L’Appel de Pékin sur la conservation de la biodiversité et le changement climatique est extrêmement bienvenu, même s’il n’est pas une surprise : comme le souligne son préambule, il est dans la droite ligne des déclarations et communiqués précédents, lors de la visite du président chinois en France en mars, et avec le secrétaire général des Nations unies en marge des sommets du G20 de Buenos Aires (décembre 2018) et d’Osaka (juin 2019). On ne peut donc pas le considérer comme une impulsion politique nouvelle, à proprement parler, mais elle est cependant essentielle.
Cette impulsion est d’autant plus importante que lors du sommet de New York sur l’action climatique en septembre dernier, les grands pays émetteurs n’avaient pas exercé leur leadership politique, en particulier l’Union européenne, la Chine et l’Inde, attendus pourtant, mais retardés chacun individuellement par des processus politiques internes, et collectivement parce que chaque pays ou région attend pour pouvoir affirmer son ambition climatique de s’assurer que les deux autres vont également le faire.
Au moment où les États Unis, comme c’était attendu, ont formalisé l’annonce de leur demande de quitter l’Accord de Paris sur le climat, la Chine et la France réaffirment leur soutien et leur attachement à cet accord, considéré comme « un processus irréversible et une boussole pour une action forte sur le climat ». Et la France, sans usurper un rôle de champion ou de leader européen qu’elle n’a pas, est cependant légitime, dans cette affirmation, pour faire part d’une ambition européenne à laquelle elle participe, en particulier dans un rôle symbolique de « garante » de l’Accord de Paris ; elle accueillera en outre en 2020 l’un des trois grands moments de la diplomatie environnementale mondiale, le Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature, à Marseille en juin, en étroite coordination avec la présidence chinoise de la COP 15 de la Convention sur la diversité biologique, qui se tiendra à Kunming en octobre.
Cet appel est avant tout l’affirmation d’un leadership politique fort pour la biodiversité, qui correspond aux engagements des deux pays d’accueillir ces deux moments clés de l’agenda international sur ce sujet l’an prochain. C’est un signal extrêmement important, indiquant non seulement que les deux pays comptent bien faire de ces rassemblements une réussite en termes d’organisation, mais aussi qu’ils visent une haute ambition en termes de résultats de négociation, celle-ci devant aboutir à un cadre de gouvernance mondial pour la biodiversité pour la période 2020-2030 (prenant ainsi la suite des Objectifs d’Aichi couvrant la période 2010-2020). La Chine n’avait pas encore été aussi claire jusqu’à maintenant à ce sujet, et l’Appel de Pékin parcourt tous les éléments clés de cette négociation, ainsi que celle sur la biodiversité en haute mer, et relie l’ambition en matière de biodiversité à celle sur le climat.
Cette priorité aussi forte donnée à la biodiversité et au climat est une bonne nouvelle. Elle s’appuie sur les résultats apportés par la science tout au long de l’année 2019 : le rapport d’évaluation mondiale de l’IPBES et les trois rapports spéciaux du Giec (1,5°C, océans et cryosphère, terres), publiés en moins d’un an, pointent en effet tous l’importance d’un bon fonctionnement des écosystèmes et de la biodiversité pour atteindre la neutralité carbone et pour pouvoir s’adapter aux impacts du changement climatique. À l’inverse, ils indiquent aussi que les impacts du changement climatique seront importants sur la biodiversité, de même que certaines solutions en matière d’atténuation du changement climatique. Il est donc crucial d’identifier les solutions fondées sur la nature comme des éléments critiques de la transformation de nos modèles de développement vers une protection conjointe du climat et de la biodiversité, mais aussi de dépister suffisamment tôt les impacts potentiellement négatifs de certaines solutions sur la biodiversité. La COP 25 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques devrait d’ailleurs, malgré son déplacement à Madrid, permettre à tous les acteurs qui avaient prévu de se mobiliser au Chili de mettre en avant l’importance des solutions fondées sur les écosystèmes ou sur l’océan, ainsi que les enjeux de croisement entre biodiversité et climat, dans les analyses autant que dans les formes de gouvernance.
En même temps que l’Appel de Pékin est signé par la Chine et la France, l’Union européenne se met en ordre de bataille pour jouer un rôle diplomatique fort dans ces négociations climatiques et sur la biodiversité. On peut en tous cas voir dans le mandat donné à son vice-président Frans Timmermans par Ursula von der Leyen un élément clé dont on pourra tenir cette nouvelle Commission européenne comptable : ambition de la loi climat en interne et ambition de la diplomatie climatique, au service d’une dynamique politique globale. Sans préjuger de la capacité du Conseil européen à s’engager suffisamment tôt en 2020 pour une action climatique forte à court terme et une ambition accrue à moyen et long termes, l’Union européenne semble se mettre en capacité d’être un des pôles clés dans le leadership politique pour l’année 2020. La nomination d’un envoyé spécial pour le climat, poste nouvellement créé à la Commission, est un signe supplémentaire d’un tel engagement. La capacité de la Chine et de l’Union européenne à s’engager mutuellement et à négocier également bilatéralement avec l’Inde un signal fort venant de ce pays en amont de la COP 26 sur le climat fin 2020 sera déterminante, mais on a ici des signaux qui étaient indispensables.
Bien sûr, on peut aussi mettre ces gouvernements européens et chinois en face de l’insuffisance de leur action nationale, en matière de biodiversité ou de climat. Mais ces deux blocs ont des raisons internes très claires pour lesquelles cette ambition environnementale est aussi dans leur propre intérêt, soit pour protéger la santé de leurs populations (pollutions de l’air, de l’eau ou des sols liées aux émissions de gaz à effet de serre et connectées aux dégradations de la biodiversité et du stockage de carbone dans les sol), soit parce que leurs économies pourraient grâce à cette ambition prendre de l’avance pour une transition indispensable. La mention du commerce dans l’Appel de Pékin, insistant sur le fait que les accords commerciaux doivent être compatibles avec l’Accord de Paris et l’Agenda 2030 pour le développement durable, est d’ailleurs tout à fait notable à cet égard, face aux errements de la guerre commerciale entre Chine et États-Unis. Si les arbitrages politiques nationaux ne sont pas toujours à la hauteur de l’ambition affichée, l’intérêt de la gouvernance mondiale qui continue de se mettre en place avec l’Accord de Paris puis avec le prochain cadre de gouvernance mondial sur la biodiversité est précisément d’engager les gouvernements à la fois les uns vis-à-vis des autres, et vis-à-vis de leurs sociétés civiles ou de leurs opérateurs économiques, comme le processus irréversible mentionné par cet Appel de Pékin.