À la veille de la COP 26, la somme des contributions déterminées au niveau national était insuffisante par rapport à l’objectif de 1,5°C de l’Accord de Paris. C’est pourtant sur l’augmentation des ambitions en matière d’atténuation du changement climatique que le Pacte de Glasgow a délivré un message politique fort. Outre le texte de la décision de la COP proprement dit, les avancées se trouvent dans plusieurs accords sectoriels et multilatéraux, ainsi que dans les engagements zéro émission nette inattendus de quelques pays. Mais ces annonces vont-elles réellement déclencher des actions sur le terrain à la vitesse et l’échelle nécessaires pour atteindre l’objectif de 1,5°C ? Cette question est légitime, puisque la plupart des annonces des pays ne s’accompagnent pas de stratégies détaillées pour atteindre la neutralité, et de nombreuses initiatives et coalitions manquent de substance en termes de mise en œuvre concrète, ou ne sont pas soutenues par suffisamment d’acteurs clés. Il est essentiel de comprendre ce qui sous-tend ces annonces, aussi bien par secteur que par pays, ce qui les a rendues possibles et ce qui manque pour les rendre plus réalisables et crédibles, afin de discerner comment elles peuvent se développer et s’étendre à d’autres activités à l’avenir et dans quelles conditions elles pourraient provoquer un réel changement. Dans ce billet, nous analysons quelques exemples pour en tirer de premiers enseignements.
Annonces sectorielles
Forêts
En ce qui concerne le secteur AFAT (Agriculture, Foresterie et autre Affectation des terres, en anglais AFOLU, pour Agriculture, Forestry and Other Land Uses), 141 pays représentant collectivement plus de 90 % des terres forestières du monde ont signé la Déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres dans laquelle ils « s’engagent à travailler collectivement pour stopper et inverser la perte de forêts et la dégradation des terres d’ici 2030 ». Cette déclaration s’inscrit dans le prolongement de la déclaration de New York sur les forêts de 2014, qui n’a pas réussi à faire de progrès significatifs pour atteindre ses objectifs clés, à savoir réduire de moitié la perte de forêts naturelles d’ici 2020 et y mettre fin d’ici 2030. La déclaration de Glasgow pourrait être lue comme une tentative de donner un nouvel élan à la lutte contre la déforestation. Elle est signée par de nombreux pays possédant des fronts de déforestation actifs qui n’ont pas signé la déclaration de New York (notamment le Brésil). En outre, elle est déjà soutenue par un financement public et privé s’élevant à 19,2 milliards de dollars pour faciliter sa mise en œuvre. Toutefois, la déclaration de Glasgow laisse entrevoir plusieurs risques (par exemple, les forêts primaires pourraient être remplacées par des plantations tout en contribuant aux objectifs) et de nombreux points d’interrogation subsistent quant à la manière dont elle obtiendra de meilleurs résultats que son prédécesseur. Les enseignements tirés de la lutte contre la déforestation au cours des deux dernières décennies pourraient offrir certaines clés de réussite (les chapitres consacrés au Brésil et à l’Indonésie dans le « Rapport Ambition » de l’Iddri donnent un aperçu des approches nationales visant à réduire la déforestation). Une question clé qui se posera concerne la transformation des chaînes de valeur mondiales de matières premières ainsi que la gouvernance régionale et locale de l’utilisation des terres nécessaires pour aligner des objectifs ambitieux en matière de déforestation et le développement économique durable. Ce point ressort des inquiétudes exprimées par l’Indonésie sur le fait que le respect des engagements pris dans la déclaration pourrait affecter la capacité de développement économique du pays. Le texte lui-même ne fournit aucune piste concernant les prochaines étapes dans ces domaines – et a été critiqué pour avoir laissé dans le vague la réglementation des chaînes de valeur mondiales concernées. Pour répondre à ces questions, il faudra plutôt mener des recherches stratégiques pertinentes au niveau national sur les trajectoires de transformation à long terme intégrant les priorités nationales (voir par exemple Svensson et al., 2021).
Transport
La principale déclaration de la présidence britannique de la COP 26 concernant les transports a permis de partager un intérêt commun pour « travaill[er] pour faire en sorte que toutes les nouvelles voitures et camionnettes soient zéro émission (ZE) d’ici 2040 ou plus tôt, et au plus tard d’ici 2035 dans les principaux marchés » (soit des véhicules entièrement électriques et à l’hydrogène). La coalition est vaste, puisqu’elle rassemble 38 gouvernements (dont le Canada, le Royaume-Uni, l’Inde, le Mexique, la Turquie – mais pas les États-Unis, le Japon, l’Espagne, l’Allemagne ni la France, où se trouvent les principaux constructeurs automobiles), 45 collectivités locales et régionales (Californie, Catalogne, Rome), 11 constructeurs automobiles (dont General Motors, Ford, BYD – mais pas Toyota ni Volkswagen), des propriétaires et gestionnaires de parcs de véhicules d’entreprises, ainsi que des investisseurs et des institutions financières. Alors qu’environ 40 % des marchés automobiles mondiaux sont déjà concernés par une forme ou une autre d’objectifs en matière de véhicules ZE à l’échelle d’un pays, d’un État ou d’une ville, seuls 27 % des ventes mondiales de voitures seraient officiellement ZE selon les objectifs actuels des constructeurs automobiles fixés à l’horizon 2040 pour éliminer progressivement les moteurs à combustion interne (Zero-Emission Vehicles Factbook, BNEF, 2021). Une telle déclaration vise donc principalement à pousser les autres pays, États, villes et constructeurs automobiles à aligner leurs stratégies et à suivre cette voie. Pour soutenir cet effort, en particulier en ce qui concerne les marchés émergents et en développement, la présidence britannique a annoncé une contribution initiale de 4 millions de livres sterling au Fonds mondial pour la décarbonation des transports créé cette année par la Banque mondiale. Mais cette déclaration est-elle suffisante pour soutenir la décarbonation du transport de passagers à l’échelle mondiale ? Sachant que le coût initial des voitures électriques représente déjà un problème important dans les pays développés et que des millions de voitures à moteur à combustion interne des pays développés seront vendues sur les marchés internationaux de l’occasion, quels trains de mesures et quelles mesures politiques permettront d’atteindre ces objectifs dans les pays en développement d’ici 2040 ? La COP 26 a en outre manqué une nouvelle fois l’occasion de soutenir une coopération plus concrète pour reconnecter l’agenda du développement urbain avec la décarbonation des transports, par exemple en renforçant la nécessité de redévelopper les zones métropolitaines pour qu’elles soient moins dépendantes de la voiture.
Industrie
Par ailleurs, bien que cela ne figure pas dans le texte de la décision de Glasgow, les industries à forte intensité de GES faisant l’objet d’importants échanges commerciaux ont reçu de très bonnes nouvelles au G20 juste avant la COP et pendant la COP. L’UE et les États-Unis se sont mis d’accord sur un accord commercial cadre visant à supprimer les droits de douane imposés à leurs industries sidérurgiques respectives sous l’administration Trump et, dans le cadre de cet accord, ont annoncé qu’ils entameraient des discussions sur la manière d’inclure de manière préférentielle l’intensité des GES dans les échanges. C’est la première fois que l’intensité des GES est prise en compte dans un accord commercial, quel qu’il soit, et cela servira probablement de modèle pour le traitement des échanges de produits à forte intensité de GES. Lors de la COP elle-même, la réunion ministérielle sur l’énergie propre a annoncé que l’Inde, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Canada coopéreraient pour créer des marchés publics pilotes pour l’acier et le ciment à faible émission de GES. Il s'agit là du premier accord international de cette nature, essentiel pour l’innovation et les économies d’échelle en matière de production d’acier et de ciment à très faibles émissions. C’est probablement une conséquence de l’accord ministériel sur l’énergie propre convoqué par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) au début de l’année pour poursuivre conjointement la décarbonation de l’acier et du ciment. Cet accord s’inscrit dans le droit fil de l’appel lancé par les experts en faveur de marchés pilotes ou de niche pour les produits de base à faibles émissions de GES (création et structuration des marchés) afin de permettre aux entreprises sidérurgiques d’investir dans les 10 à 20 premières usines en vue de commercialiser la technologie de l’acier à faibles émissions de GES, après une phase réussie de R&D qui a permis de mettre au point l’option technologique nécessaire pour décarboner la plupart des industries lourdes.
Accords de multilatéralisme et engagements des pays
L’accord de transition juste de l’Afrique du Sud
Le partenariat pour une transition énergétique juste en Afrique du Sud, dans le cadre duquel les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Union européenne se sont engagés à verser 8,5 milliards de dollars pour aider à financer la transition de l’Afrique du Sud du charbon vers une « économie énergétique propre » au cours des cinq prochaines années, illustre la manière dont les engagements internationaux s’appuient sur les progrès réalisés en matière de structures de gouvernance et de travaux analytiques préparatoires dans le pays. La mise en place de la Commission présidentielle sur le climat (PCC) en Afrique du Sud a représenté un grand pas en avant en rapprochant la gouvernance de la politique climatique, l’équité et la politique économique par le biais d’un engagement en faveur d’un concept central de transition juste. Au terme de ce processus, le président s’est engagé en 2020 à renforcer la NDC et à y mentionner une « transaction de transition juste » prévoyant une « facilité de financement mixte de 11 milliards de dollars » visant à mobiliser des investissements du secteur privé pour couvrir les « coûts sociaux » de la décarbonation du système électrique et accélérer la transition. Des analyses approfondies ont été menées sur les mesures à prendre pour compenser les coûts sociaux de la transition vers l’abandon du charbon, parallèlement à un débat national avec les syndicats et autres acteurs sur la façon d’aborder les questions de redistribution de la transition. Un certain nombre de conditions essentielles étaient donc réunies pour conclure un accord à Glasgow. L’efficacité de l’accord en termes de transformation et de performances sociales et climatiques sera déterminante pour que ce type d’accord puisse servir d’inspiration dans d’autres situations. Il est également extrêmement important que ce type d’accord « polylatéral » soit bien positionné, suivi et discuté dans le cadre du processus universel de la CCNUCC, afin d’éviter que les solutions pragmatiques adoptées par un petit nombre d’acteurs ne reposent sur des rapports de force très asymétriques entre pays développés et pays en développement. Il est donc très important de continuer à analyser le fonctionnement et la performance de cet accord.
Annonces zéro émission nette
Plusieurs pays ont annoncé des objectifs « zéro émission » avant et pendant la COP, notamment de grandes économies émergentes comme l’Indonésie, l’Inde et le Nigeria. Chacune de ces annonces est porteuse d’une histoire et d’une série d’enseignements. Bien avant la COP, l’Inde a vu des entreprises publiques et privées s’engager vers la neutralité carbone, avec des stratégies, des engagements et des désinvestissements inédits de la part d’une série d’acteurs clés, y compris des objectifs zéro émission nette. Le gouvernement indonésien a mis au point une stratégie à long terme dans le cadre d’un processus participatif approfondi, guidé par une analyse détaillée des trajectoires de transition explorant différentes trajectoires techniques et socio-économiques, d’ici au milieu du siècle. Au Nigeria, le narratif que le gouvernement a commencé à développer souligne qu’une action climatique ambitieuse favorisera une économie sobre en carbone, une croissance durable et la construction d’une société résiliente au changement climatique, même si elle est perçue avec scepticisme par une grande partie de la population.
Dans tous ces pays, l’accent a été mis sur l’exploration de futurs compatibles avec l’Accord de Paris par la mise en place de bases de données scientifiques et de dialogues avec les acteurs. Il ne s’agit pas de dire que toutes les déclarations d’engagements de neutralité carbone à long terme reposent sur des bases solides, mais de fournir des éléments permettant de déplacer le curseur vers le continuum de travaux nécessaires pays par pays pour tirer parti de ces engagements dans une perspective climatique et de développement.
Quels enseignements ?
Au-delà des négociations, l’esprit de l’Accord de Paris sur le climat est d’assurer une augmentation solide et progressive de l’ambition sur la durée, qui se traduise effectivement par des actions mises en œuvre au ryhtme nécessaire. Dans cette optique, les exemples cités ci-dessus montrent que des efforts gigantesques et soutenus dans le temps sont indispensables pour préparer le terrain à la concrétisation de ce type d’ambition.
La COP 26 a montré que les progrès en matière d’ambition de l’atténuation au niveau mondial reposaient sur un mécanisme de révision à la hausse qui est notamment entraîné par l’augmentation de la capacité des pays et par la possibilité de discuter de l’ambition au-delà des chiffres d’émissions. Les capacités au niveau national permettent de mieux comprendre les transformations à venir dans toutes leurs dimensions, qu’elles soient techniques, sociales, économiques, de gouvernance, culturelles ou politiques, essentielles pour passer à l’action. Elles favorisent également la confiance entre les acteurs nationaux, renforcent la crédibilité aux yeux de la communauté internationale et facilitent l’identification des principaux leviers internationaux qui peuvent être développés dans des accords multilatéraux spécifiques.
La capacité de discuter de l’ambition au-delà des chiffres d’émissions et des NDC a un triple effet. Premièrement, elle introduit une perspective à long terme qui permet de parler des objectifs ultimes de développement et des transformations systémiques. Deuxièmement, elle permet de défricher le champ des trajectoires d’émissions pour mettre en lumière d’autres dimensions des transitions à venir. Troisièmement, elle crée des structures et des approches analytiques distinctes pour refléter la différence d’appréciation et de nature de l’engagement des acteurs, entre protection d’intérêts particuliers et exploration collective de futurs alternatifs et de leurs conséquences (Iddri, 2021).
La COP 26 s’est attaquée à une lacune importante de la boîte à outils internationale actuelle pour l’ambition climatique qui devrait contribuer à la fois à la capacité des pays et aux discussions au-delà des chiffres d’émissions. Cette lacune est l’absence de stratégies suffisamment détaillées, ambitieuses et réalisables pour saisir l’ensemble des opportunités et des contraintes de la neutralité carbone pour les différents acteurs, ainsi que le décalage important entre ces stratégies et les NDC dans la plupart des pays. Le Pacte de Glasgow établit un nouveau mandat (paragraphes 32 à 35) pour le développement et l’examen régulier des stratégies de long terme décarbonées (LT-LEDS), tout en soulignant l’importance d’un soutien accru aux pays en développement et la nécessité d’aligner ces stratégies sur les NDC. Si ce travail est effectivement repris au niveau national, son utilité en tant que mécanisme sera véritablement testée lors du Bilan mondial de 2023, lorsque les éléments de preuve et la faculté de combler les lacunes en matière d’ambition et d’action devraient se mettre en place.