier décarboné (par la voie de la réduction directe DRI-EAF), ont une capacité accrue d’absorption de l’acier recyclé, mais sont limités par la pollution au cuivre. Il est donc crucial d’augmenter la disponibilité de ferraille d’acier à faible teneur en cuivre pour optimiser leur usage et renforcer la viabilité économique du recyclage des véhicules en fin de vie.

De même, si le Règlement batteries constitue une avancée majeure, il devrait aller plus loin en exigeant que les matériaux recyclés soient issus d’installations européennes afin :

  • de renforcer la demande pour les infrastructures de recyclage européennes ;
  • d’éviter le downcycling (« décyclage ») et préserver la valeur des matériaux ;
  • de sécuriser les investissements et limiter les risques.

En parallèle, des mesures comme la limitation des exportations de black mass permettraient d’assurer la conservation des matériaux critiques des batteries au sein des chaînes d’approvisionnement européennes. Ces restrictions limiteraient l’exportation de matériaux critiques vers des pays où le traitement est moins coûteux, mais souvent réalisé dans des conditions environnementales et sociales moins rigoureuses. En conservant des matières premières secondaires précieuses en Europe, ces mesures pourraient non seulement renforcer l'industrie du recyclage de l'UE, mais également empêcher l'exportation des coûts environnementaux et sociaux de la gestion des déchets vers d'autres régions, favorisant ainsi une gestion globale des ressources plus durable.

2. Inciter à la circularité et à la décarbonation

Un « Indice de contenu local ou vert » pourrait transformer la circularité en avantage compétitif pour les fournisseurs européens. Il serait intégré aux :

  • cadres réglementaires (Règlement batteries, Directive éco-conception) ;
  • marchés publics et incitations fiscales (bonus écologiques, obligations de verdissement des flottes) ;
  • mécanismes d’investissement (prêts Banque européenne d’investissement [BEI], Fonds d’innovation, aides d’État).

Il reposerait sur deux indicateurs clés :

  • Un « Indice de décarbonation », mesurant l’empreinte carbone des matériaux (acier, aluminium, plastiques, batteries) ;
  • Un « Indice de circularité », prenant en compte l’intégration de matériaux recyclés européens dans les véhicules et batteries.
    Ces outils permettraient d’avantager les fabricants européens et de renforcer leur position dans les marchés avec des exigences réglementaires fortes.

3. Sécuriser l’investissement grâce à la stimulation de la demande

L’intégration des exigences de contenu local peut être accélérée par l’intermédiaire des politiques fiscales nationales et des stratégies de commande publique. Par exemple, le bonus écologique français, actuellement basé sur un éco-score, pourrait inclure un critère de contenu local qui refléterait la valeur ajoutée du recyclage en Europe.

Par ailleurs, les programmes de financement européens (prêts BEI, fonds d’innovation, aides d’État) devraient prioriser l’investissement dans les infrastructures de recyclage en Europe. Cela assurerait un cadre de développement pérenne et durable au secteur.

4. Aller au-delà du recyclage : un indice de réparabilité

Au-delà de la circularité des matériaux, la réparabilité est un levier essentiel pour développer la production de composants européens. Encourager la conception de véhicules réparables et durables pourrait soutenir les objectifs de durabilité tout en créant des opportunités économiques pour les industriels européens.

Conclusion

En alignant des critères de contenu local, des incitations réglementaires tout en stimulant la demande, l’UE peut renforcer la compétitivité de l’industrie du recyclage et sécuriser ses chaînes d’approvisionnement. La construction de ce cadre stratégique permettrait non seulement de réduire la dépendance aux matières premières vierges, mais aussi de garantir la souveraineté, la durabilité et la résilience industrielles de l’Europe.