La Stratégie nationale pour la biodiversité, qui doit être rendue publique d’ici juillet, est la troisième itération de ce document. L’idée de la faire adopter par le Parlement flotte dans les couloirs du Palais Bourbon. Ce serait une première pour ce type d’instrument politique. Le Conseil économique, social et environnemental propose pour sa part une adoption par voie réglementaire. Alors que les signaux politiques récents donnés sur les pesticides1 par exemple risquent d’aggraver l’effondrement de la biodiversité, l’Iddri examine dans ce billet de blog 3 scénarios d’adoption de la Stratégie pour la biodiversité et met en lumière les modalités possibles du renforcement de son assise juridique. 

Les stratégies et autres instruments politiques préparés par les ministères compétents ont rarement une visibilité qui dépasse les cercles d’initiés. Ils servent de feuilles de route aux acteurs (ministères et administrations publiques, secteur privé et société civile), consultés lors de l’élaboration du document selon une approche héritée du Grenelle de l’environnement (2007). Leur mise en œuvre repose cependant très largement sur la bonne volonté de quelques-uns. En effet, les stratégies restent largement hors des cadres législatifs ou réglementaires contraignants. 

Toutefois, la France s’est engagée à actualiser sa Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) à l’aune de l’accord de Kunming-Montréal pour la biodiversité, adopté en décembre 2022. Et les récents affrontements liés aux méga-bassines ou à la pêche au chalut dans les aires marines protégées sont révélateurs de l’importance sociétale que représentent les questions d’usage des terres et des mers. Le Parlement serait donc dans son rôle pour accueillir un débat organisé sur le sujet, mais peut-il se saisir de la SNB ? Une loi donnerait-elle des garanties supplémentaires pour l’amélioration de l’état de la biodiversité ?

L’article 34 de la Constitution prévoit que le Parlement détermine les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement. Si l’on peut facilement arguer que la SNB, vu son niveau de détail et son caractère appliqué, sort des principes fondamentaux, on constate une tendance du Parlement à intervenir plus largement sur les sujets qu’il souhaite sans que le Conseil constitutionnel ne s’y oppose. Ce ne serait d’ailleurs pas une première pour la biodiversité, si l’on considère certains articles de la loi « sur la reconquête de la biodiversité » (2016), qui intervient par exemple sur les cotons-tiges en plastique (Article 124). Cette loi traite également, de manière plus fondamentale, de la SNB, dont le processus d’élaboration est décrit dans le Code de l’environnement (Article L110-3). Le Code comme la loi sont cependant muets sur le processus d’adoption de la stratégie2 . Quels sont les scénarios possibles ? 

Publication unilatérale par le ministre chargé de l’Environnement : une SNB à portée limitée

Les deux premières SNB couvrant la période 2004-2010 (SNB-1) et 2011-2020 (SNB-2) avaient été publiées par le ministère de l’Écologie dans la discrétion la plus totale, même si l’élaboration de la deuxième avait visé prioritairement la mobilisation de l’ensemble des acteurs et avait fait l’objet d’une animation en ce sens notamment dans les premières années de mise en œuvre. Le plan biodiversité de juillet 2018, cantonné aux services du ministre de la Transition écologique et solidaire, reprécisait la SNB-2 et posait les jalons de la SNB-3. Cela incluait des actions visant explicitement certains secteurs, comme l’agriculture avec la sortie du glyphosate d’ici 2023 et l’interdiction de « tous les insecticides […] présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes ». 

Le premier volet de la SNB-3 signé par la secrétaire d’État chargée de la Biodiversité ne démentait pas cette tendance. Ainsi, la publication du document final par le ministre chargé de l’Environnement ou la secrétaire d’Etat chargée de l’Écologie s’inscrirait pleinement dans cet historique. Si les SNB ont fait l’objet de consultations et de présentations interministérielles, force est de constater que ce niveau d’engagement n’a pas pu rendre la biodiversité prioritaire dans les portefeuilles des différents ministères. Face à l’échec d’enrayement de la perte de biodiversité des trois dernières décennies, veut-on réellement privilégier ce scénario de la continuité ? 

À noter que la Stratégie européenne pour la biodiversité, publiée en 2021 par la Commission européenne et portée par sa direction générale de l’environnement, suit la même approche. Elle propose néanmoins une mise en œuvre « fondée sur la coopération » (feuille de route pour les acteurs, système de suivi et de vérification, responsabilisation des acteurs « sectoriels » en charge du rapportage des actions les concernant). La Commission européenne évaluera l’efficacité de cette approche en 2024 et, si besoin (comprendre : en l’absence de progrès satisfaisants), une approche légalement contraignante pourra être adoptée sur des provisions spécifiques.

La solution intermédiaire : le décret d’approbation

Le premier volet de la SNB-3 envisage pour sa mise en œuvre « une coordination de l’action interministérielle assurée par le Premier ministre », tout en notant que « les modalités précises seront définies après l’adoption définitive de la SNB ». Il est précisé que « chaque porteur [d’une compétence spécifique liée à la mise en œuvre d’une mesure de la SNB] élaborera […] un document précisant les moyens […] qu’il entend mobiliser sur la durée de la SNB pour mettre en œuvre des mesures qui le concerneront […] ; ce document sera annexé à la SNB en 2023. ». Tous les ministères sont concernés. 

Dans cette perspective, un décret de la Première ministre contresigné par les ministres intéressés3 permettrait de s’assurer que tout le monde est à bord. Le caractère contraignant de la SNB avait cependant été réfuté par le Parlement lors de l’élaboration de la loi de 2016. Il faudrait donc dans un premier temps qu’il amende le Code de l’environnement pour y spécifier l’adoption par décret de la SNB4 , sur le modèle de la Stratégie nationale bas-carbone adoptée par décret le 21 avril 2020, avec des cibles quantifiées. Si l’approche descendante du gouvernement actuel a mauvaise presse à la suite des débats houleux sur le budget 2023 et sur la réforme des retraites, un décret déclencherait cependant une mise en cohérence des politiques dites « sectorielles » avec celles pour la protection de la biodiversité. Le Parlement pourrait être impliqué de près dans le contrôle de la mise en œuvre de la SNB, au titre du suivi de l’application de la loi de 2016, avec par exemple des rapports réguliers qui lui seraient présentés, comme un collectif d'ONG le propose. Sur le modèle de la gouvernance proposée pour la Stratégie européenne pour la biodiversité, l’adéquation des réponses des différents secteurs aux mesures de la SNB pourrait déterminer l’auto-saisie du Parlement pour renforcer la mise en œuvre par un cadre légal. 

Un décret ministériel représente par ailleurs un outil juridiquement opposable ; en témoigne la décision du Conseil d’Etat du 19 novembre 2020 qui se réfère entre autres au décret d’approbation de la Stratégie nationale bas-carbone. 

Une loi d’approbation : le « Graal » du Parlement

L’Assemblée nationale pourrait considérer les dispositions de la SNB au moment de sa publication par le ministère. Cela s’inscrirait dans la continuité des travaux du Parlement autour de la loi « sur la reconquête de la biodiversité ». Arrivée à mi-parcours de la SNB-2, la loi de 2016 allait beaucoup plus loin dans sa structure en ciblant spécifiquement les principaux facteurs d’érosion de la biodiversité avant que l’IPBES ne les rende incontournables. Elle vise par exemple des sources de pollution précises (produits phytopharmaceutiques, plastiques5 ) et prend des mesures concrètes pour les réduire. Le Parlement pourrait envisager de reprendre des mesures de la SNB-3 pour rehausser l’ambition de certaines dispositions ou les compléter pour les thèmes peu ou pas couverts par la loi de 2016.

Si l’exercice d’examen parlementaire est autrement plus long que celui d’une publication unilatérale ou d’un décret, il représente également une opportunité pour avoir un réel débat sur la protection de la biodiversité. Une considération des mesures de la SNB par le Parlement pourrait par ailleurs rendre les atteintes à la biodiversité plus judiciables ; le juge aurait une base juridique sur laquelle se prononcer, offrant ainsi à la société civile et aux citoyens de nouveaux moyens d’actions. Cela a fait ses preuves sur le climat : les lois « transition énergétique pour la croissance verte » (2015), « énergie-climat » (2019), « climat et résilience » (2021) ou « accélération des énergies renouvelables » (2023), ainsi que la révision de la Stratégie nationale bas-carbone désormais associée à une loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat renforcent clairement la capacité des tribunaux à se saisir des plaintes qui se multiplient sur l’inaction climatique, et à statuer en faveur de prise de mesures efficaces par l’État. 

Considérer une adoption parlementaire des dispositions de la SNB-3 constitue un chantier considérable : la préparation de la SNB aura duré 4 ans6 en comptant le premier volet, et aura impliqué de multiples parties prenantes, dont certains groupes du monde agricole, de la pêche, de l’industrie etc. Rouvrir ces discussions au Parlement pourrait comporter des risques pour l’intégrité et la cohérence du document rédigé par le ministère de la Transition écologique, mais représente un passage obligé pour une assise ferme de la SNB. Au cours des 7 dernières années, les attentes sociétales pour la protection de la biodiversité n’ont cessé de croître et se sont imposées aux populations, par exemple au plus fort de la pandémie de la Covid-19. Le Parlement devrait être à l’écoute et rehausser le profil de la SNB par rapport aux dernières décennies, faisant bouger le statu quo qu’il avait maintenu en 2016. 

Décret ou loi, au-delà du caractère juridiquement opposable, l’évolution de la gouvernance du climat des dernières années illustre que les éléments de droit donnent un point de référence commun aux acteurs de la société civile (académiques, ONG), qui peuvent ensuite scruter les actions du gouvernement et lui rappeler régulièrement ses ambitions, contribuant à la mise en cohérence des actions des différents ministères. Une évolution dont la biodiversité bénéficierait grandement elle aussi, et dans laquelle le Parlement aura un rôle à jouer.

  • 2 En comparaison, d’après l’article 173 de la loi de 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte, la Stratégie nationale bas-carbone est fixée par décret et précise à la fois le contenu de la stratégie (atteindre les objectifs de la loi, en tenant compte des spécificités du secteur agricole et en veillant au risque de « fuite » des émissions par les importations) et du décret (répartition du budget carbone par période, secteur et catégorie de gaz à effet de serre, plafonds etc.).
  • 3 Cette option répondrait à la recommandation du Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son avis sur la SNB de 2021 concernant l’adoption du document par voie réglementaire. https://www.lecese.fr/travaux-publies/contribution-du-cese-lelaboration-de-la-strategie-nationale-pour-la-biodiversite-snb3
  • 4 En l’état, le gouvernement pourrait justifier une prise de décret sur la SNB en invoquant l’engagement de la France au sein de la Convention sur la diversité biologique (article 6), mais ce lien assez faible pourrait être rejeté par le juge en cas de contentieux.
  • 5 Articles 116 et 124 respectivement.
  • 6 Les reports successifs de la COP 15 de la Convention sur la diversité biologique en raison de l’épidémie de COVID-19 ont repoussé la préparation du 2e volet entre 2020 et 2022.