Alors que les négociateurs d’un traité international sur les plastiques se réunissent à nouveau le 25 novembre à Busan, en Corée du Sud, ils savent que le temps presse pour aboutir à un accord significatif et durable en vue d’éliminer le plastique qui pollue les océans, nuit à la santé humaine et contribue aux émissions de gaz à effet de serre. Cette réunion marque la cinquième et, en principe, dernière session du Comité intergouvernemental de négociation (INC5) en vue d'établir un instrument juridiquement contraignant sur la pollution plastique. Comme le souligne l’Iddri dans ce billet de blog, les enjeux sont considérables.

Pollution plastique : état des lieux

Le rapport Scénarios d’action pour l’élimination de la pollution plastique à l’horizon 2040, publié en octobre 2024 par l’OCDE, montre qu’en l’absence de politiques ambitieuses de réduction de la production, la fabrication annuelle de plastique devrait passer de 435 millions de tonnes (Mt) en 2020 à 736 Mt en 2040. Et 617 Mt de déchets seraient produits en 2040, contre 360 Mt en 2020, alors que des réductions drastiques sont nécessaires. À peine 6 % des plastiques sont recyclés, et ce taux resterait inchangé en 2040. D’ici là, le statu quo – même avec les améliorations prévues dans la gestion des déchets plastiques – entraînerait le rejet de 300 Mt de plastique supplémentaire dans les rivières, les lacs et les océans, sans compter les émissions de CO2 provenant de la production de plastique qui, selon le rapport de l’OCDE, s’élèveraient à 2,8 GT, soit 5 % des émissions mondiales, en 2040. 

Les divisions subsistent

La quatrième session (INC4) qui s’est tenue en avril 2024 à Ottawa (Canada) avait laissé entrevoir « une lueur d’espoir » quant à l’aboutissement des négociations, mais sept mois plus tard, le risque de turbulences est bien réel. Comme nous l’écrivions à l’époque, « le niveau d’ambition est incertain compte tenu des divergences entre une Coalition pour une haute ambition qui souhaite un accord général portant sur la prolifération des plastiques, de la production à l’élimination, et un groupe de pays aux intérêts/vues similaires (like minded) qui cherche à restreindre le champ d’application de l’accord à la gestion des déchets ». Cela reste vrai. Le groupe de pays dits like minded est dirigé par l’Arabie saoudite, l’Iran et la Fédération de Russie. 

Une nouvelle lueur d’espoir est apparue en juillet 2024 lorsque la Maison Blanche – qui était jusqu’à présent restée neutre entre les deux groupes – a déclaré soutenir la réduction de la production de plastique, notamment en « renforçant le leadership des États-Unis dans les efforts internationaux visant à élaborer un accord ambitieux pour répondre à la crise de la pollution plastique partout dans le monde ». Toutefois, compte tenu du résultat des récentes élections américaines, il n’est pas certain que la délégation américaine maintienne cette position à Busan. Lors d’une réunion des parties prenantes organisée par le département d’État peu après les élections, les États-Unis ont montré des signes de recul par rapport à leur soutien à un plafonnement de la production de plastique. Il est peu probable que la nouvelle administration américaine signe le traité, et encore moins qu'elle le ratifie.

Les États-Unis mis à part, des divisions subsistent malgré les intenses conversations intersessions qui se sont tenues à Bangkok en août 2024 et les efforts proactifs déployés par le président, l’ambassadeur d’Équateur au Royaume-Uni Luis Ignacio Vayas Valdivieso, pour les combler. 

Le document officieux de la présidence de l’INC comme base de négociation ?

L’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (ANUE) avait demandé en 2022 que le traité soit achevé avant la fin de cette année. Cet objectif semble de plus en plus hors de portée, étant donné que le dernier texte de négociation compte 73 pages et que très peu de choses ont été approuvées. L’ambassadeur Vayas Valdivieso a donc convoqué les chefs de délégation à des discussions informelles en septembre et octobre 2024, avec notamment une réunion en personne à Nairobi (Kenya) les 30 septembre et 1er octobre 2024, pour discuter d’un « document officieux » du Président destiné à rationaliser les discussions autour d’un ensemble limité d’options. En conséquence, le 30 octobre 2024, le Secrétariat de l’INC a publié le troisième document officieux du Président de l’INC, que l’ambassadeur Vayas Valdivieso a l’intention de proposer comme base de négociation à Busan.

Dans son introduction, l’ambassadeur Vayas Valdivieso écrit qu’il vise à « faire progresser [...] un fondement acceptable pour la poursuite des travaux, compte tenu de l’opinion largement partagée selon laquelle il nous faut (1) axer le texte sur les éléments essentiels, (2) tirer le meilleur parti des sept jours qui nous restent pour achever nos négociations dans le cadre de la cinquième session du comité, et (3) veiller à ce que le traité soit efficace, applicable et adapté à l’objectif de mettre fin à la pollution plastique ». Cette troisième partie est la plus controversée, car les notions d’efficacité, de possibilité de mise en œuvre et d’adéquation aux objectifs sont inévitablement soumises à des jugements de valeur. 

Cela soulève la question essentielle de savoir comment les négociateurs parviendront à concilier l’urgence de respecter le délai fixé par l’ANUE tout en honorant le mandat exigeant que le traité adopte une approche globale qui aborde l’ensemble du cycle de vie des plastiques, avec des obligations claires, même si elles sont quantifiées ultérieurement dans les annexes, les décisions de la COP et les plans nationaux. Étant donné qu’un consensus est nécessaire pour que le traité soit adopté, la quête de perfection risque-t-elle de compromettre l’atteinte de résultats concrets ?

Certains remettent en question l’approche pragmatique du président et se demandent si le document officieux de l’ambassadeur Vayas Valdivieso n’outrepasse pas son mandat. Au sein du groupe en faveur de « hautes ambitions » et de celui des « pays like minded », le texte du président est considéré comme à moitié plein ou à moitié vide, et pas seulement en termes d’optique. Certains se demandent si l’INC5 devrait travailler à partir du texte de la compilation d’Ottawa, aussi lourd soit-il. Certaines ONG ont exprimé leur déception face à ce qu’elles perçoivent comme un langage ambigu ou insuffisant. 

Dans son préambule, le président propose de « souligner qu’il est important de maintenir la production et la consommation de plastiques à des niveaux durables, notamment en favorisant la conception de produits et de matériaux en plastique économes en ressources, de sorte qu’ils puissent être réparés, réutilisés, refabriqués ou recyclés et donc maintenus dans l’économie le plus longtemps possible, de même que les ressources à partir desquelles ils sont fabriqués, et en réduisant ainsi au minimum la production de déchets ». Plus loin, il propose (article 1) que l’objectif du traité soit « de protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets néfastes des plastiques et vise à mettre fin à la pollution plastique, notamment dans le milieu marin ». Il s’agit là d’un compromis entre ceux qui préconisent un objectif consistant à « protéger la santé humaine et l’environnement contre la pollution plastique » et ceux qui souhaitent « protéger la santé humaine et l’environnement des effets néfastes de la pollution plastique » ; il existe également une troisième option selon laquelle « l’objectif de la présente convention est de mettre fin à la pollution plastique ».

La feuille de route envisageable pour le traité

Dans l’introduction, l’ambassadeur Vayas Valdivieso écrit avoir « esquissé des éléments en vue de discussions approfondies. Les pays membres ayant exprimé leur volonté de parvenir à un accord sur ces questions, je suis convaincu que la poursuite des discussions permettra de créer un consensus à temps pour parvenir à un accord global à Busan ». « Dans certains cas », ajoute-t-il, « j’ai défini des travaux qui pourraient être menés durant l’intervalle entre la Conférence diplomatique et la première réunion de la Conférence des Parties ». Le document officieux propose (article 28) que le traité entre en vigueur après la date de dépôt du cinquantième instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion. Il propose (articles 23 et 24) que la Convention ou ses annexes puissent être amendées (ou toute annexe supplémentaire adoptée) par vote à la majorité des trois quarts des Parties présentes et votantes. Même si certains pourraient préférer une majorité des deux tiers, une majorité qualifiée est certainement nécessaire pour éviter une paralysie fondée sur le consensus.

Si un texte de traité est approuvé à Busan, et après avoir été nettoyé par un groupe de juristes et de linguistes, il sera présenté pour adoption formelle et signature lors d’une conférence diplomatique, vraisemblablement au cours du premier semestre 2025. Deux pays africains, le Sénégal et le Rwanda, ont proposé d’accueillir cette conférence, ainsi que l’Équateur. Le Pérou, qui a présidé les trois premières sessions de l’INC, a retiré sa candidature en faveur du Rwanda. Le Pérou et le Rwanda proposent que le traité, qui s’appellerait Kigalima (contraction de Kigali et Lima), signé dans la capitale du Rwanda, soit rapidement suivi d’une conférence d’action précoce organisée dans la capitale du Pérou sans attendre l’entrée en vigueur.

Si le document officieux du président devient la base des négociations à Busan, il faudra accorder une attention particulière à un certain nombre de questions cruciales. Par exemple, l’article 5 en particulier, sur la conception des produits en plastique, ne devrait pas se contenter d’« inviter » (comme c’est actuellement le cas dans le document officieux du président), mais bien d’« approuver » ou d’« établir » des mesures afin de « promouvoir l’amélioration de la conception et de la performance des produits en plastique, […] ainsi que la possibilité de les réutiliser, de les réparer, de les recycler et de les éliminer d’une manière sûre et écologiquement rationnelle lorsqu’ils deviennent des déchets ». Les critères et normes pour les systèmes de réutilisation devraient être considérés comme un pilier du traité. PR3, l’Alliance mondiale pour la promotion de la réutilisation (Global Alliance to Advance Reuse), plaide pour un traitement différent de la réutilisation et du recyclage dans le traité : par définition, la réutilisation exclut les plastiques à usage unique, tandis que le recyclage encourage leur prolifération. Les annexes du traité, qui devraient inclure les produits et les substances à éviter, à interdire ou à réglementer, les normes et les critères de réutilisation, ainsi que l’économie circulaire, la responsabilité élargie des producteurs et les principes de gestion rationnelle des déchets, devront également faire l’objet d’une attention particulière à Busan ou par la suite, avant et après la conférence diplomatique de 2025.

Des questions controversées à l’ordre du jour des négociateurs

Dans son document officieux, le président s’abstient de proposer un texte pour l’article 6 sur l’« offre » et l’article 11 sur le « financement », ce qui laisse entrevoir d’importantes divergences d’opinions exprimées au cours de ses consultations informelles sur la question de savoir si et comment les engagements de réduction de la production peuvent être reflétés. Le résultat des discussions sur ces deux articles et les modalités de définition des objectifs de réduction pour les polymères plastiques primaires indiqueront dans une large mesure le niveau d’ambition du traité. En ce qui concerne l’article 6, une formulation engageant les pays collectivement à plafonner et à réduire la production et l’utilisation des plastiques pourrait être envisagée conformément à des objectifs qui seraient quantifiés et approuvés par la conférence des parties et mis en œuvre dans le cadre de plans nationaux. En ce qui concerne l’article 11, le coût des investissements supplémentaires nécessaires pour mettre fin aux fuites de plastique est estimé par l’OCDE à 50 milliards de dollars d’ici 2040 ; les discussions sur ce sujet devraient refléter les débats en cours sur le financement du climat et de la biodiversité afin de déterminer si un nouveau mécanisme de financement visant à soutenir les investissements et les politiques dans les pays en développement devrait être créé ou s’il devrait être rattaché à un mécanisme existant, avant que des engagements sur les montants ne puissent être convenus.

Même si les négociateurs travaillent sans relâche pendant toute la durée de la réunion, sept jours ne suffiront pas pour résoudre toutes les questions en suspens, quel que soit le texte utilisé comme base de négociation. Mais il est possible d’adopter un traité fort et ambitieux, avec une véritable portée et des engagements clairs, ce qui permettrait de négocier ultérieurement d’autres détails sur le long terme. Si les négociateurs procèdent de la sorte, nous pourrions envisager que la cinquième session du Comité intergouvernemental de négociation de Busan ne sacrifie pas au nom du respect des délais un accord significatif qui ouvrirait la voie à l’élimination de la pollution par les matières plastiques.

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Lucien Chabason, conseiller de la direction de l’Iddri, assiste aux négociations du Comité intergouvernemental de négociation des Nations Unies sur les plastiques (INC) au nom de l’Iddri. Rémi Parmentier, directeur du Varda Group, y participe avec le soutien du PR3, l’Alliance mondiale pour la promotion de la réutilisation, et de l’Iddri.