Un partenariat industriel mutuellement bénéfique entre l'Europe et l'Afrique est depuis longtemps reconnu comme essentiel pour une action climatique efficace et l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone sur les deux continents. Cependant, malgré plusieurs initiatives, il a été difficile de trouver des mesures pratiques permettant de mettre en œuvre cette aspiration. En outre, la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis fait peser une nouvelle incertitude sur le leadership américain en matière d'industrialisation verte, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables et de l'avenir des combustibles fossiles. L'Europe et l'Afrique devraient saisir cette occasion pour mener ensemble le projet d'industrialisation verte.

Ce billet de blog a été rédigé dans le cadre de la plateforme Ukȧmȧ Afrique-Europe pour les penseurs du développement durable.

Le nouveau Pacte pour une industrie propre de l’UE promis dans les 100 premiers jours du mandat de la nouvelle Commission européenne, complété par les recommandations du rapport Draghi sur la compétitivité, offre l'occasion de repenser la philosophie et les étapes d'un partenariat plus fort pour l'Afrique en vue d'une industrialisation verte pour les deux continents. L'amélioration de la compétitivité de l'UE dans un contexte de concurrence mondiale accrue est en effet au cœur du rapport et sera la priorité de la nouvelle Commission. Cependant, bien que le rapport soit principalement axé sur le volet interne de l’UE, le Pacte pour une industrie propre devrait repenser les partenariats stratégiques avec l'Afrique. La présidente de la Commission Ursula von der Leyen a d’ailleurs reconnu cette nécessité en promettant une dimension externe du Pacte pour une industrie propre en annonçant de nouveaux partenariats propres en matière de commerce et d'investissement. Maroš Šefčovič, commissaire désigné pour le commerce et la sécurité économique, doit diriger ces nouveaux partenariats en synergie avec Jozef Síkela, commissaire désigné pour la DG Partenariats internationaux et le programme Global Gateway. Mais on ne sait pas encore comment ce nouveau contexte et ce cycle politique influeront sur les relations entre l'Afrique et l'Europe.

Surtout, il n'est pas clair dans quelle mesure ces nouveaux partenariats offriront de nouvelles conditions par rapport aux divers partenariats existants qui ont été lancés ces dernières années avec des partenaires africains autour des transitions justes, des investissements verts ou des matières premières essentielles. Nous soutenons qu'il existe un potentiel d'intensification de la collaboration pour la construction d'une politique industrielle commune et d'écosystèmes industriels avec des partenaires africains.

Les pays africains peuvent offrir une compétitivité climatique ; l'Europe en a besoin

Un point de départ pour un nouveau partenariat industriel serait de reconnaître que certains des défis actuellement débattus en Europe correspondent aux priorités africaines. Il s'agit notamment de la nécessité de s'industrialiser tout en décarbonant, de réduire le coût de l'énergie durable et de créer des compétences et des emplois verts. Ces points ont été soulevés par plusieurs dirigeants africains lors de l'inauguration de l'initiative pour une industrialisation verte de l'Afrique, sous l'égide du président kenyan Ruto. L'industrialisation verte est donc une excellente base pour renforcer le partenariat Afrique-Europe. Les points de départ et les moyens de relever ces défis sont toutefois très différents, et doivent être reconnues pour forger des alliances où l'Europe et l'Afrique deviennent des partenaires complémentaires dans la construction de chaînes de valeur industrielles vertes.

Deuxièmement, les références faites à l'Afrique dans le rapport Draghi désignent le continent comme un fournisseur potentiel mais instable de matières premières qui seront essentielles dans la course à la compétitivité en matière de technologies propres. Ce type de langage n'est pas utile, car il rappelle trop les accords post-coloniaux hâtifs et injustes qui ont profité aux élites et aux entreprises européennes, en laissant peu de valeur ajoutée à la population. Il ne permet pas d'envisager l'importance d'établir des relations de confiance à long terme, notamment en ce qui concerne la possibilité d'un partage équitable de la valeur et des emplois industriels, si la seule préoccupation est la sécurité de l'approvisionnement. Il ne fait qu'alimenter les opinions publiques des pays africains déjà en colère contre la dette historique (climatique) de l'Europe à l'égard de l'Afrique. Enfin, il ne tient pas compte des futures opportunités de marché en Afrique pour les produits intermédiaires ou finaux en provenance d'Europe et d'un scénario dans lequel les pays africains non seulement fournissent des matières premières essentielles (30 % des réserves mondiales de matières premières essentielles se trouveraient en Afrique subsaharienne), mais ajoutent également de la valeur à ces matières et fournissent des produits intermédiaires. Par exemple, l'importation de fer vert pour la production d'acier basée sur les avantages comparatifs de la Namibie et de l'Afrique du Sud serait non seulement techniquement réalisable, mais aussi économiquement saine.

Troisième point : l'Europe manque d'énergie et ne sera pas en mesure d'atteindre ses objectifs d'industrialisation verte par le biais de la délocalisation. De nombreux pays africains peuvent offrir la compétitivité climatique qui fait défaut à une UE en manque d'énergie. Il serait plus judicieux de transformer des biens industriels à forte intensité énergétique dans des pays où l'énergie sera bon marché et renouvelable (par exemple, le photovoltaïque solaire en Afrique australe pour la production d'acier) que de les produire en Europe où le coût de l'énergie est élevé et où d'autres étapes de la transformation peuvent avoir lieu. À titre d'exemple, la production d'acier primaire en Europe se fait principalement à partir de minerai de fer importé. Grâce à l'innovation technologique, les annonces du déploiement commercial de 22 fours à fer à réduction directe de l'hydrogène (HDRI) pourraient transformer les chaînes de valeur. Grâce au soutien politique, la plupart de ces fours innovants seront installés dans l'UE, alors qu'il serait possible de les implanter dans des pays disposant d'une énergie verte compétitive. L'hydrogène incorporé dans le fer briqueté à chaud (HBI) est plus facile à importer et à stocker que l'hydrogène pur et les vecteurs tels que l'ammoniac.

Enfin, les États-Unis et la Chine ont déployé des politiques d'aide publique massive qui soutiennent le développement technologique domestique, dans la perspective d'utiliser la taille de leurs marchés intérieurs pour abaisser rapidement le coût de la technologie (comme l'a fait la Chine pour le photovoltaïque) et la diffuser. Si certains États et gouvernements locaux peuvent continuer à faire avancer les projets d'énergie propre, l'engagement national des États-Unis en faveur de l'action climatique devrait vaciller. La position de Trump, telle qu'elle a été exprimée lors de sa campagne, indique un recul concernant les politiques d'énergie propre de l'ère Biden, notamment le retrait de l'Accord de Paris sur le climat et la priorité donnée à l'expansion des combustibles fossiles par rapport au développement des énergies renouvelables. Ces changements soulignent l'importance d'un partenariat industriel vert solide et stratégiquement coordonné entre l'Europe et l'Afrique. Une telle collaboration permettrait aux deux continents de poursuivre plus efficacement leurs objectifs industriels et climatiques, en garantissant des progrès stables face aux politiques changeantes des États-Unis et en renforçant les avantages mutuels en matière de développement durable, de marchés compétitifs et de sécurité énergétique.

L'UE a la possibilité de développer une approche encore plus forte de l'industrialisation verte, autour d'un écosystème industriel intégré entre l'UE et l'Afrique où l'innovation a lieu de part et d'autre.

La nécessité de négocier des partenariats d'investissement 

Une telle approche présente un potentiel important, mais aussi quelques difficultés. L'opinion publique de l'UE pourrait s'inquiéter de la localisation des emplois. On pourrait faire valoir qu'étant donné l'ampleur des investissements et des innovations nécessaires pour construire une économie décarbonée, un jeu à somme positive est possible, dans lequel différents pays trouvent des niches dans les réseaux de production mondiaux (par exemple, pour la conception des batteries, l'assemblage, l'exploitation minière, le traitement des minéraux, les carburants d'aviation durables, etc.) Pour l'acier vert, par exemple, une transformation des chaînes de valeur dans lesquelles l'UE importe des intrants déjà transformés pourrait entraîner une baisse des prix pour les acteurs industriels de l'UE et une amélioration de la compétitivité du secteur sidérurgique de l'UE, de sorte que les impacts négatifs sur les emplois et les investissements en matière de fer primaire dans la chaîne de production de l'acier pourraient être compensés par les avantages d'une telle réorganisation pour le secteur sidérurgique de l'UE et pour les industries en aval. Les difficultés à créer/maintenir des emplois pourraient également provenir davantage du numérique et de l'automatisation qui réduisent rapidement l'intensité de main-d'œuvre des industries que de la concurrence entre les deux continents qui pourraient être complémentaires.

La capture de la valeur ajoutée locale dans les pays africains se heurte à des obstacles persistants. Certains sont inhérents à la nature des accords de partenariat existants conclus par l'UE, mais aussi par d'autres partenaires, qui favorisent encore trop souvent l'acheteur. Les pays africains doivent être plus clairs sur leurs conditions lorsqu'ils vendent l'accès à des matières premières essentielles. D'autres obstacles sont liés à l'environnement des affaires et des investissements dans les pays africains, qui sont confrontés au coût élevé des emprunts, à la difficulté d'accéder aux investissements initiaux, à la nécessité d'investir dans le développement des compétences locales et des systèmes de connaissances. Et bien que plus de conversations et de partenariats entre entreprises soient nécessaires, tous ces défis ne peuvent être résolus par les seuls outils du marché/financement privé. D'où le besoin de construire un partenariat d'investissement entre les gouvernements européens et africains. Il est essentiel de négocier les conditions équitables du processus et des résultats d'un tel accord d'investissement, compte tenu des négociations très asymétriques qui ont eu lieu par le passé. Les deux parties doivent revenir à cette négociation.

Investir dans des politiques industrielles vertes et des systèmes de connaissance et d'innovation

Si les pays africains veulent attirer les investissements de l'UE dans le contexte des nouveaux partenariats d'investissement et de commerce propres qui ont été annoncés, ils pourraient investir dans des trajectoires d'industrialisation nationales développées et débattues dans le contexte de l’expertise et de la politique nationale (appropriation par le pays, conduite par le pays), en vue de construire des plans d'investissement sectoriels. Les Plans d'investissement pour une transition énergétique juste (JETPs en anglais) doivent être conçus conjointement avec les plans d'industrialisation, car l'un renforce la crédibilité de l'autre pour les investisseurs. Les annonces liées au Pacte européen pour une industrie propre étant prévues rapidement (la pression est plus forte sur son volet interne que sur la dimension externe), la question de la préparation pourrait se poser pour les partenaires africains qui souhaiteraient s'engager dans un dialogue stratégique et formuler des propositions.

L'UE pourrait apporter son soutien avant d'investir dans de tels plans, en encourager les trajectoires d'industrialisation fondées non seulement sur l'exportation, mais aussi sur les marchés nationaux et régionaux (l'industrialisation verte peut également signifier la transformation alimentaire, l'e-mobilité pour les marchés africains, le textile, etc.) C'est là qu'une collaboration étroite entre les DG chargées de la sécurité économique et du commerce et la DG chargée des partenariats internationaux sera cruciale.  

En outre, pour les partenaires stratégiques, l'UE doit garder à l'esprit que les avantages concurrentiels des pays peuvent provenir de leur potentiel en matière d'énergies renouvelables ou de leurs matières premières essentielles, mais qu'ils peuvent également être fondés sur les qualifications existantes de la main-d'œuvre ou sur les écosystèmes industriels ou les systèmes d'innovation existants. Investir dans les compétences est aussi important que dans les infrastructures. La construction d'écosystèmes industriels communs commence également par l'innovation et le transfert de technologies. Les technologies chinoises seront bon marché. Il n'est pas nécessaire d'essayer de les remplacer par des technologies européennes. L'avantage spécifique de l'UE réside davantage dans le déploiement des technologies et le partage des bonnes pratiques en matière de modèles financiers et organisationnels des services publics, par exemple.

L'inauguration de l'Initiative pour l'industrialisation verte du côté africain, la nouvelle présidence de l'Union africaine à venir et la nouvelle Commission européenne axée sur l'industrialisation verte et la compétitivité peuvent favoriser de nombreuses opportunités concrètes de dialogue et d'accords de partenariat. Autant de sujets de discussion dès le sommet UA-UE annoncé pour 2025.

Crédit photo : Canva